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Jules Verne

 

Mistress Branican

 

(Chapitre I-III)

 

 

83 dessins de L. Benett

12 grandes gravures en chromotypographie

2 grandes cartes en chromolithographie

Bibliothèque D’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

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© Andrzej Zydorczak

 

Deuxième partie

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Chapitre I

En naviguant

 

u jour où M. de Lesseps a percé l’isthme de Suez, on a été en droit de dire que du continent africain il avait fait une île. Lorsque le canal de Panama sera achevé, il sera également permis de donner la qualification d’îles à l’Amérique du Sud et à l’Amérique du Nord. En effet, ces immenses territoires seront entourés d’eau de toutes parts. Mais, comme ils conserveront le nom de continent, eu égard à leur étendue, il est logique d’appliquer ce nom à l’Australie ou Nouvelle-Hollande, qui se trouve dans les mêmes conditions.

En effet, l’Australie mesure trois mille neuf cents kilomètres dans sa plus grande longueur de l’est à l’ouest, et trois mille deux cents d’ans sa plus grande largeur du nord au sud. Or, le produit de ces deux dimensions constitue une superficie de quatre millions huit cent trente mille kilomètres carrés environ, – soit les sept neuvièmes de l’aire européenne.

Le continent australien est actuellement divisé, par les auteurs des atlas les plus récents, en sept provinces que séparent des lignes arbitraires, se coupant à angle droit, et qui ne tiennent aucun compte des accidents orographiques ou hydrographiques:

A l’est, dans la partie la plus peuplée, le Queensland, capitale Brisbane, – la Nouvelle-Galles du Sud, capitale Sydney, – Victoria, capitale Melbourne;

Au centre, l’Australie septentrionale et la Terre Alexandra, sans capitales, – l’Australie méridionale, capitale Adélaïde;

A l’ouest, l’Australie occidentale, qui s’étend du nord au sud, capitale Perth.

Il convient d’ajouter que les Australiens cherchent à constituer une confédération sous le nom de «Commomwealth of Australia». Le gouvernement anglais repousse cette qualification, mais, sans doute, elle sera acquise le jour où la séparation sera un fait accompli.

On verra bientôt en quelles provinces, les plus dangereuses et les moins connues de ce continent, Mrs. Branican allait s’aventurer avec cette espérance si vague, cette pensée presque irréalisable, de retrouver le capitaine John, de l’arracher à la tribu qui le retenait prisonnier depuis neuf ans. Et, d’ailleurs, n’y avait-il pas lieu de se demander si les Indas avaient respecté sa vie, après l’évasion de Harry Felton?

Le projet de Mrs. Branican était de quitter Sidney, dès que le départ serait possible. Elle pouvait compter sur le dévouement sans bornes de Zach Fren, sur l’intelligence ferme et pratique qui le caractérisait. Dans un long entretien, ayant la carte de l’Australie sous les yeux, tous deux avaient discuté les mesures les plus promptes, les plus formelles aussi, qui devaient décider le succès de cette nouvelle tentative. Le choix du point de départ, on le comprend, était d’une extrême importance, et voici ce qui fut définitivement arrêté:

1° Une caravane, pourvue des meilleurs moyens de recherches et de défense, nantie de tout le matériel exigé par un voyage à travers les déserts de l’Australie centrale, serait organisée aux frais et par les soins de Mrs. Branican;

2° Cette exploration devant commencer dans un très bref délai, il convenait de se transporter par les voies les plus rapides de terre ou de mer jusqu’au point terminus des communications établies entre le littoral et le centre du continent.

En premier lieu, la question de gagner le littoral nord-ouest, c’est-à-dire l’endroit de la Terre de Tasman où avaient abordé les naufragés du Franklin, fut posée et débattue. Mais ce détour eût occasionné une perte de temps énorme, entraîné de réelles difficultés tant pour le personnel que pour le matériel – qui seraient l’un et l’autre considérables. En somme, rien ne démontrait qu’en attaquant le continent australien par l’ouest, l’expédition rencontrerait avec plus de certitude la tribu qui détenait le capitaine John Branican, les indigènes nomades parcourant la Terre Alexandra aussi bien que les districts de l’Australie occidentale. Il fut donc répondu négativement à cette question.

En second lieu, on traita la direction qu’il convenait de prendre dès le début de la campagne; c’était évidemment celle que Harry Felton avait dû suivre pendant son parcours de l’Australie centrale. Cette direction, si on ne la connaissait pas d’une façon précise, était, du moins, indiquée par le point où le second du Franklin avait été recueilli, c’est-à-dire les bords du Parru, à la limite du Queensland et de la Nouvelle-Galles du Sud, au nord-ouest de cette province.

Depuis 1770, – époque à laquelle le capitaine Cook explora la Nouvelle-Galles du Sud et prit possession, au nom du roi d’Angleterre, du continent déjà reconnu par le Portugais Manuel Godenbho et par les Hollandais Verschoor, Hartog, Carpenter et Tasman, – sa partie orientale s’était largement colonisée, développée, civilisée. Ce fut en 1787 que, Pitt étant ministre, le commodore Philipp vint fonder la station pénitentiaire de Botany-Bay, d’où, en moins d’un siècle, allait sortir une nation de près de trois millions d’hommes. Actuellement, rien de ce qui fait la grandeur et la richesse d’un pays, routes, canaux, chemins de fer, reliant les innombrables localités du Queensland, de la Nouvelle-Galles du Sud, de Victoria et de l’Australie-Méridionale, lignes de paquebots desservant les ports de leur littoral, rien ne manque à cette partie du continent. Or, puisque Mrs. Branican se trouvait à Sydney, cette capitale opulente et peuplée lui aurait offert les ressources indispensables à l’organisation d’une caravane, d’autant mieux qu’avant de quitter San-Diégo, elle s’était fait ouvrir par l’intermédiaire de M. William Andrew un crédit important sur la Central Australian Bank. Donc, elle pouvait aisément se procurer les hommes, les véhicules, les animaux de selle, de trait et de bât que nécessitait une expédition en Australie, peut-être même une traversée complète de l’est à l’ouest, soit un trajet de près de deux mille deux cents milles1. Mais la ville de Sydney devait-elle être choisie pour point de départ?

Tout considéré, et sur l’avis même du consul américain, qui était très au courant de l’état présent de la géographie australienne, Adélaïde, capitale de l’Australie méridionale, parut plus particulièrement indiquée comme base d’opérations. En suivant la ligne télégraphique, dont les fils vont de cette cité jusqu’au golfe de Van Diémen, c’est-à-dire du sud au nord, à peu près sur la courbe du cent trente-neuvième méridien, les ingénieurs ont établi la première partie d’un railway, qui dépassait le parallèle atteint par Harry Felton. Ce railway permettrait au personnel d’aboutir plus profondément et plus rapidement à ces régions de la Terre Alexandra et de l’Australie occidentale que peu de voyageurs avaient visitées jusqu’à ce jour.

Ainsi, première résolution prise, cette troisième expédition, ayant pour but la recherche du capitaine John, serait organisée à Adélaïde et se transporterait à l’extrémité du railway, qui décrit en montant au nord un parcours de quatre cents milles environ, soit sept cents kilomètres.

Et maintenant, par quelle voie Mrs. Branican se rendrait-elle de Sydney à Adélaïde? S’il y avait eu une voie ferrée non interrompue entre ces deux capitales, il n’y aurait pas eu lieu d’hésiter. Il existe bien un railway, qui traverse le Murray sur la frontière de la province de Victoria, à la station d’Albury, se continue ensuite par Bénalla et Kilmore jusqu’à Melbourne, et qui, à partir de cette ville, se dirige vers Adélaïde; mais il ne franchissait pas la station de Horscham, et, au delà, les communications mal établies auraient pu causer d’assez longs retards.

Aussi Mrs. Branican résolut-elle de gagner Adélaïde par mer. C’était un trajet de quatre jours, et, en ajoutant quarante-huit heures pour l’escale que les paquebots font à Melbourne, elle débarquerait dans la capitale de l’Australie méridionale, après une navigation de six jours le long des côtes. Il est vrai, on était au mois d’août, et ce mois correspond au mois de février de l’hémisphère boréal. Mais le temps se tenait au calme, et, les vents soufflant du nord-ouest, le steamer serait couvert par la terre, dès qu’il aurait dépassé le détroit de Bass. D’ailleurs, venue de San-Francisco à Sydney, Mrs. Branican n’en était pas à s’inquiéter d’une traversée de Sydney à Adélaïde.

Précisément, le paquebot Brisbane partait le lendemain, à onze heures du soir. Après avoir fait escale à Melbourne, il arriverait dans le port d’Adélaïde le 27 août, au matin. Deux cabines y furent retenues, et Mrs. Branican prit les mesures nécessaires pour que le crédit, qui lui avait été ouvert à la banque de Sydney, fût reporté à la banque d’Adélaïde. Les directeurs se mirent obligeamment à sa disposition, et ce virement ne souffrit pas la moindre difficulté.

En quittant l’hôpital de la Marine, Mrs. Branican s’était rendue à l’hôtel pour y choisir un appartement qu’elle devait occuper jusqu’à son départ. Ses pensées se résumaient en une seule: «John est vivant!» Les yeux obstinément fixés sur la carte du continent australien, le regard perdu au milieu de ces immenses solitudes du centre et du nord-ouest, en proie au délire de son imagination, elle le cherchait… elle le rencontrait… elle le sauvait…

Ce jour-là, à la suite de leur entretien, Zach Fren, comprenant qu’il valait mieux la laisser seule, était allé par les rues de Sydney qu’il ne connaissait point. Et tout d’abord, – ce qui ne peut étonner d’un marin, – il voulut visiter le Brisbane, afin do s’assurer que Mrs. Branican y serait convenablement installée. Le navire lui parut aménagé au mieux pour les besoins d’une navigation côtière. Il demanda à voir la cabine réservée à la passagère. Ce fut un jeune novice qui l’y conduisit, et il fit prendre quelques dispositions en vue de rendre cette cabine plus confortable. Brave Zach Fren! On eût dit en vérité qu’il s’agissait d’une traversée de long cours!

Au moment où il se disposait à quitter le bord, le jeune novice le retint, et, d’une voix un peu émue:

«C’est bien certain, maître, demanda-t-il, que mistress Branican s’embarquera demain pour Adélaïde?…

– Oui, demain, répondit Zach Fren.

– Sur le Brisbane?…

– Sans doute.

– Puisse-t-elle réussir dans son entreprise et retrouver le capitaine John!

– Nous ferons de notre mieux, tu peux le croire.

– J’en suis convaincu, maître.

– Est-ce que tu es embarqué sur le Brisbane?…

– Oui, maître.

– Eh bien, mon garçon, à demain.»

Les dernières heures qu’il passa à Sydney, Zach Fren les employa à flâner dans Pitt-Street et York-Street, bordées de belles constructions en grès jaune rougeâtre, puis à Victoria-Park, à Hyde-Park, où s’élève le monument commémoratif du capitaine Cook. Il visita le Jardin Botanique, promenade admirable, située sur le bord de la mer, où s’entremêlent les diverses essences des pays chauds et tempérés, les chênes et les araucarias, les cactus et les mangoustans, les palmiers et les oliviers. En somme, Sydney mérite la réputation qui lui est faite. C’est la plus ancienne des capitales australiennes, et si elle est moins régulièrement construite que ses puînées Adélaïde et Melbourne, elle se montre plus riche de beautés imprévues et de sites pittoresques.

Le lendemain soir, Mrs. Branican et Zach Fren avaient pris passage à bord du paquebot. A onze heures, le Brisbane, débouquant du port, se lançait à travers la baie de Port-Jackson. Après avoir doublé l’Inner-South-Head, il mit le cap au sud, en se tenant à quelques milles de la côte.

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Pendant la première heure, Dolly demeura sur le pont, assise à l’arrière, regardant les formes du littoral, qui s’estompaient confusément au milieu de la brume. C’était donc là ce continent dans lequel elle allait essayer de s’introduire comme dans une immense prison, d’où John n’avait pu jusque-là s’échapper. Il y avait quatorze ans qu’ils étaient séparés l’un de l’autre!

«Quatorze ans!» murmura-t-elle.

Lorsque le Brisbane passa devant Botany-Bay et Jorris-Bay, Mrs. Branican alla prendre un peu de repos. Mais, le lendemain, dès l’aube, elle était debout à l’heure où le mont Dromedary, et, un peu en arrière, le mont Kosciusko, qui appartient au système des Alpes australiennes, se dessinaient à l’horizon.

Zach Fren avait rejoint Dolly sur le spardeck du steamer, et tous deux s’entretinrent de ce qui faisait leur unique préoccupation.

En ce moment, un jeune novice, hésitant et ému, s’approcha de Mrs. Branican, et vint lui demander de la part du capitaine, si elle n’avait besoin de rien.

«Non, mon enfant, répondit Dolly.

– Eh! c’est le garçon qui m’a reçu hier, quand je suis venu visiter le Brisbane, dit Zach Fren.

– Oui, maître, c’est moi.

– Et comment t’appelles-tu?…

– Je m’appelle Godfrey.

– Eh bien, Godfrey, te voilà certain, à présent, que mistress Branican est embarquée sur ton paquebot… et tu es satisfait, j’imagine?

– Oui, maître, et nous le sommes tous à bord. Oui! nous faisons tous des vœux pour que les recherches de mistress Branican réussissent, pour qu’elle délivre le capitaine John!»

En lui parlant, Godfrey la regardait avec tant de respect et d’exaltation, que Dolly fut remuée dans tout son être. Et, alors, la voix du jeune novice la frappa… Cette voix, elle l’avait déjà entendue, et le souvenir lui revint.

«Mon enfant, dit-elle, est-ce que ce n’est pas vous qui m’avez interrogée à la porte de l’hospice de Sydney?…

– C’est moi.

– Vous qui m’avez demandé si le capitaine John était toujours vivant?…

– Moi-même, mistress.

– Vous faites donc partie de l’équipage?

– Oui… depuis un an, répondit Godfrey. Mais, s’il plaît à Dieu, je l’aurai bientôt quitté.»

Et, sans doute, n’en voulant ou n’en osant pas dire davantage, Godfrey se retira, afin d’aller donner au commandant des nouvelles de Mrs. Branican.

«Voilà un garçon qui m’a l’air d’avoir du sang de marin dans les veines, fit observer Zach Fren. Ça se devine rien qu’à le voir… Il a le regard franc, clair, décidé… Sa voix est en même temps ferme et douce…

– Sa voix!» murmura Dolly.

Par quelle illusion de ses sens lui semblait-il qu’elle venait d’entendre parler John, à cela près des adoucissements d’un organe à peine formé par l’âge.

Et une autre remarque qu’elle fit également – remarque plus significative encore. Certainement, elle s’illusionnait, mais les traits de ce jeune garçon lui avaient rappelé les traits de John… de John, qui n’avait pas trente ans, lorsque le Franklin l’avait emporté loin d’elle et pour si longtemps!

«Vous le voyez, mistress Branican, dit Zach Fren, en frottant ses bonnes grosses mains, Anglais ou Américains, tout le monde vous est sympathique… En Australie, vous trouverez les mêmes dévouements qu’en Amérique… lien sera d’Adélaïde comme de San-Diégo… Tous font les mêmes vœux que ce jeune Anglais…

– Est-ce un Anglais?» se demandait Mrs. Branican, profondément impressionnée.

La navigation fut très heureuse pendant cette première journée. La mer était d’un calme absolu par ces vents de nord-ouest, qui venaient de terre. Le Brisbane la trouverait non moins tranquille, lorsqu’il aurait doublé le cap Howe, à l’angle du continent australien, pour aller chercher le détroit de Bass.

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Pendant cette journée, Dolly ne quitta presque pas le spardeck. Les passagers lui montraient une extrême déférence, et aussi un vif empressement à lui tenir compagnie. Ils étaient désireux de voir cette femme, dont les malheurs avaient eu un tel retentissement, et qui n’hésitait pas à braver tant de périls, à affronter tant de fatigues, dans l’espoir de sauver son mari, si la Providence voulait qu’il survécût. Devant elle, d’ailleurs, personne n’eût mis cette éventualité en doute. Comment n’aurait-on pas partagé sa confiance, lorsqu’on l’entendait s’inspirer de résolutions si viriles, lorsqu’elle disait tout ce qu’elle allait entreprendre? Inconsciemment, on s’aventurait à sa suite, au milieu des territoires de l’Australie centrale. Et, de fait, plus d’un eût accepté de l’y accompagner, autrement que par la pensée.

Mais, en leur répondant, il arrivait que Dolly s’interrompait parfois. Son regard prenait alors une expression singulière, une flamme s’y allumait, et Zach Fren était seul à comprendre ce qui occupait son esprit.

C’est qu’elle venait d’apercevoir Godfrey. La démarche du jeune novice, son attitude, ses gestes, l’insistance avec laquelle il la suivait des yeux, cette sorte d’instinct qui semblait l’attirer vers elle, tout cela la saisissait, l’émotionnait, la remuait à ce point que John et lui se confondaient dans sa pensée.

Dolly n’avait pu cacher à Zach Fren qu’elle trouvait une ressemblance frappante entre John et Godfrey. Aussi Zach Fren ne la voyait-il pas sans inquiétude s’abandonner à cette impression due à une circonstance purement fortuite. Il redoutait, non sans raison, que ce rapprochement lui rappelât trop vivement le souvenir de l’enfant qu’elle avait perdu. C’était vraiment inquiétant que Mrs. Branican fût surexcitée à ce point par la présence de ce jeune garçon.

Cependant Godfrey n’était pas retourné près d’elle, son service ne l’appelant point à l’arrière du paquebot, exclusivement réservé aux passagers de première classe. Mais, de loin, leurs regards s’étaient souvent croisés, et Dolly avait été sur le point de l’appeler… Oui! sur un signe, Godfrey se fût empressé d’accourir… Dolly n’avait pas fait ce signe, et Godfrey n’était pas venu.

Ce soir-là, au moment où Zach Fren reconduisait Mrs. Branican à sa cabine, elle lui dit:

«Zach, il faudra savoir quel est ce jeune novice… à quelle famille il appartient… le lieu de sa naissance… Peut-être n’est-il pas d’origine anglaise…

– C’est possible, mistress, répondit Zach Fren. Il peut se faire qu’il soit américain. Au surplus, si vous le voulez, je vais le demander au capitaine du Brisbane

– Non, Zach, non, j’interrogerai Godfrey moi-même.»

Et le maître entendit Mrs. Branican faire cette réflexion, à mi-voix:

«Mon enfant, mon pauvre petit Wat aurait à peu près cet âge… à présent!

– Voilà ce que je craignais!» se dit Zach Fren, en regagnant sa cabine.

Le lendemain, 22 août, le Brisbane, qui avait doublé le cap Howe pendant la nuit, continua de naviguer dans des conditions excellentes. La côte du Gippland, l’une des principales provinces de la colonie de Victoria, après s’être courbée vers le sud-est, se relie au promontoire Wilson, la pointe la plus avancée que le continent projette vers le sud. Ce littoral est moins riche en baies, ports, inlets, caps, géographiquement dénommés, que la partie qui se dessine en ligne droite depuis Sydney jusqu’au cap Howe. Ce sont des plaines à perte de vue, dont les dernières limites, encadrées do montagnes, sont trop éloignées pour être aperçues de la mer.

Mrs. Branican, ayant quitté sa cabine dès la première aube du jour, avait repris sa place à l’arrière du spardeck. Zach Fren la rejoignit bientôt et observa un très manifeste changement de son attitude. La terre, qui se déroulait vers le nord-ouest, n’attirait plus ses regards. Absorbée dans ses pensées, elle répondit à peine à Zach Fren, lorsque celui-ci lui demanda comment elle avait passé la nuit.

Le maître n’insista point. L’essentiel, c’était que Dolly eût oublié cette singulière ressemblance de Godfrey et du capitaine John, qu’elle ne songeât plus à le revoir, à l’interroger. Il était possible qu’elle y eût renoncé, que ses idées eussent pris un autre cours, et, en effet, elle ne pria pas Zach Fren de lui amener le jeune garçon que son service retenait à l’avant du steamer.

Après le déjeuner, Mrs. Branican rentra dans sa cabine, et elle ne reparut sur le pont qu’entre trois et quatre heures de l’après-midi.

En ce moment, le Brisbane filait à toute vapeur vers le détroit de Bass, qui sépare l’Australie de la Tasmanie ou Terre de Van Diémen.

Que la découverte du Hollandais Janssen Tasman ait été profitable aux Anglais, que cette île, dépendance naturelle du continent, ait gagné à la domination de la race anglo-saxonne, rien de moins contestable. Depuis 1642, date de la découverte de cette île, longue de deux cent quatre-vingts kilomètres, où le sol est d’une extrême fertilité, dont les forêts sont enrichies d’essences superbes, il est certain que la colonisation a marché à grands pas. A partir du commencement de ce siècle, les Anglais ont administré comme ils administrent, opiniâtrement, sans prendre nul souci des races indigènes; ils ont divisé l’île en districts, ils ont fondé des villes importantes, la capitale Hobbart-Town, Georges-Town et nombre d’autres; ils ont utilisé les dentelures multiples delà côte pour créer des ports, où leurs navires accostent par centaines. Tout cela est bien. Mais, de la population noire, qui occupait à l’origine cette contrée, que reste-t-il? Sans doute, ces pauvres gens n’étaient rien moins que civilisés; on voyait même en eux les plus abruptes échantillons de la race humaine; on les mettait au-dessous des nègres d’Afrique, au-dessous des Fuégiens de la Terre de Feu. Si l’anéantissement d’une race est le dernier mot du progrès colonial, les Anglais peuvent se vanter d’avoir mené leur œuvre à bon terme. Mais, à la prochaine Exposition universelle d’Hobbart-Town, qu’ils se hâtent s’ils veulent exhiber quelques Tasmaniens… Il n’en restera plus un seul à la fin du XIXe siècle!

 

 

Chapitre II

Godfrey

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e Brisbane traversa le détroit de Bass pendant la soirée. Sous cette latitude de l’hémisphère austral, le jour ne se prolonge guère au delà de cinq heures pendant le mois d’août. La lune, qui entrait dans son premier quartier, disparut promptement entre les brumes de l’horizon. L’obscurité profonde empêchait de voir les dispositions littorales du continent.

La navigation du détroit fut ressentie à bord par les coups de tangage qu’éprouva le paquebot sous l’influence d’un clapotis très houleux. Les courants et contre-courants luttent avec impétuosité dans cette étroite passe, ouverte aux eaux du Pacifique.

Le lendemain, 23 août, dès l’aube, le Brisbane se présenta à l’entrée de la baie de Port-Philipp. Une fois au milieu de cette baie, les navires n’ont plus rien à redouter des mauvais temps; mais, pour y pénétrer, il est nécessaire de manœuvrer avec prudence et précision, surtout lorsqu’il s’agit de doubler la longue pointe sablonneuse de Nepean d’un côté et celle de Queenscliff de l’autre. La baie, suffisamment fermée, se découpe en plusieurs ports, où les bâtiments de fort tonnage trouvent des mouillages excellents, Goelong, Sandrige, Villiamstown, – ces deux derniers formant le port de Melbourne. L’aspect de cette côte est triste, monotone, sans attrait. Peu de verdure sur les rives, l’aspect d’un marécage presque desséché, qui, au lieu de lagons ou d’étangs, ne montre que des entailles aux vases durcies et fendillées. A l’avenir de modifier la surface de ces plaines, en remplaçant les squelettes d’arbres qui grimacent ça et là par des futaies, dont le climat australien fera rapidement des forêts superbes.

Le Brisbane vint se ranger à l’un des quais de Williamstown, afin d’y débarquer une partie des passagers.

Comme on devait faire escale pendant trente-six heures, Mrs. Branican résolut de passer ce temps à Melbourne. Non qu’elle eût affaire en cette ville, puisque ce n’était qu’à Adélaïde qu’elle s’occuperait des préparatifs d’une expédition devant atteindre probablement les extrêmes limites de l’Ouest-Australie. Dès lors, pourquoi en vint-elle à quitter le Brisbane? Craignait-elle d’être l’objet de trop nombreuses et trop fréquentes visites? Mais, pour y échapper, ne lui suffisait-il pas de se confiner dans sa cabine? D’ailleurs, à descendre dans l’un des hôtels de la ville, où sa présence serait bientôt connue, ne s’exposait-elle pas à de plus pressantes entrevues, à de plus inévitables importunités?

Zach Fren ne savait comment expliquer la résolution de Mrs. Branican. Il le remarquait, son attitude différait de celle qu’elle avait à Sydney. De très accueillante qu’elle se montrait alors, elle était devenue peu communicative. Était-ce, comme l’avait observé le maître, que la présence de Godfrey avait trop vivement rappelé en elle le souvenir de son enfant? Oui, et Zach Fren ne se trompait pas. La vue du jeune novice l’avait troublée si profondément qu’elle sentait le besoin de s’isoler. N’entrait-il plus dans sa pensée de l’interroger? Peut-être, puisqu’elle ne l’avait pas fait la veille, bien qu’elle en eût exprimé le désir. Mais, en ce moment, si elle voulait débarquer à Melbourne, y rester les vingt-quatre heures de la relâche, dût-elle encourir les inconvénients d’une notoriété pour son malheur trop réelle, c’était dans l’idée de fuir – il n’y a pas d’autre mot – oui, de fuir ce garçon de quatorze ans, vers lequel l’attirait une force instinctive. Pourquoi donc hésitait-elle à lui parler, à s’enquérir près de lui de tout ce qui l’intéressait, sa nationalité, son origine, sa famille? Craignait-elle que ses réponses, – et cela était très vraisemblable, – eussent pour résultat de détruire sans retour d’imprudentes illusions, un espoir chimérique, auquel son imagination s’abandonnait et que son agitation avait révélé à Zach Fren?

Mrs. Branican, accompagnée du maître, débarqua dès la première heure. Aussitôt qu’elle eut mis le pied sur l’appontement, elle se retourna.

Godfrey était appuyé sur la lisse, à l’avant du Brisbane. En la voyant s’éloigner, son visage devint si triste, il eut un geste si expressif, il semblait vouloir d’une telle force la retenir à bord, que Dolly fut sur le point de lui dire: «Mon enfant… je reviendrai!»

Elle se maîtrisa, pourtant, fit signe à Zach Fren de la suivre, et se rendit à la gare du railway, qui met le port en communication avec la ville.

Melbourne, en effet, est située en arrière du littoral, sur la rive gauche de la rivière Yarra-Yarra, à une distance de deux kilomètres, – distance que les trains franchissent en quelques minutes. Là s’élève cette cité avec sa population de trois cent mille habitants, capitale de la magnifique colonie de Victoria, qui en compte près d’un million, et sur laquelle, depuis 1851, on est fondé à dire que le mont Alexandre a versé tout l’or de ses gisements.

Mrs. Branican, bien qu’elle fût descendue dans un des hôtels les moins fréquentés de la ville, n’aurait pu échapper à la curiosité, – d’ailleurs très sympathique, – qu’excitait en tous lieux sa présence. Aussi, en compagnie de Zach Fren, préféra-t-elle parcourir les rues de la ville, dont son regard, si étrangement préoccupé, ne devait à peu près rien voir.

Une Américaine, en somme, n’eût éprouvé aucune surprise ni goûté aucun plaisir à visiter une ville des plus modernes. Quoique fondée douze ans après San-Francisco de Californie, Melbourne lui ressemble «en moins bien», comme on dit: des rues larges, se coupant à angle droit, des squares auxquels manquent les gazons et les arbres, des banques par centaines, des offices où se brassent d’énormes affaires, un quartier qui concentre le commerce de détail, des édifices publics, églises, temples, université, musée, muséum, bibliothèque, hôpital, hôtel de ville, écoles qui sont des palais, palais dont quelques-uns seraient insuffisants pour des écoles, un monument élevé aux deux explorateurs Burke et Wills, qui succombèrent en essayant de traverser le continent australien du sud au nord; puis, le long de ces rues et de ces boulevards, des passants assez rares en dehors du quartier des affaires; un certain nombre d’étrangers, surtout des Juifs de race allemande, qui vendent de l’argent comme d’autres vendent du bétail ou de la laine, et à un bon prix – afin de réjouir le cœur d’Israël.

Mais, cette Melbourne du négoce, les commerçants ne l’habitent que le moins possible. C’est dans les faubourgs, c’est aux environs de la ville que se sont multipliés les villas, les cottages, même des habitations princières, à Saint-Kilda, à Hoam, à Emerald-Hill, à Brighton, – ce qui, au dire de M. D. Charnay, l’un des plus intéressants voyageurs qui aient visité ce pays, donne l’avantage à Melbourne sur San-Francisco. Et déjà les arbres d’essences si variées ont grandi, les parcs somptueux sont couverts d’ombrages, les eaux vives assurent pendant de longs mois une bienfaisante fraîcheur. Aussi est-il peu de villes, qui soient placées au milieu d’un plus admirable cadre de verdure.

Mrs. Branican ne prêta qu’une distraite attention à ces magnificences, même lorsque Zach Fren l’eut conduite en dehors de la ville, en plaine campagne. Rien n’indiquait que telle habitation merveilleusement disposée, tel site grandiose avec ses lointaines perspectives, eût frappé son regard. Il semblait toujours que, sous l’obsession d’une idée fixe, elle fût sur le point de faire à Zach Fren une demande qu’elle n’osait formuler.

Tous deux revinrent vers l’hôtel, à la nuit tombante. Dolly se fit servir dans son appartement un dîner auquel elle toucha à peine. Puis elle se coucha et ne dormit que d’un demi-sommeil, hanté par les images de son mari et de son enfant.

Le lendemain, Mrs. Branican resta dans sa chambre jusqu’à deux heures. Elle écrivit une longue lettre à M. William Andrew, afin de lui faire connaître son départ de Sydney et sa prochaine arrivée dans la capitale de l’Australie méridionale. Elle lui renouvelait ses espérances en ce qui concernait l’issue de l’expédition. Et, en recevant cette lettre, à sa grande surprise, à son extrême inquiétude aussi, M. William Andrew ne dut pas manquer d’observer que si Dolly parlait de John comme étant certaine de le retrouver vivant, elle parlait de son enfant, du petit Wat, comme s’il n’était pas mort. L’excellent homme en fut à se demander s’il n’y avait pas lieu de craindre de nouveau pour la raison de cette femme si éprouvée.

Les passagers que le Brisbane prenait à destination d’Adélaïde étaient presque tous embarqués, lorsque Mrs. Branican, accompagnée de Zach Fren, revint à bord. Godfrey guettait son retour, et, du plus loin qu’il l’aperçut, son visage s’éclaira d’un sourire. Il se précipita vers l’appontement, et il était là, quand elle mit le pied sur la passerelle.

Zach Fren fut on ne peut plus contrarié, et ses gros sourcils se froncèrent. Que n’aurait-il donné pour que le jeune novice eût quitté le paquebot, ou tout au moins pour qu’il ne se rencontrât pas sur le chemin de Dolly, puisque sa présence ravivait les plus douloureux souvenirs!

Mrs. Branican aperçut Godfrey. Elle s’arrêta un instant, le pénétrant de son regard; mais elle ne lui parla pas, et, baissant la tête, elle vint s’enfermer dans sa cabine.

A trois heures de l’après-midi, le Brisbane, larguant ses amarres, se dirigea vers le goulet, et, tournant la pointe de Queenscliff, prit direction sur Adélaïde, en élongeant à moins de trois milles la côte de Victoria.

Les passagers, embarqués à Melbourne, étaient au nombre d’une, centaine, – pour la plupart, des habitants de l’Australie méridionale, qui retournaient dans leurs districts. Il y avait quelques étrangers parmi eux, – entre autres un Chinois, âgé de trente à trente-cinq ans, l’air endormi d’une taupe, jaune comme un citron, rond comme une potiche, gras comme un mandarin à trois boutons. Ce n’était pas un mandarin, pourtant. Non! un simple domestique, au service d’un personnage, dont le physique mérite d’être dessiné avec une certaine précision.

Qu’on se figure un fils d’Albion aussi «britannique» que possible, grand, maigre, osseux, une vraie pièce d’ostéologie, tout en cou, tout en buste, tout enjambes. Ce type d’Anglo-Saxon, âgé de quarante-cinq à cinquante ans, s’élevait d’environ six pieds (anglais) au-dessus du niveau de la mer. Une barbe blonde qu’il portait entière, une chevelure blonde de même, où s’entremêlaient quelques cheveux d’un jaune d’or, de petits yeux fureteurs, un nez pince aux narines, busqué en bec de pélican ou de héron et d’une longueur peu commune, un crâne sur lequel le moins observateur des phrénologues eût aisément découvert les bosses de la monomanie et de la ténacité, – cet ensemble formait une de ces têtes qui attirent le regard et provoquent le sourire, lorsqu’elles sont crayonnées par un spirituel dessinateur.

Cet Anglais était correctement vêtu du costume traditionnel: la casquette à double visière, le gilet boutonné jusqu’au menton, le veston à vingt poches, le pantalon en drap quadrillé, les hautes guêtres à boutons de nickel, les souliers à clous, et le cache-poussière blanchâtre que la brise plissait autour de son corps en révélant sa maigreur de squelette.

Quel était cet original? on l’ignorait, et, sur les paquebots australiens, nul ne s’autorise des familiarités du voyage pour s’occuper des voyageurs, savoir où ils vont, ni d’où ils viennent. Ce sont des passagers, et comme tels, ils passent. Rien de plus. Tout ce que le steward du bord eût pu dire, c’est que cet Anglais avait retenu sa cabine sous le nom de Joshua Meritt – abréviativement Jos Meritt – de Liverpool (Royaume-Uni), accompagné de son domestique, Gîn-Ghi, de Hong-Kong (Céleste-Empire).

Du reste, une fois embarqué, Jos Meritt alla s’asseoir sur un des bancs du spardeck, et ne le quitta qu’à l’heure du lunch, lorsque tinta la cloche de quatre heures. Il y revint à quatre et demi, l’abandonna à sept pour le dîner, y reparut à huit, gardant invariablement l’attitude d’un mannequin, les deux mains ouvertes sur ses genoux, ne tournant jamais la tête ni à droite ni à gaucho, les yeux dirigés vers la côte, qui se perdait dans les brumes du soir. Puis, à dix heures, il regagna sa cabine d’un pas géométrique que les soubresauts du roulis ne parvenaient pas à ébranler.

Pendant une partie delà nuit, Mrs. Branican, qui était remontée sur le pont un peu avant neuf heures, se promena à l’arrière du Brisbane, bien que la température fût assez froide. L’esprit obsédé, visionné même, pour employer une expression plus exacte, elle n’aurait pu dormir. A l’étroit dans sa cabine, elle avait besoin de respirer cet air vif, imprégné parfois des pénétrantes senteurs de «l’acacia flagrans», qui dénoncent la terre australienne à cinquante milles en mer. Songeait-elle à rencontrer le jeune novice, à lui parler, à l’interroger, à savoir de lui… Savoir quoi?… Godfrey, ayant fini son quart à dix heures, ne devait le reprendre qu’à deux heures du matin, et, à ce moment, Dolly, très fatiguée d’un douloureux ébranlement moral, avait dû regagner sa chambre.

Vers le milieu de la nuit, le Brisbane doubla le cap Otway à l’extrémité du district de Polwarth. A partir de ce point, il allait remonter franchement dans le nord-ouest jusqu’à la hauteur de l’a baie Discovery, où vient s’appuyer la ligne conventionnelle, tracée sur le cent-quarante et unième méridien, – ligne qui sépare les provinces de Victoria et de la Nouvelle-Galles du sud des territoires de l’Australie méridionale.

Dès le matin, on revit Jos Meritt sur le banc du spardeck, à sa place habituelle, dans la même attitude, et comme s’il ne l’eût pas quittée depuis la veille. Quant au Chinois Gîn-Ghi, il dormait à poings fermés en quelque coin.

Zach Fren devait être accoutumé aux manies de ses compatriotes, car les originaux ne manquent point dans la collection des quarante-deux états fédératifs, actuellement compris sous la rubrique U.S.A2. Cependant, il ne put regarder sans un certain ébahissement ce type si réussi de mécanique humaine.

Et quelle fut sa surprise, lorsque, s’étant approché de ce long et immobile gentleman, il s’entendit interpeller en ces termes d’une voix un peu grêle:

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«Maître Zach Fren, je crois?…

– En personne, répondit Zach Fren.

– Le compagnon de mistress Branican?…

– Comme vous dites. Je vois que vous savez…

– Je sais… à la recherche de son mari… absent depuis quatorze ans… Bien!… Oh!… Très bien!

– Comment… très bien?…

– Oui!… Mistress Branican… Très bien!… Moi aussi… je suis à la recherche…

– De votre femme?…

– Oh!… pas marié!… Très bien!… Si j’avais perdu ma femme, je ne la chercherais pas.

– Alors, c’est pour?…

– Pour retrouver… un chapeau.

– Votre chapeau?… Vous avez égaré votre chapeau?…

– Mon chapeau?… Non!… C’est le chapeau… je m’entends… Vous présenterez mes hommages à mistress Branican… Bien!… Oh!… Très bien!…»

Les lèvres de Jos Meritt se refermèrent et ne laissèrent plus échapper un seule syllabe.

«C’est une espèce de fou,» se dit Zach Fren.

Et il lui sembla que ce serait de la puérilité que de s’occuper plus longtemps de ce gentleman.

Lorsque Dolly reparut sur le pont, le maître vint la rejoindre, et tous deux allèrent s’asseoir à peu près en face de l’Anglais. Celui-ci ne bougea pas plus que le dieu Terme. Ayant chargé Zach Fren de présenter ses hommages à Mrs. Branican, il pensait sans doute qu’il n’avait point à le faire en personne.

Du reste, Dolly ne remarqua pas la présence de ce bizarre passager. Elle eut un long entretien avec son compagnon, touchant les préparatifs du voyage, qui seraient commencés dès leur arrivée à Adélaïde. Pas un jour, pas une heure à perdre. Il importait que l’expédition eût atteint et dépassé, si c’était possible, les territoires du pays central, avant qu’ils fussent desséchés sous les intolérables chaleurs de la zone torride. Entre les dangers de diverses sortes, inhérents à une recherche entreprise dans ces conditions, les plus terribles seraient probablement causés par les rigueurs du climat, et toutes précautions seraient prises pour s’en garantir. Dolly parla du capitaine John, de son tempérament robuste, de son indomptable énergie, qui lui avaient permis – elle n’en doutait pas – de résister là où d’autres, moins vigoureux, moins fortement trempés, auraient succombé. Entre temps, elle n’avait fait aucune allusion à Godfrey, et Zach Fren pouvait espérer que sa pensée s’était détournée de ce garçon, lorsqu’elle dit:

«Je n’ai pas encore vu aujourd’hui le jeune novice?… No l’avez-vous point aperçu, Zach?

– Non, mistress, répondit le maître, que cette question parut contrarier.

– Peut-être pourrais-je faire quelque chose pour cet enfant?» reprit Dolly.

Et elle affectait de n’en parler qu’avec une sorte d’indifférence, à laquelle Zach Fren ne se méprit point.

«Ce garçon?… répondit-il. Oh! il a un bon métier, mistress… Il arrivera… Je le vois déjà quartier-maître d’ici à quelques années… Avec du zèle et de la conduite…

– N’importe, reprit Dolly, il m’intéresse… Il m’intéresse à un point… Mais aussi, Zach, cette ressemblance, oui!… cette ressemblance extraordinaire entre mon pauvre John et lui… Et puis, Wat… mon enfant… aurait son âge!»

Et en disant cela, Dolly devenait pâle; sa voix s’altérait; son regard, qui se fixait sur Zach Fren. était si interrogateur que le maître avait baissé les yeux.

Puis elle ajouta:

«Vous me le présenterez dans l’après-midi, Zach… Ne l’oubliez pas… Je veux lui parler… Cette traversée sera finie demain… Nous ne nous reverrons jamais… et, avant de quitter le Brisbane… je désire savoir… Oui! savoir…»

Zach Fren dut promettre à Dolly de lui amener Godfrey, et elle se retira.

Le maître, très soucieux, très alarmé même, continua de se promener sur le spardeck jusqu’au moment où le steward sonna le second déjeuner. Il faillit alors se heurter contre l’Anglais, qui semblait rythmer ses pas sur les battements de la cloche, en se dirigeant vers l’escalier du capot.

«Bien!… Oh!… Très bien! fit Jos Meritt. Vous avez, sur ma demande… offert mes compliments… Son mari disparu… Bien!… Oh!… Très bien!»

Et il s’en alla, afin de gagner la place qu’il avait choisie à la table du «dining-room», – la meilleure, cela s’entend, et voisine de l’office, ce qui lui permettait de se servir le premier et de prendre les morceaux de choix.

A trois heures, le Brisbane naviguait à l’ouvert de Portland, le principal port du district de Normanby, où vient aboutir le railway do Melbourne; puis, le cap Nelson ayant été doublé, il passait au large de la baie Discovery et remontait presque directement vers le nord, en élongeant d’assez près la côte de l’Australie méridionale.

Ce fut à cet instant que Zach Fren vint prévenir Godfrey que Mrs. Branican désirait lui parler.

«Me parler?» s’écria le jeune novice.

Et son cœur battit si fort qu’il n’eut que le temps de se retenir à la lisse pour ne point tomber.

Godfrey, conduit par le maître, se rendit à la cabine, où l’attendait Mrs. Branican.

Dolly le regarda quelque temps. Il se tenait debout, devant elle, son béret à la main. Elle était assise sur un canapé. Zach Fren, accoté près de la porte, les observait tous les deux avec anxiété. Il savait bien ce que Dolly allait demander à Godfrey, mais il ignorait ce que le jeune novice lui répondrait.

«Mon enfant, dit Mrs. Branican, je voudrais avoir des renseignements sur vous… sur la famille à laquelle vous appartenez… Si je vous interroge, c’est que je m’intéresse… à votre situation… Voudrez-vous satisfaire à mes questions?…

– Très volontiers, mistress, répondit Godfrey d’une voix que l’émotion faisait trembler.

– Quel âge avez-vous?… demanda Dolly.

– Je ne sais pas au juste, mistress, mais je dois avoir de quatorze à quinze ans.

– Oui!… de quatorze à quinze ans!… Et depuis quelle époque avez-vous pris la mer?…

– Je me suis embarque, lorsque j’avais huit ans environ, en qualité de mousse, et voilà deux années que je sers comme novice.

– Avez-vous fait de grandes navigations?…

– Oui, mistress, sur l’océan Pacifique jusqu’en Asie… et sur l’Atlantique jusqu’en Europe.

– Vous n’êtes pas Anglais?…

– Non, mistress, je suis Américain.

– Et, cependant, vous servez sur un paquebot de nationalité anglaise?…

– Le navire sur lequel j’étais a été dernièrement vendu à Sydney. Alors, me trouvant sans embarquement, je suis passé sur le Brisbane, en attendant l’occasion de reprendre du service à bord d’un navire américain.

– Bien, mon enfant,» répondit Dolly, qui fit signe à Godfrey de se rapprocher d’elle.

Godfrey obéit.

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«Maintenant, demanda-t-elle, je désirerais savoir où vous êtes né?…

– A San-Diégo, mistress.

– Oui!… à San-Diégo!» répéta Dolly, sans paraître surprise et comme si elle eût pressenti cette réponse.

Quant à Zach Fren, il fut très impressionné de ce qu’il venait d’entendre.

«Oui, mistress, à San-Diégo, reprit Godfrey. Oh! je vous connais bien!… Oui! je vous connais!… Quand j’ai appris que vous veniez à Sydney, cela m’a fait un plaisir… Si vous saviez, mistress, combien je m’intéresse à tout ce qui concerne le capitaine John Branican!»

Dolly prit la main du jeune novice, et la tint pendant quelques instants sans prononcer une parole. Puis, d’une voix qui décelait l’égarement de son imagination:

«Votre nom?… demanda-t-elle.

– Godfrey.

– Godfrey est votre nom de baptême… Mais quel est votre nom de famille?…

– Je n’ai pas d’autre nom, mistress.

– Vos parents?…

– Je n’ai pas de parents.

– Pas de parents! répondit Mrs. Branican. Avez-vous donc été élevé…

– A Wat-House, répondit Godfrey, oui! mistress, et par vos soins. Oh! Je vous ai aperçue bien souvent, lorsque vous reniez visiter vos enfants de l’hospice!… Vous ne me voyiez pas entre tous les petits, mais je vous voyais, moi… et j’aurais voulu vous embrasser!… Puis, comme j’avais du goût pour la navigation, lorsque j’ai eu l’âge, je suis parti mousse… Et d’autres aussi, des orphelins de Wat-House, s’en sont allés sur des navires… et nous n’oublierons jamais ce que nous devons à mistress Branican… à notre mère!…

– Votre mère!» s’écria Dolly, qui tressaillit, comme si ce nom eût retenti jusqu’au fond de ses entrailles.

Elle avait attiré Godfrey… Elle le couvrait de baisers… Il les lui rendait… Il pleurait… C’était entre elle et lui un abandon familier dont ni l’un ni l’autre ne songeait à s’étonner, tant il leur semblait naturel.

Et, dans son coin, Zach Fren, effrayé de ce qu’il comprenait, des sentiments qu’il voyait s’enraciner dans l’âme de Dolly, murmurait:

«La pauvre femme!… La pauvre femme!… Où se laisse-t-elle entraîner!»

Mrs. Branican s’était levée, et dit:

«Allez, Godfrey!… Allez, mon enfant!… Je vous reverrai… J’ai besoin d’être seule…»

Après l’avoir regardée une dernière fois, le jeune novice se retira lentement.

Zach Fren se préparait à le suivre, lorsque Dolly l’arrêta d’un geste.

«Restez, Zach.»

Puis:

«Zach, dit-elle par mots saccadés, qui dénotaient l’extraordinaire agitation de son esprit, Zach, cet enfant a été élevé avec les enfants trouvés de Wat-House… Il est né à San-Diégo… Il a de quatorze ans à quinze ans… Il ressemble trait pour trait à John… C’est sa physionomie franche, son attitude résolue… Il a le goût de la mer comme lui… C’est le fils d’un marin… C’est le fils de John… C’est le mien!… On croyait que la baie de San-Diégo avait à jamais englouti le pauvre petit être… Mais il n’était pas mort… et on l’a sauvé… Ceux qui l’ont sauvé ne connaissaient pas sa mère… Et sa mère, c’était moi… moi, alors privée de raison!… Cet enfant, ce n’est pas Godfrey qu’il se nomme… c’est Wat… c’est mon fils!… Dieu a voulu me le rendre avant de me réunir à son père…»

Zach Fren avait écouté Mrs. Branican sans oser l’interrompre. Il comprenait que la malheureuse femme ne pouvait parler autrement. Toutes les apparences lui donnaient raison. Elle suivait son idée avec l’irréfutable logique d’une mère. Et le brave marin sentait son cœur se briser, car ces illusions, c’était son devoir de les détruire. Il fallait arrêter Dolly sur cette pente, qui aurait pu la conduire à un nouvel abîme.

Il le fît, sans hésiter – presque brutalement.

«Mistress Branican, dit-il, vous vous trompez!… Je ne veux pas, je ne dois pas vous laisser croire ce qui n’est point!… Cette ressemblance, ce n’est qu’un hasard… Votre petit Wat est mort… oui! mort!… Il a péri dans la catastrophe, et Godfrey n’est pas votre fils…

– Wat est mort?… s’écria Mrs. Branican. Et qu’en savez-vous?… Et qui peut l’affirmer?…

– Moi, mistress.

– Vous?…

– Huit jours après la catastrophe de la baie, le corps d’un enfant a été rejeté sur la grève, à la pointe Loma… C’est moi qui l’ai retrouvé… J’ai prévenu M. William Andrew… Le petit Wat, reconnu par lui, a été enterré au cimetière de San-Diégo, où nous avons souvent porté des fleurs sur sa tombe…

– Wat!… mon petit Wat… là-bas… au cimetière!… Et on ne me l’a jamais dit!

– Non, mistress, non! répondit Zach Fren. Vous n’aviez plus votre raison alors, et, quatre ans après, lorsque vous l’avez recouvrée, on craignait… M. William Andrew pouvait redouter… en renouvelant vos douleurs… et il s’est tu!… Mais votre enfant est mort, mistress, et Godfrey ne peut pas être… n’est pas votre fils!»

Dolly retomba sur le divan. Ses yeux s’étaient fermés. Il lui semblait qu’autour d’elle l’ombre avait brusquement succédé à une intense lumière.

Sur un geste qu’elle fit, Zach Fren la laissa seule, abîmée dans ses regrets, perdue dans ses souvenirs.

Le lendemain, 26 août, Mrs. Branican n’avait pas encore quitté sa cabine, lorsque le Brisbane, après avoir franchi la passe de Backstairs, entre l’île Kangourou et le promontoire Jervis, pénétra dans le golfe de Saint-Vincent et vint mouiller au port d’Adélaïde.

 

 

Chapitre III

Un chapeau historique

 

es trois capitales de l’Australie, Sydney est l’aînée, Melbourne est la puînée, Adélaïde est la cadette. En vérité, si la dernière est la plus jeune, on peut affirmer qu’elle est aussi la plus jolie. Elle est née en 1853, d’une mère – l’Australie méridionale – qui n’a d’existence politique que depuis 1837, et dont l’indépendance, officiellement reconnue, ne date que de 1856. Il est même probable que la jeunesse d’Adélaïde se prolongera indéfiniment sous un climat sans rival, le plus salubre du continent, au milieu de ces territoires que n’attristent ni la phtisie, ni les fièvres endémiques, ni aucun genre d’épidémie contagieuse. On y meurt quelquefois, cependant; mais, comme le fait spirituellement observer M. D. Charnay, «ce pourrait bien être une exception.»

Si le sol de l’Australie méridionale diffère de celui de la province voisine en ce qu’il ne renferme pas de gisements aurifères, il est riche en minerai de cuivre. Les mines de Capunda, de Burra-Burra, de Wallaroo et de Munta, découvertes depuis une quarantaine d’années, après avoir attiré les émigrants par milliers, ont fait la fortune de la province.

Adélaïde ne s’élève pas sur la limite littorale du golfe de Saint-Vincent. De même que Melbourne, elle est située à une douzaine de kilomètres à l’intérieur, et un railway la met en communication avec le port. Son jardin botanique peut rivaliser avec celui de sa seconde sœur. Créé par Schumburg, il possède des serres, qui ne trouveraient pas leurs égales dans le monde entier, des plantations de rosés qui sont de véritables parcs, de magnifiques ombrages sous l’abri des plus beaux arbres de la zone tempérée, mélangés aux diverses essences de la zone semi-tropicale.

Ni Sydney, ni Melbourne ne sauraient entrer en comparaison avec Adélaïde pour son élégance. Ses rues sont larges, agréablement distribuées, soigneusement entretenues. Quelques-unes possèdent de splendides monuments en bordure, telle King-William-Street. L’hôtel des postes et l’hôtel de ville méritent d’être remarqués au point de vue architectonique. Au milieu du quartier marchand, les rues Hindley et Glenell s’animent bruyamment au souffle du mouvement commercial. Là, circulent nombre de gens affairés, mais qui ne semblent éprouver que cette satisfaction due à des opérations sagement conduites, abondantes, faciles, sans aucun de ces soucis qu’elles provoquent d’habitude.

Mrs. Branican était descendue dans un hôtel de King-William-Street, où Zach Fren l’avait accompagnée. La mère venait de subir une cruelle épreuve par l’anéantissement de ses dernières illusions. Il y avait tant d’apparence que Godfrey pût être son fils qu’elle s’y était tout de suite abandonnée. Cette déception se lisait sur sa figure, plus pâle que de coutume, au fond de ses yeux rougis par les larmes. Mais, à partir de l’instant où son espoir avait été brisé comme sans retour, elle n’avait plus cherché à revoir le jeune novice, elle n’avait plus parlé de lui. Il ne restait dans son souvenir que cette surprenante ressemblance, qui lui rappelait l’image de John.

Désormais, Dolly serait tout à son œuvre, et s’occuperait sans arrêt des préparatifs de l’expédition. Elle ferait appel à tous les concours, à tous les dévouements. Elle saurait dépenser, s’il le fallait, sa fortune entière en ces nouvelles recherches, stimuler par des primes importantes le zèle de ceux qui uniraient leurs efforts aux siens dans une suprême tentative.

Les dévouements ne devaient pas lui faire défaut. Cette province de l’Australie méridionale, c’est par excellence la patrie des audacieux explorateurs. De là les plus célèbres pionniers se sont lancés à travers les territoires inconnus du centre. De ses entrailles sont sortis les Warburton, les John Forrest, les Giles, les Sturt, les Lindsay, dont les itinéraires s’entrecroisent sur les cartes de ce vaste continent, – itinéraires que Mrs. Branican allait obliquement couper du sien. C’est ainsi que le colonel Warburton, en 1874, traversa l’Australie dans toute sa largeur sur le vingtième degré de l’est au nord-ouest jusqu’à Nichol-Bay, – que John Forrest, en la même année, se transporta en sens contraire, de Perth à Port-Augusta, – que Giles, en 1876, partit également de Perth pour gagner le golfe Spencer sur le vingt-cinquième degré.

Il avait été convenu que les divers éléments de l’expédition, matériel et personnel, seraient réunis, non pas à Adélaïde, mais au point terminus du railway, qui remonte vers le nord à la hauteur du lac Eyre. Cinq degrés franchis dans ces conditions, ce serait gagner du temps, éviter des fatigues. Au milieu des districts sillonnés par le système orographique des Flinders-Ranges, on trouverait à rassembler le nombre de chariots et d’animaux nécessaires à cette campagne, les chevaux do l’escorte, les bœufs destines au transport des vivres et effets de campement. A la surface de ces interminables déserts, de ces immenses steppes de sable, dépourvus de végétation, presque sans eau, il s’agissait de pourvoir aux besoins d’une caravane, qui comprendrait une quarantaine de personnes, en comptant les gens de service et la petite troupe destinée à assurer la sécurité des voyageurs.

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Quant à ces engagements, Dolly s’occupa de les réaliser à Adélaïde même. Elle trouva, d’ailleurs, un constant et ferme appui près du gouverneur de l’Australie méridionale, qui s’était mis à sa disposition. Grâce à lui, trente hommes, bien montés, bien armés, les uns d’origine indigène, les autres choisis parmi les colons européens, acceptèrent les propositions de Mrs Branican. Elle leur garantissait une solde très élevée pour la durée de la campagne, et une prime se chiffrant par une centaine de livres a chacun d’eux, des qu’elle serait achevée, quel qu’en fût le résultat. Ils seraient commandés par un ancien officier de la police provinciale, Tom Marix, un robuste et résolu compagnon, âge d’une quarantaine d’années, dont le gouverneur répondait. Tom Marix avait choisi ses hommes avec soin parmi les plus vigoureux et les plus sûrs de ceux qui s’étaient offerts en grand nombre. Dès lors il y avait lieu de compter sur le dévouement de cette escorte, recrutée dans les meilleures conditions.

Le personnel de service serait placé sous les ordres de Zach Fren, et il n’y aurait pas de sa faute «si gens et bêtes ne marchaient pas carrément et rondement,» ainsi qu’il le disait volontiers.

De fait, au-dessus de Tom Marix et de Zach Fren, le chef véritable – chef incontesté, – c’était Mrs. Branican, l’âme de l’expédition.

Par les soins des correspondants de M. William Andrew, un crédit considérable avait été ouverte Mrs. Branican à la Banque d’Adélaïde, et elle pouvait y puiser à pleines mains.

Ces préparatifs achevés, il fut convenu que Zach Fren partirait le 30 au plus tard pour la station de Farina-Town, où Mrs. Branican le rejoindrait avec le personnel, lorsque sa présence ne serait plus nécessaire à Adélaïde.

«Zach, lui dit-elle, vous tiendrez la main à ce que notre caravane soit prête à se mettre en route dès la fin de la première semaine de septembre. Payez tout comptant, à n’importe quel prix. Les vivres vous seront expédiés d’ici par le railway, et vous les ferez charger sur les chariots à Farina-Town. Nous ne devons rien négliger pour assurer le succès de notre campagne.

– Tout sera prêt, mistress Branican, répondit le maître. Quand vous arriverez, il n’y aura plus qu’à donner le signal du départ.»

On imagine aisément que Zach Fren ne manqua pas de besogne pendant les derniers jours qu’il passa à Adélaïde. En style de marin, il se «pomoya» avec tant d’activité, que le 29 août, il put prendre son billet pour Farina-Town. Douze heures après que le railway l’eut déposé à cette station extrême de la ligne, il prévint Mrs. Branican par le télégraphe qu’une partie du matériel de l’expédition était déjà réuni.

De son côté, aidée de Tom Marix, Dolly remplit sa tâche en ce qui concernait l’escorte, son armement, son habillement. Il importait que les chevaux fussent choisis avec soin, et la race australienne pouvait en fournir d’excellents, rompus à la fatigue, à l’épreuve du climat, d’une sobriété parfaite. Tant qu’ils parcourraient les forêts et les plaines, il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter de leur nourriture, l’herbe et l’eau étant assurées sur ces territoires. Mais au delà, à travers les déserts sablonneux, il y aurait lieu de les remplacer par des chameaux. C’est ce qui serait fait, dès que la caravane aurait atteint la station d’Alice-Spring. C’est à partir de ce point que Mrs. Branican et ses compagnons s’apprêteraient à lutter contre les obstacles matériels qui rendent si redoutable une exploration dans les régions de l’Australie centrale.

Les occupations auxquelles se livrait cette énergique femme l’avait quelque peu distraite des derniers incidents de sa navigation à bord du Brisbane. Elle s’était étourdie dans ce déploiement d’activité, qui ne lui laissait pas une heure de loisir. De cette illusion à laquelle son imagination s’était livrée un instant, de cet espoir éphémère que l’aveu de Zach Fren avait anéanti d’un mot, il ne lui restait plus que le souvenir. Elle savait à présent que son petit enfant reposait là-bas, en un coin du cimetière de San-Diégo, et qu’elle pourrait aller pleurer sur sa tombe… Et, cependant, cette ressemblance du novice… Et l’image de John et de Godfrey se confondant dans son esprit…

Depuis l’arrivée du paquebot, Mrs. Branican n’avait plus revu le jeune garçon. Si celui-ci avait cherché à la rencontrer pendant les premiers jours qui avaient suivi son débarquement, elle l’ignorait. En tout cas, il ne semblait pas que Godfrey se fût présenté à l’hôtel de King-William-Street. Et, pourquoi l’aurait-il fait? Après le dernier entretien qu’il avait eu avec elle, Dolly s’était renfermée dans sa cabine et ne l’avait point demandé. Dolly savait d’ailleurs que le Brisbane était reparti pour Melbourne, et qu’à l’époque où le paquebot reviendrait à Adélaïde, elle n’y serait plus.

Tandis que Mrs. Branican activait ses préparatifs, un autre personnage s’occupait non moins opiniâtrement d’un voyage identique. Il était descendu dans un hôtel de Hindley-Street. Un appartement sur le devant de l’hôtel, une chambre sur la cour intérieure, réunissaient sous le même toit ces singuliers représentants de la race aryenne et de la race jaune, l’Anglais Jos Meritt et le Chinois Gîn-Ghi.

D’où venaient ces deux types, empruntés à l’extrême Asie et à l’extrême Europe? Où allaient-ils? Que faisaient-ils à Melbourne et que venaient-ils faire à Adélaïde? Enfin, en quelle circonstance ce maître et ce serviteur s’étaient-ils associés, – celui-là payant celui-ci, celui-ci servant celui-là, – pour courir le monde de conserve? C’est ce qui va ressortir d’une conversation à laquelle prenaient part Jos Meritt et Gîn-Ghi, dans la soirée du 5 septembre – conversation que complétera une explication sommaire.

Et de prime abord, si quelques traits de caractère, quelques manies, la singularité de ses attitudes, la façon dont il s’exprimait, ont permis d’entrevoir la silhouette de cet Anglo-Saxon, il convient de faire connaître aussi ce Céleste, à son service, qui avait conservé les vêtements traditionnels du pays chinois, la chemisette «han chaol», la tunique «ma coual», la robe «haol» boutonnée sur le flanc, et le pantalon bouffant avec ceinture d’étoffe. S’il se nommait Gîn-Ghi, il méritait ce nom, qui au sens propre signifie «homme indolent». Et il l’était, indolent, et à un degré rare, devant la besogne comme devant le danger. Il n’eût pas fait dix pas pour exécuter un ordre; il n’en aurait pas fait vingt pour éviter un péril. Il fallait, c’est positif, que Jos Meritt eût une prodigieuse dose de patience pour garder un tel serviteur. A la vérité, c’était affaire d’habitude, car depuis cinq à six années ils voyageaient ensemble. L’un avait rencontré l’autre à San-Francisco, où les Chinois fourmillent, et il en avait fait son domestique «à l’essai», avait-il dit – essai qui se prolongerait sans doute jusqu’à la séparation suprême. A mentionner aussi, Gîn-Ghi, élevé à Hong-Kong, parlait l’anglais comme un natif de Manchester.

Du reste, Jos Meritt ne s’emportait guère, étant d’un tempérament

essentiellement flegmatique. S’il menaçait Gîn-Ghi des plus épouvantables tortures en usage dans le Céleste-Empire. – ouïe Ministère de la justice s’appelle, de son vrai nom, le Ministère des supplices,– il ne lui aurait pas donné une chiquenaude. Lorsque ses ordres n’étaient pas exécutés, il les exécutait lui-même. Cela simplifiait la situation. Peut-être le jour n’était-il pas éloigné où il servirait son serviteur. Très probablement, ce Chinois inclinait à le penser, et, à son sens, ce ne serait qu’équitable. Toutefois, en attendant cet heureux, revirement de fortune, Gîn-Ghi était contraint de suivre son maître n’importe où la vagabonde fantaisie entraînait cet original. Là-dessus, Jos Meritt ne transigeait pas. Il eût transporté sur ses épaules la malle de Gîn-Ghi plutôt que de laisser Gîn-Ghi en arrière, quand le train ou le paquebot allaient partir. Bon gré mal gré, «l’homme indolent» devait lui emboîter le pas, quitte à s’endormir en route dans la plus parfaite indolence. C’est ainsi que l’un avait accompagné l’autre pendant des milliers de milles sur l’ancien et le nouveau continent, et c’est en conséquence de ce système de locomotion continue que tous deux se trouvaient, à cette époque, dans la capitale de l’Australie méridionale.

«Bien!… Oh!… Très bien! avait dit ce soir-là Jos Meritt. Je pense que nos dispositions sont prises?…»

Et on ne s’explique guère pourquoi il interrogeait Gîn-Ghi à ce sujet, puisqu’il avait dû tout préparer de ses propres mains. Mais il n’y manquait jamais – pour le principe.

«Dix mille fois terminées, répondit le Chinois, qui n’avait pu se défaire des tournures phraséologiques, en honneur chez les habitants du Céleste-Empire.

– Nos valises?…

– Sont bouclées.

– Nos armes?…

– Sont en état.

– Nos caisses de vivres?…

– C’est vous-même, mon maître Jos, qui les avez mises en consigne à la gare. Et, d’ailleurs, est-il nécessaire de s’approvisionner de vivres… quand on est destiné à être mangé personnellement… un jour ou l’autre!

– Être mangé, Gîn-Ghi?… Bien!… Oh!… Très bien! Vous comptez donc toujours être mangé?

– Cela arrivera tôt ou tard, et il s’en est fallu de peu, il y a six mois, que nous n’ayons termine nos voyages dans le ventre d’un cannibale… moi surtout!

– Vous, Gîn-Ghi?…

– Oui, par l’excellente raison que je suis gras, tandis que vous, mon maître Jos, vous êtes maigre, et que ces gens-là me donneront sans hésiter la préférence!

– La préférence?… Bien!… Oh!… Très bien!

– Et puis les indigènes australiens n’ont-ils pas un goût particulier pour la chair jaune des Chinois, laquelle est d’autant plus délicate qu’ils se nourrissent de riz et do légumes?

– Aussi n’ai-je cessé de vous recommander de fumer, Gîn-Ghi, répondit le flegmatique Jos Meritt. Vous le savez, les anthropophages n’aiment pas la chair des fumeurs.»

Et c’est ce que faisait sans désemparer le prudent Céleste, fumant non de l’opium, mais le tabac que Jos Meritt lui fournissait à discrétion. Les Australiens, paraît-il, de même que leurs confrères en cannibalisme des autres pays, éprouvent une invincible répugnance pour la chair humaine, lorsqu’elle est imprégnée de nicotine. C’est pourquoi Gîn-Ghi travaillait en conscience à se rendre de plus en plus immangeable.

Mais était-il bien exact que son maître et lui se fussent déjà exposés à figurer dans un repas d’anthropophages, et non en qualité de convives? Oui, sur certaines parties de la côte d’Afrique, Jos Meritt et son serviteur avaient failli achever de cette façon leur existence aventureuse. Dix mois auparavant, dans le Queensland, à l’ouest de Rockhampton et de Gracemère, à quelques centaines do milles de Brisbane, leurs pérégrinations les avaient conduits au milieu des plus féroces tribus d’aborigènes. Là, le cannibalisme est à l’état endémique, pourrait-on dire. Aussi Jos Meritt et Gîn-Ghi, tombés entre les mains de ces noirs, eussent-ils infailliblement péri, sans l’intervention de la police. Délivrés à temps, ils avaient pu regagner la capitale du Queensland, puis Sydney, d’où le paquebot venait de les ramener à Adélaïde. En somme, cela n’avait pas corrigé l’Anglais de ce besoin d’exposer sa personne et celle de son compagnon, puisque, au dire de Gîn-Ghi, ils se préparaient à visiter le centre du continent australien.

«Et tout cela, pour un chapeau! s’écria le Chinois. Ay ya… Ay ya!… Lorsque j’y pense, mes larmes s’égrènent comme des gouttes de pluie sur les jaunes chrysanthèmes!

– Quand vous aurez fini d’égrener… Gîn-Ghi? répliqua Jos Meritt en fronçant son sourcil.

– Mais, ce chapeau, si vous le retrouvez jamais, mon maître Jos, ce ne sera plus qu’une loque…

– Assez, Gîn-Ghi!… Trop même!… Je vous défends de vous exprimer ainsi sur ce chapeau-là et sur n’importe quel autre! Vous m’entendez?… Bien!… Oh!… Très bien! Si cela recommence, je vous ferai administrer de quarante à cinquante coups de rotin sous la plante des pieds!

– Nous ne sommes pas en Chine, riposta Gîn-Ghi.

– Je vous priverai de nourriture!

– Cela me fera maigrir.

– Je vous couperai votre natte au ras du crâne!

– Couper ma natte?…

– Je vous mettrai à la diète de tabac!

– Le dieu Fô me protège!

– Il ne vous protégera pas.»

Et, devant cette dernière menace, Gîn-Ghi redevint soumis et respectueux.

En réalité, de quel chapeau s’agissait-il, et pourquoi Jos Meritt passait-il sa vie à courir après un chapeau?

Cet original, on l’a dit, était un Anglais de Liverpool, un de ces inoffensifs maniaques, qui n’appartiennent pas en propre au Royaume-Uni. Ne s’en rencontre-t-il pas sur les bords de la Loire, de l’Elbe, du Danube ou de l’Escaut, aussi bien que dans les contrées arrosées par la Tamise, la Clyde ou la Tweed? Jos Meritt était fort riche, et très connu dans le Lancastre et comtés voisins pour ses fantaisies de collectionneur. Ce n’étaient point des tableaux, des livres, des objets d’art, pas même des bibelots qu’il ramassait à grand effort et à grands frais. Non! C’étaient des chapeaux, – un musée de couvre-chefs historiques, – coiffures quelconques d’hommes ou de femmes, tremblons, tricornes, bicornes, pétases, calèches, clabauds, claques, gibus, casques, claque-oreilles, bousingots, barrettes, bourguignottes, calottes, turbans, toques, caroches, casquettes, fez, shakos, képis, cidares, colbacks, tiares, mitres, tarbouches, schapskas, poufs, mortiers de présidents, llantus des Incas, hennins du moyen âge, infules sacerdotaux, gasquets de l’Orient, cornes des doges, chrémeaux de baptême, etc., etc., des centaines et des centaines de pièces, plus ou moins lamentables, effilochées, sans fond et sans bords. A l’en croire, il possédait de précieuses curiosités historiques, le casque de Patrocle, lorsque ce héros fut tué par Hector au siège de Troie, le béret de Thémistocle à la bataille de Salamine, les barrettes de Galien et d’Hippocrate, le chapeau de César qu’un coup de vent avait emporté au passage du Rubicon, la coiffure de Lucrèce Borgia à chacun de ses trois mariages avec Sforze, Alphonse d’Este et Alphonse d’Aragon, le chapeau de Tamerlan quand ce guerrier franchit le Sind, celui de Gengis-Khan lorsque ce conquérant fit détruire Boukhara et Samarkande, la coiffure d’Elisabeth à son couronnement, celle de Marie Stuart lorsqu’elle s’échappa du château de Lockleven, celle de Catherine Il quand elle fut sacrée à Moscou, le suroët de Pierre-le-Grand lorsqu’il travaillait aux chantiers de Saardam, le claque de Marlborough à la bataille de Ramilies, celui d’Olaüs, roi de Danemark, tué à Sticklestad, le bonnet de Gessler que refusa de saluer Guillaume Tell, la toque de William Pitt quand il entra à vingt-trois ans au ministère, le bicorne de Napoléon Ier à Wagram, enfin cent autres non moins curieux. Son plus vif chagrin était de ne point posséder la calotte qui coiffait Noé le jour où l’arche s’arrêtait sur la cime du mont Ararat, et le bonnet d’Abraham au moment où ce patriarche allait sacrifier Isaac. Mais Jos Meritt ne désespérait pas de les découvrir un jour. Quant aux cidares que devaient porter Adam et Eve, lorsqu’ils furent chassés du paradis terrestre, il avait renoncé à se les procurer, des historiens dignes de foi ayant établi que le premier homme et la première femme avaient l’habitude d’aller nu-tête.

On voit, par cet étalage très succinct des curiosités du musée Jos Meritt, en quelles occupations vraiment enfantines s’écoulait la vie de cet original. C’était un convaincu, il ne doutait pas de l’authenticité de ses trouvailles, et ce qu’il lui avait fallu parcourir de pays, visiter de villes et de villages, fouiller de boutiques et d’échoppes, fréquenter de fripiers et de revendeurs, dépenser de temps et d’argent pour n’atteindre, après des mois de recherches, qu’une loque qu’on ne lui vendait qu’au poids de l’or! C’était le monde entier qu’il réquisitionnait afin de mettre la main sur quelque objet introuvable, et, maintenant qu’il avait épuisé les stocks de l’Europe, de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique, de l’Océanie par lui-même, par ses correspondants, par ses courtiers, par ses voyageurs de commerce, voici qu’il s’apprêtait à fouiller, jusque dans ses plus inabordables retraites, le continent australien!

Il y avait une raison à cela – raison que d’autres eussent sans doute regardée comme insuffisante, mais qui lui paraissait des plus sérieuses. Ayant été informé que les nomades de l’Australie se coiffaient volontiers de chapeaux d’homme ou de femme – en quel état de dépenaillement, on l’imagine! – sachant d’autre part que des cargaisons de ces vieux débris étaient régulièrement expédiées dans les ports du littoral, il en avait conclu qu’il y aurait peut-être là «quelque beau coup à faire», pour parler le langage des amateurs d’antiquailles.

Précisément, Jos Meritt était en proie à une idée fixe, tourmenté par un désir qui l’obsédait, qui menaçait de le rendre complètement fou, car il l’était à demi déjà. Il s’agissait, cette fois, de retrouver un certain chapeau, qui, à l’entendre, devait être l’honneur de sa collection.

Quelle était cette merveille? Par quel fabricant ancien ou moderne ce chapeau avait-il été confectionné? Sur quelle tête royale, noble, bourgeoise ou roturière, s’était-il posé et en quelle circonstance? Ce secret, Jos Meritt ne l’avait jamais confié à personne. Quoi qu’il en soit, à la suite de précieuses indications, en suivant une piste avec l’ardeur d’un Chingachgook ou d’un Renard-Subtil, il avait acquis cette conviction que ledit chapeau, après une longue série de vicissitudes, devait achever sa carrière sur le crâne de quelque notable d’une tribu australienne, en justifiant doublement sa qualification de «couvre-chef». S’il réussissait à le découvrir, Jos Meritt le paierait ce que l’on voudrait, il le volerait, si on ne voulait pas le lui vendre. Ce serait le trophée de cette campagne, qui l’avait déjà entraîné au nord-est du continent. Aussi, n’ayant pas réussi dans sa première tentative, se disposait-il à braver les trop réels dangers d’une expédition en Australie centrale. Voilà pourquoi Gîn-Ghi allait de nouveau s’exposer à finir son existence sous la dent des cannibales, et quels cannibales?… Les plus féroces de tous ceux dont il avait jusqu’alors affronté la mâchoire. Au fond, il faut bien le reconnaître, le serviteur était si attaché à son maître, – l’attachement de deux canards mandarins – autant par intérêt que par affection, qu’il n’aurait pu se séparer de lui.

«Demain matin nous partirons d’Adélaïde par l’express, dit Jos Meritt.

– A la deuxième veille?… répondit Gîn-Ghi.

– A la deuxième veille, si vous voulez, et faites en sorte que tout soit prêt pour le départ.

– Je ferai de mon mieux, mon maître Jos, en vous priant d’observer que je n’ai pas les dix mille mains de la déesse Couan-in!

– Je ne sais pas si la déesse Couan-in a dix mille mains, répondit Jos Meritt, mais je sais que vous en avez deux, et je vous prie de les employer à mon service…

– En attendant qu’on me les mange!

– Bien!… Oh!… Très bien!»

Et, sans doute, Gîn-Ghi ne se servit pas de ses mains plus activement que d’habitude, préférant s’en rapporter à son maître pour faire sa besogne. Donc, le lendemain les deux originaux quittaient Adélaïde, et le train les emportait à toute vapeur vers ces régions inconnues, où Jos Meritt espérait enfin découvrir le chapeau qui manquait à sa collection.

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1 Environ 4000 kilomètres.

2 United-States-America.