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Jules Verne

 

DEUX ANS DE VACANCES

 

(Chapitre VII-IX)

 

 

91 dessins par Benett et une Carte en couleurs

Bibliothèque D’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

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© Andrzej Zydorczak

 

 

 

Chapitre VII

Le bois de bouleaux. – Du haut de la falaise. – A travers la forêt. – Un barrage sur le creek. – Le rio conducteur. – Campement pour la nuit. – L’ajoupa. 
– La ligue bleuâtre. – Phann se désaltère.

 

riant, Doniphan, Wilcox et Service avaient quitte le campement du Sloughi a sept heures du matin. Le soleil, montant sur un ciel sans nuages, annonçait une de ces belles journées que le mois d’octobre réserve parfois aux habitants des zones tempérées dans l’hémisphère boréal. La chaleur ni le froid n’étaient à craindre. Si quelque obstacle devait retarder ou arrêter la marche, il serait uniquement dû à la nature du sol.

Tout d’abord, les jeunes explorateurs prirent obliquement à travers la grève, de manière à gagner le pied de la falaise. Gordon leur avait conseillé d’emmener Phann, dont l’instinct pourrait leur être très utile, et voilà pourquoi l’intelligent animal faisait partie de l’expédition.

Un quart d’heure après le départ, les quatre jeunes garçons avaient disparu sous le couvert du bois, qui fut rapidement franchi. Quelque menu gibier voletait sous les arbres. Mais, comme il ne s’agissait point de perdre son temps à le poursuivre, Doniphan, résistant à ses instincts, eut la sagesse de s’abstenir. Phann, lui-même, finit par comprendre qu’il se dépensait en allées et venues inutiles, et se tint près de ses maîtres, sans s’écarter plus qu’il ne convenait à son rôle d’éclaireur.

Le plan consistait à longer le soubassement de la falaise jusqu’au cap, situé au nord de la baie, si, avant d’arriver à son extrémité, il avait été impossible de la franchir. On marcherait alors vers la nappe d’eau signalée par Briant. Cet itinéraire, bien qu’il ne fût pas le plus court, avait l’avantage d’être le plus sûr. Quant à s’allonger d’un ou deux milles, ce n’était pas pour gêner des garçons vigoureux et bons marcheurs.

Dès qu’il eut atteint la falaise, Briant reconnut l’endroit où Gordon et lui s’étaient arrêtés lors de leur première exploration. Comme dans cette portion de la muraille calcaire il ne se trouvait aucune passe en redescendant vers le sud, c’était vers le nord qu’il fallait chercher un col praticable, dût-on remonter jusqu’au cap. Cela demanderait, sans doute, toute une journée; mais on ne pourrait procéder autrement, dans le cas où la falaise serait infranchissable sur son revers occidental.

C’est ce que Briant expliqua à ses camarades, et Doniphan, après avoir inutilement essayé de gravir une des pentes du talus, ne fît plus d’objection. Tous quatre suivirent alors le soubassement que bordait le dernier rang des arbres.

On marcha pendant une heure environ, et, comme il faudrait sans doute aller jusqu’au promontoire, Briant s’inquiétait de savoir si le passage serait libre. Avec l’heure qui s’avançait, la marée n’avait-elle pas déjà recouvert la grève? Ce serait près d’une demi-journée à perdre, en attendant que le jusant eût laissé à sec le banc de récifs.

«Hâtons-nous, dit-il, après avoir expliqué quel intérêt il y avait à devancer l’arrivée du flux.

– Bah! répondit Wilcox, nous en serons quittes pour nous mouiller les chevilles!

– Les chevilles et puis la poitrine et puis les oreilles! répliqua Briant. La mer monte de cinq à six pieds, au moins. Vraiment, je crois que nous aurions mieux fait de gagner directement le promontoire.

– Il fallait le proposer, répondit Doniphan. C’est toi, Briant, qui nous sers de guide, et si nous sommes retardés, c’est à toi seul qu’on devra s’en prendre!

– Soit, Doniphan! En tout cas, ne perdons pas un instant. – Où donc est Service?»

Et il appela:

«Service?… Service?»

Le jeune garçon n’était plus là. Après s’être éloigné avec son ami Phann, il venait de disparaître derrière un saillant de la falaise, à une centaine de pas sur la droite.

Mais, presque aussitôt, des cris se firent entendre en même temps que les aboiements du chien. Service se trouvait-il donc en face de quelque danger?

En un instant, Briant, Doniphan et Wilcox eurent rejoint leur camarade, qui s’était arrêté devant un éboulement partiel de la falaise – éboulement d’ancienne date. Par suite d’infiltrations, ou, simplement, sous l’action des intempéries qui avaient désagrégé la masse calcaire, une sorte de demi-entonnoir, la pointe en bas, s’était formé depuis à la crête de la muraille jusqu’au ras du sol. Dans le mur à pic s’ouvrait une gorge tronconique, dont les parois intérieures n’offraient pas des pentes de plus de quarante à cinquante degrés. En outre, leurs irrégularités présentaient une suite de points d’appui sur lesquels il serait facile de prendre pied. Des garçons, agiles et souples, devaient pouvoir, sans trop de peine, en atteindre l’arête supérieure, s’ils ne provoquaient pas quelque nouvel éboulement.

Bien que ce fût un risque, ils n’hésitèrent pas.

Doniphan s’élança le premier sur l’amoncellement des pierres entassées à la base.

«Attends!… Attends!… lui cria Briant. Il est inutile de faire une imprudence!»

Mais Doniphan ne l’écouta pas, et, comme il mettait son amour-propre à devancer ses camarades – Briant surtout – il fut bientôt arrivé à mi-hauteur de l’entonnoir.

Ses camarades l’avaient imité en évitant de se placer directement au-dessous de lui, afin de ne point être atteints par les débris qui se détachaient du massif et rebondissaient jusqu’au sol.

Tout se passa bien, et Doniphan eut la satisfaction de mettre le pied sur la crête de la falaise avant les autres qui arrivèrent un peu après lui.

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Déjà Doniphan avait tiré sa lunette de l’étui, et il la promenait à la surface des forêts qui s’étendaient à perte de vue dans la direction de l’est.

Là apparaissait le même panorama de verdure et de ciel que Briant avait observé du haut du cap – un peu moins profond toutefois, car ce cap dominait la falaise d’une centaine de pieds.

«Eh bien? demanda Wilcox, tu ne vois rien?…

– Absolument rien! répliqua Doniphan.

– A mon tour de regarder,» dit Wilcox.

Doniphan remit la lunette à son camarade, non sans qu’une visible satisfaction se fût peinte sur son visage.

«Je n’aperçois pas la moindre ligne d’eau! dit Wilcox, après avoir abaissé sa lunette.

– Cela tient probablement, répondit Doniphan, à ce qu’il n’y en a point de ce côté. Tu peux regarder, Briant, et je pense que tu reconnaîtras ton erreur…

– C’est inutile! répondit Briant. Je suis certain de ne pas m’être trompé!

– Voilà qui est fort!… Nous ne voyons rien…

– C’est tout naturel, puisque la falaise est moins élevée que le promontoire, – ce qui diminue la portée du regard. Si nous étions à la hauteur où j’étais placé, la ligne bleue apparaîtrait aune distance de six ou sept milles. Vous verriez alors qu’elle est bien là où je l’ai signalée, et qu’il est impossible de la confondre avec une bande de nuages!

– C’est aisé à dire!… fit observer Wilcox.

– Et non moins à constater, répondit Briant. Franchissons le plateau de la falaise, traversons les forêts, et marchons devant nous jusqu’à ce que nous soyons arrivés…

– Bon! répondit Doniphan, cela pourrait nous mener loin, et je ne sais vraiment pas si c’est la peine…

– Reste, Doniphan, répondit Briant, qui, fidèle aux conseils de Gordon, se contenait malgré le mauvais vouloir de son camarade. Reste!… Service et moi, nous irons seuls…

– Nous irons aussi! répliqua Wilcox. – En route, Doniphan, en route!

– Quand nous aurons déjeuné!» répondit Service.

En effet, il convenait de prendre un bon acompte avant de partir. C’est ce qui fut fait en une demi-heure; puis on se remit en marche.

Le premier mille fut rapidement enlevé. Le sol herbeux ne présentait aucun obstacle. Ça et là, des mousses et des lichens recouvraient de petites tumescences pierreuses. Quelques arbrisseaux se groupaient de loin en loin, suivant leurs espèces: ici des fougères arborescentes ou des lycopodes; là, des bruyères, des épines-vinettes, des bouquets de houx aux feuilles acérées, ou des touffes de ces «berbéris» a fouilles coriaces qui se multiplient même sous de plus hautes latitudes.

Lorsque Briant et ses camarades eurent franchi le plateau supérieur, ce ne fut pas sans peine qu’ils parvinrent à redescendre le revers opposé de la falaise, presque aussi élevé et aussi droit que du côté de la baie. Sans le lit à demi desséché d’un torrent, dont les sinuosités rachetaient la raideur des pentes, ils auraient été contraints de revenir jusqu’au promontoire.

La forêt une fois atteinte, la marche devint plus pénible sur un sol embarrassé de plantes vigoureuses, hérissé de hautes herbes. Fréquemment, des arbres abattus l’obstruaient, et le fourré était si épais qu’il fallait s’y frayer un chemin. Les jeunes garçons jouaient alors de la hache, comme ces pionniers qui s’aventurent à travers les forêts du Nouveau-Monde. C’étaient, à chaque instant, des arrêts, pendant lesquels les bras se fatiguaient plus que les jambes. De là, bien des retards, et le chemin, parcouru depuis le matin jusqu’au soir ne se chiffrerait certainement pas par plus de trois à quatre milles.

En vérité, il semblait que jamais êtres humains n’eussent pénétré sous le couvert de ces bois. Du moins, on n’en relevait nulle trace. Le plus étroit sentier eût suffi à témoigner de leur passage, et il n’en existait aucun. L’âge ou quelque bourrasque avaient seuls renversé ces arbres, non la main de l’homme. Les herbes, foulées à de certaines places, n’indiquaient qu’une passée récente d’animaux de moyenne taille, dont on vit quelques-uns s’enfuir, sans pouvoir reconnaître à quelle espèce ils appartenaient. En tout cas, ils devaient être peu redoutables, puisqu’ils se mettaient si rapidement hors de portée.

Certes la main lui démangeait, à cet impatient Doniphan, de saisir son fusil et de le décharger sur ces craintifs quadrupèdes! Mais la raison aidant, Briant n’eut point à intervenir pour empêcher son camarade de commettre une imprudence en révélant leur présence par un coup de feu.

Cependant, si Doniphan avait compris qu’il devait imposer silence à son arme favorite, les occasions de la faire parler auraient été fréquentes. A chaque pas s’envolaient de ces perdrix de l’espèce des tinamous, d’un goût très délicat, ou d’autres de l’espèce des endromies, plus connues sous le nom de martinettes; puis aussi, des grives, des oies sauvages, des grouses, sans compter nombre de volatiles qu’il eût été facile d’abattre par centaines.

En somme, pour le cas où l’on séjournerait dans cette région, la chasse pourrait fournir une abondante nourriture. C’est ce que Doniphan se borna à constater dès le début de l’exploration, quitte à se dédommager plus tard de la réserve que lui imposaient les circonstances.

Les essences de ces forêts appartenaient plus particulièrement aux diverses variétés des bouleaux et des hêtres qui développaient leur ramure d’un vert tendre jusqu’à cent pieds au-dessus du sol. Parmi les autres arbres figuraient des cyprès de belle venue, des myrtacées à bois rougeâtre et très dense, et des groupes magnifiques de ces végétaux, nommés «winters», dont l’écorce répand un arôme qui se rapproche de celui de la canelle.

Il était deux heures, lorsqu’une seconde halte fut faite au milieu d’une étroite clairière traversée par un rio peu profond – ce qu’on appelle un «creek» dans l’Amérique du Nord. Les eaux de ce creek, d’une limpidité parfaite, coulaient doucement sur un lit de roches noirâtres. A voir son cours paisible et peu profond, que n’embarrassaient encore ni bois mort ni herbes en dérive, on pouvait croire que ses sources ne devaient pas être éloignées. Quant à le franchir, rien de plus facile en passant sur les pierres dont il était semé. Et même, en un certain endroit, des pierres plates étaient juxtaposées avec assez de symétrie pour attirer l’attention.

«Voilà qui est singulier!» dit Doniphan.

En effet, il y avait là comme une sorte de chaussée, établie d’un bord à l’autre.

«On dirait un barrage! s’écria Service, qui se disposait à le traverser.

– Attends!… Attends! lui répondit Briant. Il faut nous rendre compte de l’arrangement de ces pierres!

– Il n’est pas admissible, ajouta Wilcox qu’elles se soient ainsi placées toutes seules!

– Non, dit Briant, et il semble qu’on ait voulu établir un passage en cet endroit du rio… Voyons de plus près.»

On examina alors avec soin chacun des éléments de cette étroite chaussée, qui n’émergeait que de quelques pouces seulement et devait être inondée pendant la saison des pluies.

En somme, pouvait-on dire si c’était la main de l’homme qui avait disposé ces dalles en travers du creek pour faciliter le passage du cours d’eau? Non. Ne valait-il pas mieux croire qu’entraînées par la violence du courant à l’époque des crues, elles s’étaient peu à peu amoncelées en formant un barrage naturel? Telle fut même la manière la plus simple d’expliquer l’existence de cette chaussée, et que Briant et ses camarades adoptèrent, après un minutieux examen.

Il faut ajouter que ni la rive gauche ni la rive droite ne portaient d’autres indices et rien ne prouvait que le pied d’un homme eût jamais foulé le sol de cette clairière.

Quant au creek, son cours se dirigeait vers le nord-est, à l’opposé de la baie. Se jetait-il donc dans cette mer que Briant affirmait avoir aperçue du haut du cap?

«A moins, dit Doniphan, que ce rio ne soit tributaire d’une rivière plus importante qui reviendrait vers le couchant?

– Nous le verrons bien, répondit Briant, qui trouva inutile de recommencer une discussion à ce sujet. Cependant, tant qu’il coulera vers l’est, je pense que nous ferons bien de le suivre, s’il ne fait pas trop de détours.»

Les quatre jeunes garçons se mirent en marche, après avoir eu soin de franchir le creek sur la chaussée, – afin de ne point avoir à le traverser en aval et peut-être dans des conditions moins favorables.

Il fut assez facile de suivre la berge, sauf en quelques endroits, où certains groupes d’arbres trempaient leurs, racines dans l’eau vive, tandis que leurs brandies se rejoignaient d’une rive à l’autre. Si le creek faisait parfois un coude brusque, sa direction générale, relevée à la boussole, était toujours vers l’est. Quant à son embouchure, elle devait être encore éloignée, puisque le courant ne gagnait pas en vitesse, ni le lit en largeur.

Vers cinq heures et demie, Briant et Doniphan durent constater, non sans regret, que le cours du creek prenait franchement vers le nord. Cela pouvait les entraîner loin, s’ils continuaient à le suivre comme un fil conducteur, et dans une direction qui les éloignait manifestement de leur but. Ils furent donc d’accord pour abandonner la berge et reprendre route, vers l’est, au plus épais des bouleaux et des hêtres.

Cheminement très pénible? Au milieu des hautes herbes qui dépassaient parfois leur tête, ils étaient forcés de s’appeler pour ne point se perdre de vue.

Comme, après toute une journée de marche, rien n’indiquait encore le voisinage d’une nappe d’eau, Briant ne laissait pas d’être inquiet. Aurait-il donc été le jouet d’une illusion, quand il obsédait l’horizon du haut du cap?…

«Non!… Non!… se répétait-il. Je ne me suis pas trompé!… Cela ne peut être!… Cela n’est pas!»

Quoiqu’il en fût, vers sept heures du soir, la limite de la forêt n’avait pas même été atteinte, et l’obscurité était déjà trop grande pour permettre de se diriger.

Briant et Doniphan résolurent de faire halte et de passer la nuit à l’abri des arbres. Avec un bon morceau de corn-beef, on ne souffrirait pas de la faim. Avec de bonnes couvertures, on ne souffrirait pas du froid. D’ailleurs, rien n’aurait empêché d’allumer un feu de branches mortes, si cette précaution, excellente contre les animaux, n’eût été compromettante pour le cas où quelque indigène se fût approché pendant la nuit.

«Mieux vaut ne point courir le risque d’être découverts,» fit observer Doniphan.

Tous furent de son avis, et l’on ne s’occupa plus que du souper. Ce n’était pas l’appétit qui leur manquait. Après avoir fait un fort emprunt aux provisions de voyage, ils se disposaient à s’étendre au pied d’un énorme bouleau, lorsque Service montra, à quelques pas, un épais fourré. De ce fourré – autant qu’on en pouvait juger dans l’ombre – sortait un arbre de médiocre hauteur, dont les basses branches retombaient jusqu’à terre. Ce fut là, sur un amas de feuilles sèches, que tous quatre se couchèrent, après s’être enveloppés de leurs couvertures. A leur âge, le sommeil ne fait jamais défaut. Aussi dormirent-ils d’une seule traite, tandis que Phann, bien qu’il fût chargé de veiller sur eux, imitait ses jeunes maîtres.

Une ou deux fois, cependant, le chien fit entendre un grognement prolongé. Évidemment, quelques animaux, fauves ou autres, rôdaient dans la forêt; mais ils ne vinrent point à proximité du campement.

Il était près de sept heures, lorsque Briant et ses compagnons se réveillèrent. Les rayons obliques du soleil éclairaient vaguement encore l’endroit où ils avaient passé la nuit.

Service fut le premier à sortir du fourré, et, alors, ses cris de retentir, ou plutôt des exclamations de surprise.

«Briant!… Doniphan!… Wilcox!… Venez!… Amenez donc!

– Et qu’y a-t-il? demanda Briant.

– Oui! qu’y a-t-il? – demanda Wilcox. Avec sa manie de toujours crier, Service nous fait des peurs!…

– C’est bon… c’est bon!… répondit Service. En attendant, voyez où nous avons couché!»

Ce n’était point un fourré, c’était une cabane de feuillage, une de ces huttes que les Indiens appellent «ajoupas» et qui sont faites de branchages entrelacés. Cet ajoupa devait être de construction ancienne, car sa toiture et ses parois ne le soutenaient guère que grâce à l’arbre contre lequel il s’appuyait et dont la ramure habillait de neuf cette hutte, semblable à celles qui servent aux indigènes du Sud-Amérique.

«Il y a donc des habitants?… dit Doniphan, en jetant de rapides regards autour de lui.

– Ou, du moins, il y en a eu, répondit Briant, car cette cabane ne s’est pas construite toute seule!

– Cela expliquerait l’existence de la chaussée jetée en travers du creek! fit observer Wilcox.

– Eh! tant mieux! s’écria Service. S’il y a des habitants, ce sont de braves gens, puisqu’ils ont bâti cette hutte tout exprès pour que nous y passions la nuit!»

En réalité, rien n’était moins certain que les indigènes de ce pays fussent de braves gens, comme le disait Service. Ce qui était manifeste, c’est que des indigènes fréquentaient ou avaient fréquenté cette partie de la forêt à une époque plus ou moins éloignée. Or, ces indigènes ne pouvaient être que des Indiens, si cette contrée se rattachait au Nouveau-Continent, ou des Polynésiens et même des Cannibales, si c’était une île appartenant à l’un des groupes de l’Océanie!… Cette dernière éventualité eût été grosse de périls, et, plus que jamais, il importait que la question fût résolue.

Aussi Briant allait-il repartir, lorsque Doniphan proposa de visiter minutieusement cette hutte, qui, d’ailleurs, semblait avoir été abandonnée depuis longtemps.

Peut-être s’y trouverait-il un objet quelconque, un ustensile, un instrument, un outil, dont on parviendrait à reconnaître l’origine?

La litière de feuilles sèches, étendue sur le sol de l’ajoupa, fut retournée avec soin, et, dans un coin, Service ramassa un fragment de terre cuite, qui devait provenir d’une écuelle ou d’une gourde… Nouvel indice du travail de l’homme, mais qui n’apprenait rien de plus. Il n’y avait donc qu’à se remettre en route.

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Dès sept heures et demie, les jeunes garçons, la boussole à la main, se dirigèrent franchement vers l’est, sur un sol dont la déclivité s’accusait légèrement. Ils allèrent ainsi pendant deux heures, lentement, bien lentement, au milieu d’inextricables fouillis d’herbes et d’arbrisseaux, et, à deux ou trois reprises, ils durent se frayer un passage à la hache.

Enfin, un peu avant dix heures, apparut un horizon autre que l’interminable rideau des arbres. Au delà de la forêt s’étendait une large plaine, semée de lentisques, de thyms, de bruyères. A un demi-mille dans l’est, elle était circonscrite par une bande de sable que venait doucement battre le ressac de cette mer, entrevue par Briant, qui s’étendait jusqu’aux limites de l’horizon…

Doniphan se taisait. Il lui en coûtait, à ce vaniteux garçon, de reconnaître que son camarade n’avait point fait erreur.

Cependant, Briant, qui ne cherchait pas à triompher, examinait ces parages, sa lunette aux yeux.

Au nord, la côte, vivement éclairée par les rayons du soleil, se courbait un peu sur la gauche.

Au sud, même aspect, si ce n’est que le littoral s’arrondissait par une courbe plus prononcée.

Il n’y avait plus à douter maintenant! Ce n’était pas un continent, c’était bien une île sur laquelle la tempête avait jeté le schooner, et il fallait renoncer à tout espoir d’en sortir, s’il ne venait aucun secours du dehors.

D’ailleurs, au large, pas d’autre terre en vue. Il semblait que cette île fût isolée et comme perdue au milieu des immensités du Pacifique!

Cependant, Briant, Doniphan, Wilcox et Service, ayant traversé la plaine, qui s’étendait jusqu’à la grève, avaient fait halte au pied d’un monticule de sable. Leur intention était de déjeuner, puis de reprendre route à travers la forêt. Peut-être, en se pressant, ne leur serait-il pas impossible d’être de retour au Sloughi avant la tombée de la nuit.

Pendant le repas qui fut assez triste, ils échangèrent à peine quelques paroles.

Enfin, Doniphan, ramassant son sac et son fusil, se releva et ne dit que ce mot:

«Partons».

Et tous quatre, après avoir jeté un dernier regard sur cette mer, se disposaient à retraverser la plaine, lorsque Phann partit en gambadant du côté de la grève.

«Phann!… Ici, Phann!» cria Service.

Mais le chien continua de courir on humant le sable humide. Puis, s’élançant d’un bond au milieu des petites lames du ressac, il se mit à boire avidement.

«Il boit!… Il boit!…» s’écria Doniphan.

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En un instant, Doniphan eut traversé la bande de sable et porté à ses lèvres un peu de cette eau à laquelle se désaltérait Phann… Elle était douce!

C’était un lac qui s’étendait jusqu’à l’horizon dans l’est… Ce n’était point une mer!

 

 

Chapitre VIII

Reconnaissance dans l’ouest du lac. – En descendant la rive. – Autruches entrevues. – Un rio qui sort du lac. – Nuit tranquille. – Le contrefort 
de la falaise. – Une digue. – Débris de canot. – L’inscription. – La caverne.

 

insi, l’importante question, de laquelle dépendait le salut des jeunes naufragés, n’était pas définitivement résolue. Que cette prétendue mer fût un lac, nul doute à cet égard. Mais n’était-il pas possible que ce lac appartînt à une île? En prolongeant l’exploration au delà, ne serait-ce pas une véritable mer que l’on découvrirait – une mer qu’il n’y aurait aucun moyen de franchir?

Toutefois, ce lac présentait des dimensions assez considérables, puisqu’un horizon de ciel – c’est ce que fit observer Doniphan – se dessinait sur les trois quarts de son périmètre. Il était très admissible, dès lors, qu’on devait être sur un continent non sur une île.

«Ce serait donc le continent américain sur lequel nous aurions fait naufrage, dit Briant.

– Je l’ai toujours cru, répondit Doniphan, et il paraît que je ne me trompais point!

– En tout cas, reprit Briant, c’était bien une ligne d’eau que j’avais aperçue dans l’est…

– Soit, mais ce n’est point une mer!»

Et, cette réplique laissait paraître chez Doniphan une satisfaction qui prouvait plus de vanité que de cœur. Quant à Briant, il n’insista pas. D’ailleurs, dans l’intérêt commun, mieux valait qu’il se fût trompé. Sur un continent, on ne serait pas prisonnier comme on l’eut été dans une île. Cependant, il serait nécessaire d’attendre une époque plus favorable pour entreprendre un voyage vers l’est. Les difficultés éprouvées, rien que pour venir du campement au lac, durant un parcours de quelques milles seulement, seraient autrement grandes, lorsqu’il s’agirait de cheminer longtemps avec la petite troupe au complet. On était déjà au commencement d’avril, et l’hiver austral est plus précoce que celui de la zone boréale. On ne pouvait songer à partir que la belle saison fût de retour.

Et pourtant, sur cette baie de l’ouest, incessamment battue par les vents du large, la situation ne serait pas longtemps tenable. Avant la fin du mois, il y aurait nécessité de quitter le schooner. Aussi, puisque Gordon et Briant n’avaient pu découvrir une caverne dans le soubassement occidental de la falaise, fallait-il reconnaître si l’on ne pouvait s’établir dans de meilleures conditions du côté du lac. Il convenait donc d’en visiter soigneusement les abords? Cette exploration s’imposait, dût-elle retarder le retour d’un jour ou deux. Sans doute, ce serait causer à Gordon de vives inquiétudes; mais Briant et Doniphan n’hésitèrent pas. Leurs provisions pouvaient durer quarante-huit heures encore, et, rien ne faisant prévoir un changement de temps, il fut décidé que l’on descendrait vers le sud en côtoyant le lac.

Et puis, autre motif, qui devait engager à pousser plus loin les recherches.

Incontestablement, cette partie du territoire avait été habitée, ou, tout au moins, fréquentée par les indigènes. La chaussée, jetée en travers du creek, l’ajoupa, dont la construction trahissait la présence de l’homme à une époque plus ou moins récente, étaient autant de preuves qui voulaient être complétées, avant de procéder à une nouvelle installation en vue de l’hiver. Peut-être d’autres indices viendraient-ils s’ajouter aux indices déjà relevés? A défaut d’indigènes, ne pouvait-il se faire qu’un naufragé eût vécu là jusqu’au moment où il avait enfin atteint une des villes de ce continent? Cela valait assurément la peine de prolonger l’exploration de la contrée riveraine du lac.

La seule question était celle-ci: Briant et Doniphan devaient-ils se diriger vers le sud ou vers le nord? Mais, comme de descendre vers le sud les rapprochait du Sloughi, ils résolurent de se porter dans cette direction. On verrait, plus tard, s’il ne serait pas opportun de remonter vers l’extrémité du lac.

Cela résolu, dès huit heures et demie, tous quatre se mirent en marche, à travers les dunes herbeuses qui mamelonnaient la plaine, limitée à l’ouest par des masses de verdure.

Phann furetait en avant et faisait lever des bandes de tinamous, qui allaient se remiser à l’abri des bouquets de lentisques ou de fougères. Là poussaient des touffes d’une sorte de canneberge rouge et blanche et des plants de céleri sauvage, dont on pourrait faire un emploi très hygiénique; mais les fusils devaient se garder de donner l’éveil, vu qu’il était possible que les environs du lac fussent visités par des tribus indigènes.

En suivant la rive, tantôt au pied des dunes, tantôt sur la bande de sable, les jeunes garçons purent, sans trop de fatigues, enlever une dizaine de milles pendant cette journée. Ils n’avaient point trouvé trace d’indigènes. Aucune fumée ne se dégageait du massif des arbres. Aucune empreinte de pas ne marquait le sable que mouillaient les ondulations de cette nappe d’eau, dont on ne voyait pas la limite au large. Il semblait seulement que sa rive occidentale s’infléchissait vers le sud comme pour se refermer en cette direction. D’ailleurs, elle était absolument déserte. Ni une voile ne se montrait sur son horizon, ni une pirogue à sa surface. Si ce territoire avait été habité, il ne paraissait plus l’être actuellement.

Quant aux animaux fauves ou ruminants, on n’en vit aucun. A deux ou trois reprises, dans l’après-midi, quelques volatiles apparurent à la lisière de la forêt, sans qu’il fût possible de les approcher. Ce qui n’empêcha pas Service de s’écrier:

«Ce sont des autruches!

– De petites autruches, en ce cas, répondit Doniphan. car elles sont de médiocre taille!

– Si ce sont des autruches, répliqua Briant, et si nous sommes sur un continent…

– Est-ce que tu en douterais encore? répliqua ironiquement Doniphan.

– Ce doit être le continent américain où ces animaux se rencontrent en grand nombre, répondit Briant. C’est là tout ce que je voulais dire!»

Vers sept heures du soir, une halte fut organisée. Le lendemain, à moins d’obstacles imprévus, la journée serait employée à regagner Sloughi-bay (baie Sloughi) – nom qui fut alors donné à cette partie du littoral où s’était perdu le schooner.

D’ailleurs, ce soir-là, il n’eût pas été possible d’aller plus loin dans la direction du sud. En cet endroit coulait un de ces rios par lesquels s’épanchaient les eaux du lac, et qu’il aurait fallu franchir à la nage. L’obscurité, d’ailleurs, ne permettait de voir qu’imparfaitement la disposition des lieux, et il semblait bien qu’une falaise venait border la rive droite de ce cours d’eau.

Briant, Doniphan, Wilcox et Service, après avoir soupé, ne songèrent plus qu’à prendre du repos, – à la belle étoile, cette fois, faute d’une hutte. Mais elles étaient si étincelantes, les étoiles qui brillaient au firmament, tandis que le croissant de la lune allait disparaître au couchant du Pacifique!

Tout était tranquille sur le lac et sur la grève. Les quatre garçons, nichés entre les énormes racines d’un hêtre, s’endormirent d’un sommeil si profond que les éclats de la foudre n’auraient pu l’interrompre. Pas plus que Phann, ils n’entendirent ni des aboiements assez rapprochés, qui devaient être des aboiements de chacal, ni des hurlements plus éloignés, qui devaient être des hurlements de fauves. En ces contrées, ou les autruches vivaient à l’état sauvage, on pouvait redouter l’approche des jaguars ou des couguars, qui sont le tigre et le lion de l’Amérique méridionale. Mais la nuit se passa sans incidents. Toutefois, vers quatre heures du matin, l’aube n’ayant pas encore commencé à blanchir l’horizon au-dessus du lac, le chien donna des signes d’agitation, grondant sourdement, flairant le sol comme s’il eût voulu se mettre en quête.

Il était près de sept heures, lorsque Briant réveilla ses camarades, étroitement blottis sous leurs couvertures.

Tous furent aussitôt sur pied, et, tandis que Service grignotait un morceau de biscuit, les trois autres vinrent prendre un premier aperçu de la contrée au delà du cours d’eau.

«En vérité, s’écria Wilcox, nous avons joliment fait de ne point chercher hier soir à franchir ce rio, nous serions tombés en plein marécage!

– En effet, répondit Briant, c’est un marais qui s’étend vers le sud, et dont on n’aperçoit pas la fin!

– Voyez! s’écria Doniphan, voyez les nombreuses bandes de canards, de sarcelles, de bécassines qui volent à sa surface! Si l’on pouvait s’installer ici pour l’hiver, on serait assure de ne jamais manquer de gibier!

– Et pourquoi pas?» répondit Briant, qui se dirigea vers la rive droite du rio.

En arrière se dressait une haute falaise que terminait un contrefort coupé à pic. De ses deux revers, qui se rejoignaient presque à angle droit, l’un se dirigeait latéralement à la berge de la petite rivière, tandis que l’autre faisait face au lac. Cette falaise, était-ce la même qui encadrait Sloughi-bay en se prolongeant vers le nord-ouest? C’est ce qu’on ne saurait qu’après avoir fait une reconnaissance plus complète de la région.

Quant au rio, si sa rive droite, large d’une vingtaine de pieds, longeait la base des hauteurs avoisinantes, sa rive gauche, très basse, se distinguait à peine des entailles, des flaques, des fondrières de cette plaine marécageuse qui se développait à perte de vue vers le sud. Pour relever la direction du cours d’eau, il serait nécessaire de gravir la falaise, et Briant se promettait bien de ne pas reprendre la route de Sloughi-bay qu’il n’eût accompli cette ascension.

En premier lieu, il s’agissait d’examiner le rio à l’endroit où les eaux du lac se déversaient dans son lit. Il ne mesurait là qu’une quarantaine de pieds de large, mais devait gagner en largeur comme en profondeur, à mesure qu’il se rapprochait de son embouchure, pour peu qu’il reçût quelque affluent, soit du marécage, soit des plateaux supérieurs.

«Eh! voyez donc!» s’écria Wilcox, au moment où il venait d’atteindre le pied du contrefort.

Ce qui attirait son attention, c’était un entassement de pierres, formant une sorte de digue – disposition analogue à celle qui avait été déjà observée dans la forêt.

«Plus de doute, cette fois! dit Briant.

– Non!… plus de doute!» répondit Doniphan, en montrant des débris de bois, à l’extrémité de la digue.

Ces débris étaient certainement ceux d’une coque d’embarcation, entre autres, une pièce de bois à demi pourrie et verte de mousse, dont la courbure indiquait un morceau d’étrave, auquel pendait encore un anneau de fer, rongé par la rouille.

«Un anneau!… un anneau!» s’écria Service.

Et tous, immobiles, regardaient autour d’eux, comme si l’homme qui s’était servi de ce canot, qui avait élevé cette digue, eût été sur le point d’apparaître!

Non!… Personne! Bien des années, s’étaient écoulées depuis que cette embarcation avait été délaissée sur le bord du rio. Ou l’homme, dont la vie s’était passée là avait revu ses semblables, ou sa misérable existence s’était éteinte sur cette terre, sans qu’il eût pu la quitter.

On comprend donc l’émotion de ces jeunes garçons devant ces témoignages d’une intervention humaine qu’il n’était plus permis de contester!

C’est alors qu’ils remarquèrent les singulières allures du chien. Phann était certainement tombé sur une piste. Ses oreilles se redressaient, sa queue s’agitait violemment, son museau humait le sol, en se fourrant sous les herbes.

«Voyez donc Phann! dit Service.

– Il a senti quelque chose!» répondit Doniphan, qui s’avança vers le chien.

Phann venait de s’arrêter, une patte levée, la gueule tendue. Puis, brusquement, il s’élança vers un bouquet d’arbres qui se groupaient au pied de la falaise du côté du lac.

Briant et ses camarades le suivirent. Quelques instants après, ils faisaient halte devant un vieux hêtre, sur l’écorce duquel étaient gravées deux lettres et une date, disposées de cette façon:

F B

1807

Briant, Doniphan, Wilcox et Service seraient longtemps restés muets et immobiles devant cette inscription, si Phann, revenant sur ses pas, n’eût disparu à l’angle du contrefort.

«Ici, Phann, ici!…» cria Briant.

Le chien ne revint pas, mais ses aboiements précipités se firent entendre.

«Attention, nous autres! dit Briant. Ne nous séparons pas, et soyons sur nos gardes!»

En effet, on ne pouvait agir avec trop de circonspection. Peut-être une bande d’indigènes se trouvait-elle dans le voisinage, et leur présence eût été plus à craindre qu’à désirer, si c’étaient de ces farouches Indiens qui infestent les pampas du Sud-Amérique.

Les fusils furent armés, les revolvers tenus à la main, prêts pour la défensive.

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Les jeunes garçons se portèrent en avant; puis, ayant tourné le contrefort, ils se glissèrent le long de la berge resserrée du rio. Ils n’avaient pas fait vingt pas, que Doniphan se baissait pour ramasser un objet sur le sol.

C’était une pioche, dont le fer tenait à peine à un manche à demi pourri, – une pioche d’origine américaine ou européenne, non un de ces outils grossiers fabriqués par des sauvages polynésiens. Comme l’anneau de l’embarcation, elle était profondément oxydée, et mil doute que, depuis bien des années, elle eût été abandonnée en cet endroit.

Là aussi, au pied de la falaise, se voyaient des traces de culture, quelques sillons irrégulièrement tracés, un petit carré d’ignames que le défaut de soins avait ramenés à l’état sauvage.

Tout à coup, un lugubre aboiement traversa l’air. Presque aussitôt, Phann reparut, en proie à une agitation plus inexplicable encore. Il tournait sur lui-même, il courait au-devant de ses jeunes maîtres, il les regardait, il les appelait, il semblait les inviter à le suivre.

«Il y a certainement quelque chose d’extraordinaire! dit Briant, qui cherchait vainement à calmer le chien.

– Allons où il veut nous mener!» répondit Doniphan, en faisant signe à Wilcox et à Service de le suivre.

Dix pas plus loin, Phann vint se dresser devant un amas de broussailles et d’arbustes, dont les branches s’enchevêtraient à la base même de la falaise.

Briant s’avança pour voir si cet amas ne cachait pas le cadavre d’un animal ou même celui d’un homme, sur la piste duquel Phann serait tombé… Et voilà qu’en écartant les broussailles, il aperçut une étroite ouverture.

«Y a-t-il donc là une caverne? s’écria-t-il en reculant de quelques pas.

– C’est probable, répondit Doniphan. Mais qu’y a-t-il dans cette caverne.

– Nous le saurons!» dit Briant.

Et, avec sa hache, il se mit à tailler largement dans les branchages qui obstruaient l’orifice. Cependant, en prêtant l’oreille, on n’entendait aucun bruit suspect.

Aussi Service se disposait-il à se glisser par l’orifice qui avait été rapidement dégagé, lorsque Briant lui dit:

«Voyons d’abord ce que Phann va faire!»

Le chien laissait toujours échapper de sourds aboiements qui n’étaient pas faits pour rassurer.

Et pourtant, si un être vivant eût été caché dans cette caverne, il en fût déjà sorti!…

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Il fallait savoir à quoi s’en tenir. Toutefois, comme il se pouvait que l’atmosphère fût viciée à l’intérieur de la caverne, Briant lança à travers l’ouverture une poignée d’herbes sèches qu’il venait d’allumer. Ces herbes, en s’éparpillant sur le sol, brûlèrent vivement, preuve que l’air était respirable.

«Entrons-nous?… demanda Wilcox.

– Oui, répondit Doniphan.

– Attendez au moins que nous y voyions clair!» dit Briant.

Et, ayant coupé une branche résineuse à l’un des pins qui poussaient sur le bord du rio, il l’enflamma; puis, suivi de ses camarades, il se glissa entre les broussailles.

A l’entrée, l’orifice mesurait cinq pieds de haut sur deux de large; mais, il s’élargissait brusquement pour former une excavation haute d’une dizaine de pieds sur une largeur double, et dont le sol était formé d’un sable très sec et très fin.

En y pénétrant, Wilcox heurta un escabeau de bois, placé près d’une table, sur laquelle se voyaient quelques ustensiles de ménage, une cruche de grès, de larges coquilles qui avaient dû servir d’assiettes, un couteau à lame ébréchée et rouillée, deux ou trois hameçons de pêche, une tasse de fer-blanc, vide ainsi que la cruche. Près de la paroi opposée se trouvait une sorte de coffre, fait de planches grossièrement ajustées, et qui contenait des lambeaux de vêtements.

Ainsi, nul doute que cette excavation eût été habitée. Mais à quelle époque, et par qui? L’être humain qui avait vécu là, gisait-il dans quelque coin?…

Au fond était dressé un misérable grabat que recouvrait une couverture de laine en lambeaux. A son chevet, sur un banc, il y avait une seconde tasse et un chandelier de bois, dont le godet ne conservait plus qu’un bout de mèche carbonisée.

Les jeunes garçons reculèrent tout d’abord à la pensée que cette couverture cachait un cadavre.

Briant, maîtrisant sa répugnance, la releva…

Le grabat était vide.

Un instant après, très vivement impressionnés, tous quatre avaient rejoint Phann, qui, resté dehors, faisait toujours entendre de lamentables aboiements.

Ils redescendirent alors la berge du rio pendant une vingtaine de pas, et s’arrêtèrent brusquement. Un sentiment d’horreur les clouait sur place!

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Là, entre les racines d’un hêtre, les débris d’un squelette gisaient sur le sol.

Ainsi, à cette place, était venu mourir le malheureux qui avait vécu dans cette caverne, pendant bien des années sans doute, et ce sauvage abri, dont il avait fait sa demeure, n’avait pas même été son tombeau!

 

 

Chapitre IX

Visite à la caverne. – Meubles et ustensiles. – Les bolas et le lazzo.
– La montre. – Le cahier presque illisible. – La carte du naufragé.
– Où l’on est. – Retour au campement. – La rive droite du rio. – La fondrière.
– Les signaux de Gordon.

 

riant, Doniphan, Wilcox et Service gardaient un profond silence. Quel était l’homme qui était venu mourir en cet endroit? Était-ce un naufragé, auquel les secours avaient manqué jusqu’à sa dernière heure? A quelle nation appartenait-il? Était-il arrivé jeune sur ce coin de terre? Y était-il mort vieux? Comment avait-il pu subvenir à ses besoins? Si c’était un naufrage qui l’avait jeté là, d’autres que lui avaient-ils survécu à la catastrophe? Puis, était-il resté seul après la mort de ses compagnons d’infortune? Les divers objets, trouvés dans la caverne, provenaient-ils de son bâtiment, ou les avait-il fabriqués de ses mains?

Que de questions dont la solution resterait peut-être à jamais ignorée!

Et, entre toutes, une des plus graves! Puisque c’était sur un continent que cet homme avait trouvé refuge, pourquoi n’avait-il pas gagné quelque ville de l’intérieur, quelque port du littoral? Le rapatriement présentait-il donc de telles difficultés, de tels obstacles, qu’il n’avait pu les vaincre? La distance à parcourir était-elle si grande qu’il fallût la considérer comme infranchissable? Ce qui était certain, c’est que ce malheureux était tombé, affaibli par la maladie ou par l’âge, qu’il n’avait pas eu la force de regagner se caverne, qu’il était mort au pied de cet arbre!… Et si les moyens lui avaient manqué pour aller chercher le salut vers le nord ou vers l’est de ce territoire, ne manqueraient-ils pas également aux jeunes naufragés du Sloughi?

Quoi qu’il en fût, il était nécessaire de visiter la caverne avec le plus grand soin. Qui sait si on n’y trouverait pas un document donnant quelque éclaircissement sur cet homme, sur son origine, sur la durée de son séjour!… A un autre point de vue, d’ailleurs, il convenait de reconnaître si l’on pourrait s’y installer pendant l’hiver, après l’abandon du yacht.

«Venez!» dit Briant.

Et, suivis de Phann, ils se glissèrent par l’orifice, à la clarté d’une seconde branche résineuse.

Le premier objet qu’ils aperçurent sur une planchette fixée à la paroi de droite, fut un paquet de grossières chandelles, fabriquées avec de la graisse et des effilés d’étoupe. Service se hâta d’allumer une de ces chandelles qu’il plaça dans le chandelier de bois, et les recherches commencèrent.

Avant tout, il fallait examiner la disposition de la caverne, puisqu’il n’y avait plus de doute sur son habitabilité. C’était un large évidement qui devait remonter à l’époque des formations géologiques. Il ne présentait aucune trace d’humidité, bien que l’aération ne se fît que par l’unique orifice ouvert sur la berge. Ses parois étaient aussi sèches que l’eussent été des parois de granit, sans la moindre trace de ces infiltrations cristallisées, de ces chapelets de gouttelettes qui, dans certaines grottes de porphyre ou de basalte, forment des stalactites. D’ailleurs, son orientation la mettait à l’abri des vents de mer. A vrai dire, le jour n’y pénétrait qu’à peine; mais, en creusant une ou deux ouvertures dans la paroi, il serait aisé de remédier à cet inconvénient et d’aérer l’intérieur pour les besoins de quinze personnes.

Quant à ses dimensions – vingt pieds de largeur sur trente de longueur – cette caverne serait certainement insuffisante pour servir à la fois de dortoir, de réfectoire, de magasin général et de cuisine. En somme, il ne s’agissait que d’y passer cinq ou six mois d’hiver – après quoi, on prendrait la route du nord-est pour atteindre quelque ville de la Bolivie ou de la République Argentine. Évidemment, dans le cas où il eût été indispensable de s’installer d’une façon définitive, on aurait cherché à s’aménager plus à l’aise en creusant le massif, qui était d’un calcaire assez tendre. Mais telle qu’était cette excavation, on devrait s’en contenter jusqu’au retour de la saison d’été.

Ceci reconnu, Briant fît un minutieux inventaire des objets qu’elle contenait. En vérité, c’était bien peu de choses! Ce malheureux avait dû y arriver dans un dénûment presque complet. De son naufrage, qu’avait-il pu recueillir? Rien que d’informes épaves, des espars brisés, des fragments de bordages, qui lui avaient servi à fabriquer ce grabat, cette table, ce coffre, ce banc, ces escabeaux -unique mobilier de sa misérable demeure. Moins favorisé que les survivants du Sloughi, il n’avait pas eu tout un matériel à sa disposition. Quelques outils, une pioche, une hache, deux ou trois ustensiles de cuisine, un petit tonneau qui avait dû contenir de l’eau-de-vie, un marteau, deux ciseaux à froid, une scie – ce fut seulement ce que l’on trouva en premier lieu. Ces ustensiles avaient été sauvés, évidemment, dans cette embarcation dont il ne restait plus que des débris près de la digue du rio.

C’est à quoi songeait Briant, c’est ce qu’il expliquait à ses camarades. Et alors, après le sentiment d’horreur qu’ils avaient ressenti à la vue du squelette, en songeant qu’ils étaient peut-être destinés à mourir dans le même abandon, la pensée leur vint que rien ne leur manquait de ce qui avait manqué à cet infortuné, et ils se sentaient portés à reprendre confiance.

Maintenant, quel était cet homme? Quelle était son origine? A quelle époque remontait son naufrage? Nul doute que bien des années se fussent écoulées depuis qu’il avait succombé. L’état des ossements, qui avaient été trouvés au pied de l’arbre, ne l’indiquait que trop! En outre, le fer de la pioche et l’anneau de l’embarcation rongés par la rouille, l’épaisseur du fourré qui obstruait l’entrée de la caverne, tout ne tendait-il pas à démontrer que la mort du naufragé datait de loin déjà?

Par suite, quelque nouvel indice ne permettrait-il pas de changer cette hypothèse en certitude?

Les recherches continuant, d’autres objets furent encore découverts – un second couteau dont plusieurs lames étaient cassées, un compas, une bouilloire, un cabillot de fer, un épissoir, sorte d’outil de matelots. Mais, il n’y avait aucun instrument de marine, ni lunette, ni boussole, pas même une arme à feu pour chasser le gibier, pour se défendre contre les animaux ou les indigènes!

Cependant, comme il avait fallu vivre, cet homme avait certainement été réduit à tendre des pièges. Au reste, un éclaircissement fut donné à ce sujet, lorsque Wilcox s’écria:

«Qu’est-ce que cela?

– Cela? répondit Service.

– C’est un jeu de boules, répondit Wilcox.

– Un jeu de boules?» dit Briant, non sans surprise.

Mais il reconnut aussitôt à quel usage avaient dû être employées les deux pierres rondes que Wilcox venait de ramasser. C’était un de ces engins de chasse, appelés «bolas», qui se composent de deux boules reliées l’une à l’autre par une corde, et qu’emploient les Indiens de l’Amérique du Sud. Lorsqu’une main habile lance ces bolas, elles s’enroulent autour des jambes de l’animal, dont les mouvements sont paralysés et qui devient facilement la proie du chasseur.

Indubitablement, c’était l’habitant de cette caverne qui avait fabriqué cet engin, et aussi un lazzo, longue lanière de cuir qui se manœuvre comme tes bolas, mais à plus courte distance.

Tel fut l’inventaire des objets recueillis dans la caverne, et, à cet égard, Briant et ses camarades étaient incomparablement plus riches. Ils n’étaient que des enfants, il est vrai, et l’autre était un homme.

Quant à cet homme, était-ce un simple matelot ou un officier qui avait pu mettre à profil son intelligence préalablement développée par l’étude? C’est ce qui eût été très difficile à établir, sans une découverte qui permit de s’avancer avec plus d’assurance dans la voie des certitudes.

Au chevet du grabat, sous un pan de la couverture que Briant avait rejetée, Wilcox découvrit une montre accrochée à un clou fixé dans la muraille.

Cette montre, moins commune que les montres de matelots, était de fabrication assez fine; elle se composait d’un double boîtier d’argent, auquel pendait une clef, attachée par une chaîne de même métal.

«L’heure!… Voyons l’heure! s’écria Service.

– L’heure ne nous apprendrait rien, répondit Briant. Probablement, cette montre a dû s’arrêter bien des jours, avant la mort de ce malheureux!»

Briant ouvrit le boîtier, avec quelque peine, car les jointures en étaient oxydées, et il put voir que les aiguilles marquaient trois heures vingt-sept minutes.

«Mais, fit observer Doniphan, cette montre porte un nom… Cela peut nous fixer…

–Tu as raison,» répondit Briant.

Et, après avoir regardé à l’intérieur du boîtier, il parvint à lire ces mots, gravés sur la plaque:

Delpeuch, Saint-Malo – le nom du fabricant et son adresse.

«C’était un Français, un compatriote à moi!» s’écria Briant avec émotion.

Il n’y avait plus à en douter, un Français avait vécu dans cette caverne, jusqu’à l’heure où la mort était venue mettre un terme à ses misères!

A cette preuve s’enjoignit bientôt une autre, non moins décisive, lorsque Doniphan, qui avait déplacé le grabat, eut ramassé sur le sol un cahier, dont les pages jaunies étaient couvertes de lignes tracées au crayon.

Par malheur, la plupart de ces lignes étaient à peu près illisibles. Quelques mots, cependant, purent être déchiffrés, et entre autres, ceux-ci: François Baudoin.

Deux noms, et c’étaient bien ceux dont le naufragé avait gravé les initiales sur l’arbre! Ce cahier, c’était le journal quotidien de sa vie, depuis le jour où il avait échoué sur cette côte! Et, dans des fragments de phrases que le temps n’avait pas complètement effacés, Briant parvint à lire encore ces mots: Duguay-Trouin – évidemment le nom du navire qui s’était perdu dans ces lointains parages du Pacifique.

Puis, au début, une date: – la même qui était inscrite au-dessous des initiales, et, sans doute, celle du naufrage!

Il y avait donc cinquante-trois ans que François Baudoin avait atterri sur ce littoral. Pendant toute la durée de son séjour il n’avait reçu aucun secours du dehors!

Or, si François Baudoin n’avait pu se porter sur quelque autre point de ce continent, était-ce donc parce que d’infranchissables obstacles s’étaient dressés devant lui?…

Plus que jamais, les jeunes garçons se rendirent compte de la gravité de leur situation. Comment viendraient-ils à bout de ce qu’un homme, un marin, habitué aux rudes travaux, rompu aux dures fatigues, n’avait pu accomplir?

D’ailleurs, une dernière trouvaille allait leur apprendre que toute tentative pour quitter cette terre serait vaine.

En feuilletant le cahier, Doniphan aperçut un papier plié entre les pages. C’était une carte, tracée avec une sorte d’encre, probablement faite d’eau et de suie.

«Une carte!… s’écria-t-il.

– Que François Baudoin a vraisemblablement dessinée lui-même! répondit Briant.

– Si cela est, cet homme ne devait pas être un simple matelot, fît observer Wilcox, mais un des officiers du Duguay-Trouin, puisqu’il était capable de dresser une carte…

– Est-ce que ce serait?…» s’écria Doniphan.

Oui! C’était la carte de cette contrée! Du premier coup d’œil, on y reconnaissait Sloughi-bay, le banc de récifs, la grève sur laquelle avait été établi le campement, le lac dont Briant et ses camarades venaient de redescendre la rive occidentale, les trois îlots, situés au large, la falaise qui s’arrondissait jusqu’au bord du rio. les forêts dont toute la région centrale était couverte!

Au delà de la rive opposée du lac, c’étaient encore d’autres forêts, qui s’étendaient jusqu’à la lisière d’un autre littoral, et ce littoral… la mer le baignait sur tout son périmètre.

Ainsi tombaient ces projets de remonter vers l’est pour chercher le salut dans cette direction! Ainsi Briant avait eu raison contre Doniphan! Ainsi la mer entourait de toute part ce prétendu continent… C’était une île, et voilà pourquoi François Baudoin n’avait pu en sortir!

Il était aisé de voir, sur cette carte, que les contours généraux de l’île avaient été reproduits assez exactement. Assurément, les longueurs n’avaient dû être relevées qu’à l’estime, par le temps employé aies parcourir et non par des mesures de triangulation; mais, à en juger d’après ce que Briant et Doniphan connaissaient déjà de la partie comprise entre Sloughi-bay et le lac, les erreurs ne pouvaient être importantes.

Il était démontré, en outre, que le naufragé avait parcouru toute son île, puisqu’il en avait noté les principaux détails géographiques, et, sans doute, l’ajoupa comme la chaussée du creek devaient être son ouvrage.

Voici les dispositions que présentait l’île, telle que l’avait dessinée François Baudoin:

Elle était de forme oblongue et ressemblait à un énorme papillon, aux ailes déployées. Rétrécie dans sa partie centrale entre Sloughi-bay et une autre baie qui se creusait à l’est, elle en présentait une troisième beaucoup plus ouverte dans sa partie méridionale. Au milieu d’un cadre de vastes forêts se développait le lac, long de dix-huit milles environ et large de cinq – dimensions assez considérables pour que Briant, Doniphan, Service et Wilcox, arrivés sur son bord occidental, n’eussent rien aperçu des rives du nord, du sud et de l’est. C’est ce qui expliquait comment, au premier abord, ils l’avaient pris pour une mer. Plusieurs rios sortaient de ce lac, et, notamment, celui qui, coulant devant la caverne, allait se jeter dans Sloughi-bay près du campement.

La seule hauteur un peu importante de cette île paraissait être la falaise, obliquement disposée depuis le promontoire, au nord de la baie, jusqu’à la rive droite du rio. Quant à sa région septentrionale, la carte l’indiquait comme étant aride et sablonneuse, tandis qu’au delà du rio se développait un immense marécage, qui s’allongeait en un cap aigu vers le sud. Dans le nord-est et le sud-est se succédaient de longues lignes de dunes, lesquelles donnaient à cette partie du littoral un aspect très différent de celui de Sloughi-bay.

Enfin, si l’on s’en rapportait à l’échelle tracée au bas de la carte, l’île devait mesurer environ cinquante milles dans sa plus grande longueur du nord au sud, sur vingt-cinq dans sa plus grande largeur de l’ouest à l’est. En tenant compte des irrégularités de sa configuration, c’était un développement de cent cinquante milles de circonférence.

Quant à savoir à quel groupe de la Polynésie appartenait cette île, si elle se trouvait ou non isolée au milieu du Pacifique, il était impossible de formuler de sérieuses conjectures à ce sujet.

Quoi qu’il en fût, c’était une installation définitive, et non provisoire, qui s’imposait aux naufragés du Sloughi. Et, puisque la caverne leur offrait un excellent refuge, il conviendrait d’y transporter le matériel, avant que les premières bourrasques de l’hiver eussent achevé de démolir le schooner.

Il s’agissait maintenant de revenir au campement et sans retard. Gordon devait être très inquiet – trois jours s’étant écoulés depuis le départ de Briant et de ses camarades – et il pouvait craindre qu’il leur fût arrivé malheur.

Sur le conseil de Briant, on décida que le départ s’effectuerait le jour même, à onze heures du matin. Il était inutile de gravir la falaise, puisque la carte indiquait que le plus court serait de suivre la rive droite du rio qui courait de l’est à l’ouest. C’était au plus sept milles à faire jusqu’à la baie, et ils pouvaient être franchis en quelques heures.

Mais, avant de partir, les jeunes garçons voulurent rendre les derniers devoirs au naufragé français. La pioche servit à creuser une tombe au pied même de l’arbre sur lequel François Baudoin avait gravé les lettres de son nom, et dont une croix de bois marqua la place.

Cette pieuse cérémonie terminée, tous quatre revinrent vers la caverne, et ils en bouchèrent l’orifice, afin que les animaux n’y pussent pénétrer. Après avoir achevé ce qui restait des provisions, ils descendirent la rive droite du rio, en longeant la base de la falaise. Une heure plus tard, ils arrivaient à l’endroit où le massif s’écartait pour prendre une direction oblique vers le nord-ouest.

Tant qu’ils suivirent le cours du rio, leur marche fut assez vive, car la berge n’était que peu encombrée d’arbres, d’arbrisseaux et d’herbes.

Tout en cheminant, dans la prévision que le rio servait de communication entre le lac et Sloughi-bay, Briant ne cessait de l’examiner avec attention. Il lui sembla que, sur la partie supérieure de son cours tout au moins, une embarcation ou un radeau pourraient être hales à la cordelle ou poussés à la gaffe – ce qui faciliterait le transport du matériel, à condition d’utiliser la marée dont l’action se faisait sentir jusqu’au lac. L’important était que ce cours ne se changeât pas en rapides, et que le manque de profondeur ou de largeur ne le rendît point impraticable. Il n’en était rien; et, sur un espace de trois milles depuis sa sortie du lac, le rio parut être dans d’excellentes conditions de navigabilité.

Cependant, vers quatre heures du soir, le chemin de la berge dut être abandonné. En effet, la rive droite était coupée par une large et molle fondrière sur laquelle on n’aurait pu s’engager sans risques. Aussi, le plus sage fut-il de se porter à travers la forêt.

Sa boussole à la main, Briant se dirigea alors vers le nord-ouest, de manière à gagner Sloughi-bay par le plus court. Il y eut alors des retards considérables, car les hautes herbes formaient à la surface du sol d’inextricables fouillis. En outre, sous le dôme épais des bouleaux, des pins et des hêtres, l’obscurité se fit presque avec le coucher du soleil.

Deux milles furent parcourus dans ces conditions très fatigantes. Quand on eut contourné la fondrière, qui s’étendait assez profondément vers le nord, le mieux, certainement, eût été de rejoindre le cours du rio, puisque, à s’en rapporter à la carte, il se jetait dans Sloughi-bay. Mais le détour aurait été si long que Briant et Doniphan ne voulurent point perdre de temps à revenir dans sa direction. Ils continuèrent à s’engager sous bois, et, vers sept heures du soir, ils eurent la certitude qu’ils s’étaient égarés.

Seraient-ils donc contraints à passer la nuit sous les arbres? Il n’y aurait eu que demi-mal, si les provisions n’eussent manqué, au moment où la faim se faisait vivement sentir.

«Allons toujours, dit Briant. En marchant du côté de l’ouest, il faudra bien que nous arrivions au campement…

– A moins que cette carte ne nous ait donné de fausses indications, répondit Doniphan, et que ce rio ne soit pas celui qui se jette dans la baie!

– Pourquoi cette carte serait-elle inexacte, Doniphan?

– Et pourquoi ne le serait-elle pas, Briant?»

On le voit, Doniphan, qui n’avait pas digéré sa déconvenue, s’obstinait à n’accorder qu’une médiocre confiance à la carte du naufragé. Il avait tort, néanmoins, car, dans la partie de l’île déjà reconnue, on ne pourrait nier que le travail de François Baudoin ne présentât une réelle exactitude.

Briant jugea inutile de discuter là-dessus, et l’on se remit résolument en route.

A huit heures, impossible de s’y reconnaître, tant l’obscurité était profonde. Et la limite de cette interminable forêt qu’on n’atteignait point!

Soudain, par une trouée des arbres, apparut une vive lueur qui se propageait à travers l’espace.

«Qu’est-ce que cela?… dit Service.

– Une étoile filante, je suppose? dit Wilcox.

– Non, c’est une fusée!… répliqua Briant, une fusée qui a été lancée du Sloughi.

– Et, par conséquent, un signal de Gordon!… s’écria Doniphan, qui y répondit par un coup de fusil.

Un point de repère ayant été pris sur une étoile, au moment où une seconde fusée montait dans l’ombre, Briant et ses camarades se dirigèrent dessus, et, trois quarts d’heure après, ils arrivaient au campement du Sloughi.

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C’était Gordon, en effet, qui, dans la crainte qu’ils ne se fussent égarés, avait imaginé de lancer quelques fusées afin de leur signaler la position du schooner.

Excellente idée, sans laquelle cette nuit-là, Briant, Doniphan, Wilcox et Service n’auraient pu se reposer de leurs fatigues dans les couchettes du yacht.

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