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Jules Verne

 

Un capitaine de quinze ans

 

(Chapitre IV-VI)

 

 

Dessins par H. Meyer

Bibliothèque d’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie, 1878

 

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© Andrzej Zydorczak

 

Première partie

 

 

Chapitre IV

Les survivants du «Waldeck.»

 

a traite se fait encore sur une grande échelle dans toute l’Afrique équinoxiale. Malgré les croisières anglaises et françaises, des navires, chargés d’esclaves, quittent chaque année les côtes d’Angola ou de Mozambique pour transporter des nègres en divers points du monde, et, il faut même le dire, du monde civilisé.

Le capitaine Hull ne l’ignorait pas.

Bien que ces parages ne fussent pas fréquentés d’ordinaire par les négriers, il se demanda si les noirs dont il venait d’opérer le sauvetage n’étaient pas les survivants d’une cargaison d’esclaves, que le Waldeck allait vendre à quelque colonie du Pacifique. En tout cas, si cela était, ces noirs redevenaient libres, par le seul fait d’avoir mis le pied à son bord, et il lui tardait de le leur apprendre.

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En attendant, les soins les plus empressés avaient été prodigués aux naufragés du Waldeck. Mrs. Weldon, aidée de Nan et de Dick Sand, leur avait administré un peu de cette bonne eau fraîche, dont ils devaient être privés depuis plusieurs jours, et cela, avec quelque nourriture, suffit pour les rappeler à la vie.

Le plus vieux de ces noirs, – il pouvait être âgé de soixante ans, – fut bientôt en état de parler, et il put répondre en anglais aux questions qui lui furent adressées.

«Le navire qui vous transportait a été abordé? demanda tout d’abord le capitaine Hull.

– Oui, répondit le vieux noir. Il y a dix jours, notre navire a été abordé pendant une nuit très-sombre. Nous dormions…

– Mais les gens du Waldeck, que sont-ils devenus?

– Ils n’étaient déjà plus là, monsieur, lorsque mes compagnons et moi nous sommes montés sur le pont.

– L’équipage a-t-il donc pu sauter à bord du navire qui a rencontré le Waldeck? demanda le capitaine Hull.

– Peut-être, et même il faut l’espérer pour lui!

– Et ce navire, après le choc, n’est pas revenu pour vous recueillir?

– Non.

– A-t-il donc sombré lui-même?

– Il n’a pas sombré, répondit le vieux noir en secouant la tête, car nous avons pu le voir fuir dans la nuit.»

Ce fait, qui fut attesté par tous les survivants du Waldeck, peut paraître incroyable. Il n’est que trop vrai, cependant, que des capitaines, après quelque terrible collision, due à leur imprudence, ont souvent pris la fuite sans s’inquiéter des infortunés qu’ils avaient mis en perdition, sans essayer de leur porter secours!

Que des cochers en fassent autant et laissent à d’autres, sur la voie publique, le soin de réparer le malheur qu’ils ont causé, cela est déjà condamnable. Encore est-il que leurs victimes sont assurées de trouver des secours immédiats. Mais, que d’hommes à hommes on s’abandonne ainsi sur mer, c’est à ne pas croire, c’est une honte!

Cependant, le capitaine Hull connaissait plusieurs exemples de pareille inhumanité, et il dut répéter à Mrs. Weldon que de tels faits, si monstrueux qu’ils fussent, n’étaient malheureusement pas rares.

Puis, reprenant:

«D’où venait le Waldeck? demanda-t-il.

– De Melbourne.

– Vous n’êtes donc pas des esclaves?…

– Non, monsieur! répondit vivement le vieux noir, qui se redressa de toute sa taille. Nous sommes des sujets de l’État de Pensylvanie, et citoyens de la libre Amérique!

– Mes amis, répondit le capitaine Hull, croyez que vous n’avez pas compromis votre liberté en passant à bord du brick américain le Pilgrim.»

En effet, les cinq noirs que transportait le Waldeck appartenaient à l’État de Pensylvanie. Le plus vieux, vendu en Afrique comme esclave à l’âge de six ans, puis transporté aux États-Unis, avait été affranchi depuis bien des années déjà par l’acte d’émancipation. Quant à ses compagnons, beaucoup plus jeunes que lui, fils d’esclaves libérés avant leur naissance, ils étaient nés libres, et aucun blanc n’avait jamais eu sur eux un droit de propriété. Ils ne parlaient même pas ce langage «nègre», qui n’emploie pas l’article et ne connaît que l’infinitif des verbes, – langage qui a disparu peu à peu, d’ailleurs, depuis la guerre anti-esclavagiste. Ces noirs avaient donc librement quitté les États-Unis, et ils y retournaient librement.

Ainsi qu’ils l’apprirent au capitaine Hull, ils s’étaient engagés en qualité de travailleurs chez un Anglais, qui possédait une vaste exploitation près de Melbourne, dans l’Australie méridionale. Là, ils avaient passé trois ans, avec grand profit pour eux, et, leur engagement terminé, ils avaient voulu retourner en Amérique.

Ils s’étaient donc embarqués sur le Waldeck, payant leur passage comme des passagers ordinaires. Le 5 décembre, ils quittaient Melbourne, et dix-sept jours après, pendant une nuit très-noire, le Waldeck avait été abordé par un grand steamer.

Les noirs étaient couchés. Quelques secondes après la collision, qui fut terrible, ils se précipitèrent sur le pont.

Déjà, la mâture du navire était venue en bas, et le Waldeck s’était couché sur le flanc; mais il ne devait pas couler, l’eau n’ayant envahi la cale que dans une proportion insuffisante.

Quant au capitaine et à l’équipage du Waldeck, tous avaient disparu, soit que les uns eussent été précipités dans la mer, soit que les autres se fussent accrochés aux agrès du navire abordeur, qui, après le choc, avait fui pour ne plus revenir.

Les cinq noirs étaient restés seuls à bord, sur une coque à demi chavirée, à douze cents milles de toutes terres.

Le plus vieux de ces nègres se nommait Tom. Son âge, aussi bien que son caractère énergique et son expérience souvent mise à l’épreuve pendant une longue vie de travail, en faisaient le chef naturel des compagnons qui s’étaient engagés avec lui.

Les autres noirs étaient des jeunes gens de vingt-cinq à trente ans, qui avaient noms Bat1, fils du vieux Tom, Austin, Actéon et Hercule, tous quatre bien constitués, vigoureux, et qui auraient valu cher sur les marchés de l’Afrique centrale. Bien qu’ils eussent terriblement souffert, on pouvait aisément reconnaître en eux de magnifiques échantillons de cette forte race, auxquels une éducation libérale, puisée aux nombreuses écoles du Nord-Amérique, avait déjà imprimé son cachet.

Tom et ses compagnons s’étaient donc trouvés seuls sur le Waldeck, après la collision, n’ayant aucun moyen de relever cette coque inerte, sans même pouvoir la quitter, puisque les deux embarcations du bord avaient été fracassées dans l’abordage. Ils en étaient réduits à attendre le passage d’un navire, tandis que l’épave dérivait peu à peu sous l’action des courants. Cette action expliquait pourquoi on l’avait rencontrée si en dehors de sa route, car le Waldeck, parti de Melbourne, aurait dû se trouver beaucoup plus bas en latitude.

Pendant les dix jours qui s’écoulèrent entre la collision et le moment où le Pilgrim arriva en vue du bâtiment naufragé, les cinq noirs s’étaient nourris des quelques aliments qu’ils avaient trouvés dans l’office du carré. Mais, n’ayant pu pénétrer dans la cambuse, que l’eau noyait entièrement, ils n’avaient eu aucun spiritueux pour étancher leur soif, et ils avaient cruellement souffert, les pièces à eau, amarrées sur le pont, ayant été défoncées par le choc. Depuis la veille, Tom et ses compagnons, torturés par la soif, avaient perdu connaissance, et il était temps que le Pilgrim arrivât.

Tel fut le récit que Tom fit en peu de mots au capitaine Hull. Il n’y avait pas lieu de mettre en doute la véracité du vieux noir. Ses compagnons confirmèrent tout ce qu’il avait dit, et, d’ailleurs, les faits plaidaient pour ces pauvres gens.

Un autre être vivant, sauvé sur l’épave, aurait sans doute parlé avec la même franchise, – s’il eût été doué de la parole.

C’était ce chien, que la vue de Negoro semblait affecter d’une si désagréable façon. Il y avait là quelque antipathie véritablement inexplicable.

Dingo, – tel était le nom de ce chien, – appartenait à cette race de mâtins qui est particulière à la Nouvelle-Hollande. Ce n’était pas en Australie, cependant, que l’avait trouvé le capitaine du Waldeck. Deux ans auparavant, Dingo, errant, à demi mort de faim, avait été rencontré sur le littoral ouest de la côte d’Afrique, aux environs de l’embouchure du Congo. Le capitaine du Waldeck avait recueilli ce bel animal, qui, resté peu sociable, semblait toujours regretter quelque ancien maître dont il aurait été violemment séparé et qu’il eût été impossible de retrouver dans cette contrée déserte. – S. V., – ces deux lettres, gravées sur son collier, c’était tout ce qui rattachait cet animal à un passé dont on eût vainement cherché le mystère.

Dingo, bête magnifique et robuste, plus grand que les chiens des Pyrénées, était donc un spécimen superbe de cette variété des mâtins de la Nouvelle-Hollande. Lorsqu’il se redressait, rejetant sa tète en arrière, il égalait la taille d’un homme. Son agilité, sa force musculaire avaient dû en faire un de ces animaux qui attaquent sans hésiter jaguars ou panthères, et ne craignent pas de faire face à un ours. De pelage épais, sa longue queue bien fournie et raide comme une queue de lion, fauve foncé dans sa couleur générale, Dingo n’était nuancé qu’au museau de quelques reflets blanchâtres. Cet animal, sous l’influence de la colère, pouvait devenir redoutable, et on comprendra que Negoro ne fût pas satisfait de l’accueil que lui avait fait ce vigoureux échantillon de la race canine.

Cependant, Dingo, s’il n’était pas sociable, n’était pas méchant. Il semblait plutôt être triste. Une observation qui avait été faite par le vieux Tom à bord du Waldeck, c’est que ce chien ne semblait pas affectionner les noirs. Il ne cherchait point à leur faire du mal, mais certainement il les fuyait. Peut-être sur cette côte africaine où il errait, avait-il subi quelques mauvais traitements de la part des indigènes. Aussi, bien que Tom et ses compagnons fussent de braves gens, Dingo ne s’était-il jamais porté vers eux. Pendant les dix jours que les naufragés avaient passés sur le Waldeck,il s’était tenu à l’écart, se nourrissant on ne sait comment, mais ayant, lui aussi, cruellement souffert de la soif.

Tels étaient donc les survivants de cette épave, que le premier coup de mer allait submerger. Elle n’eût sans doute entraîné que des cadavres dans les profondeurs de l’Océan, si l’arrivée inespérée du Pilgrim, retardé lui-même par les calmes et les vents contraires, n’eût permis au capitaine Hull de faire œuvre d’humanité.

Cette œuvre, il n’y avait plus qu’à la compléter en rapatriant les naufragés du Waldeck, qui, dans ce naufrage, avaient perdu leurs économies de trois années de travail. C’est ce qui allait être fait. Le Pilgrim, après avoir opéré son déchargement à Valparaiso, devait remonter la côte américaine jusqu’à la hauteur du littoral californien. Là, Tom et ses compagnons seraient bien accueillis par James-W. Weldon, – sa généreuse femme leur en donna l’assurance, – et ils seraient pourvus de tout ce qui leur serait nécessaire pour regagner l’État de Pensylvanie.

Ces braves gens, rassurés sur l’avenir, n’eurent donc qu’à remercier Mrs. Weldon et le capitaine Hull. Certainement, ils leur devaient beaucoup, et, quoiqu’ils ne fussent que de pauvres nègres, peut-être ne désespéraient-ils pas de payer un jour cette dette de reconnaissance.

 

 

Chapitre V

S. V.

 

ependant, le Pilgrim avait repris sa route, en tâchant de gagner le plus possible dans l’est. Cette regrettable persistance des calmes ne laissait pas de préoccuper le capitaine Hull, – non qu’il s’inquiétât d’une ou deux semaines de retard dans une traversée de la Nouvelle-Zélande à Valparaiso, mais à cause du surcroît de fatigue que ce retard pouvait apporter à sa passagère.

Cependant, Mrs. Weldon ne se plaignait pas et prenait philosophiquement son mal en patience.

Ce jour même, 2 février, vers le soir, l’épave fut perdue de vue.

Le capitaine Hull se préoccupa, en premier lieu, d’installer aussi convenablement que possible Tom et ses compagnons. Le poste d’équipage du Pilgrim, disposé sur le pont en forme de roufle, eût été trop petit pour les contenir. On s’arrangea donc de manière à les loger sous le gaillard d’avant. D’ailleurs, ces braves gens, accoutumés aux rudes travaux, ne pouvaient être difficiles, et, par un beau temps, chaud et salubre, ce logement devait leur suffire pendant toute la traversée.

La vie du bord, secouée un instant de sa monotonie par cet incident, reprit donc son cours.

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Tom, Austin, Bat, Actéon, Hercule, auraient bien voulu se rendre utiles. Mais, avec ces vents constants, la voilure une fois installée, il n’y avait plus rien à faire. Cependant, lorsqu’il s’agissait d’un virement de bord, le vieux noir et ses compagnons s’empressaient de donner la main à l’équipage, et il faut avouer que lorsque le colossal Hercule pesait sur quelque manœuvre, on s’en apercevait. Ce vigoureux nègre, haut de six pieds, valait un palan à lui tout seul!

C’était une joie pour le petit Jack de regarder ce géant. Il n’en avait point peur, et quand Hercule le faisait sauter dans ses bras, comme s’il n’eût été qu’un bébé de liège, c’étaient des cris de joie à n’en plus finir.

«Lève-moi bien haut, disait le petit Jack.

– Voilà, monsieur Jack, répondait Hercule.

– Est-ce que je suis bien lourd?

– Je ne vous sens même pas.

– Eh bien, plus haut encore! Au bout de ton bras!

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Et Hercule, tenant les deux petits pieds de l’enfant dans sa large main, le promenait comme fait un gymnaste dans un cirque. Jack se voyait grand, grand, ce qui l’amusait beaucoup. Il essayait même de «faire le lourd», – ce dont le colosse ne s’apercevait même pas.

Dick Sand et Hercule, cela faisait donc deux amis au petit Jack. Il ne tarda pas à s’en faire un troisième.

Ce fut Dingo.

Il a été dit que Dingo était un chien peu sociable. Cela tenait, sans doute, à ce que la société du Waldeck ne lui convenait pas. A bord du Pilgrim, ce fut tout autre chose. Jack, probablement, sut toucher le cœur du bel animal. Celui-ci prit bientôt plaisir à jouer avec le petit garçon, à qui ce jeu plaisait. On reconnut bientôt que Dingo était de ces chiens qui ont un goût particulier pour les enfants. Jack, d’ailleurs, ne lui faisait aucun mal. Son plus grand plaisir était de transformer Dingo en un coursier rapide, et il est permis d’affirmer qu’un cheval de cette espèce est bien supérieur à un quadrupède en carton, même quand celui-ci a des roulettes aux pattes. Jack galopait donc à poil sur le chien, qui se laissait faire volontiers, et, en vérité, Jack ne lui pesait pas plus que la moitié d’un jockey à un cheval de course.

Mais aussi quelle brèche faite chaque jour à la provision de sucre de la cambuse!

Dingo devint bientôt le favori de tout l’équipage. Seul, Negoro continua d’éviter toute rencontre avec l’animal, dont l’antipathie pour lui était toujours aussi vive qu’inexplicable.

Cependant, le petit Jack n’avait point négligé pour Dingo Dick Sand, son ami de vieille date. Tout le temps que ne réclamait pas le service du bord, le novice le passait avec le petit garçon.

Mrs. Weldon, cela va sans dire, voyait toujours cette intimité avec la plus complète satisfaction.

Un jour, le 6 février, elle parlait de Dick Sand au capitaine Hull, et le capitaine faisait le plus grand éloge du jeune novice.

«Ce garçon-là, disait-il à Mrs. Weldon, sera un jour un bon marin, je m’en porte garant! Il a véritablement l’instinct de la mer, et, par cet instinct, il supplée à ce qu’il ignore encore forcément des choses théoriques du métier. Ce qu’il sait déjà est étonnant, lorsqu’on songe au peu. de temps qu’il a eu pour l’apprendre.

– Il faut ajouter, répondit Mrs. Weldon, que c’est aussi un excellent sujet, un garçon sûr, très-supérieur à son âge, et qui n’a jamais mérité un blâme depuis que nous le connaissons.

– Oui, c’est un bon sujet, reprit le capitaine Hull, justement aimé et apprécié de tous!

– Cette campagne terminée, dit Mrs. Weldon, je sais que l’intention de mon mari est de lui faire suivre des cours d’hydrographie, de manière qu’il puisse obtenir plus tard un brevet de capitaine.

– Et monsieur Weldon a raison, répondit le capitaine Hull. Dick Sand fera un jour honneur à la marine américaine.

– Ce pauvre orphelin a commencé douloureusement la vie! fit observer Mrs. Weldon. Il a été à dure école!

– Sans doute, mistress Weldon, mais les leçons n’ont pas été perdues pour lui. Il a compris qu’il fallait qu’il se tirât d’affaire en ce monde, et il est en bon chemin.

– Oui, le chemin du devoir!

– Regardez-le maintenant, mistress Weldon, reprit le capitaine Hull. Il est à la barre, l’œil fixé sur le point de la misaine. Pas de distraction de la part de ce jeune novice, aussi pas d’embardée au navire! Dick Sand a déjà la sûreté d’un vieux timonier! Bon début pour un marin! Notre métier, mistress Weldon, est de ceux qu’il faut commencer tout enfant. Qui n’a pas été mousse n’arrivera jamais à faire un marin complet, au moins dans la marine marchande. Il faut que tout devienne leçon, et, par suite, que tout soit en même temps instinctif et raisonné chez l’homme de mer, – la résolution à prendre aussi bien que la manœuvre à exécuter.

– Cependant, capitaine Hull, répondit Mrs. Weldon, les bons officiers ne manquent pas dans la marine de guerre.

– Non, répondit le capitaine Hull, mais, suivant moi, les meilleurs ont presque tous débuté enfants dans la carrière, et, sans parler de Nelson et de quelques autres, les plus mauvais ne sont pas ceux qui ont commencé par être mousses.»

En ce moment, on vit surgir par le capot d’arrière cousin Bénédict, toujours absorbé et aussi peu de ce monde que le sera le prophète Élie, lorsqu’il reviendra sur la terre.

Cousin Bénédict se mit à aller et venir sur le pont, comme une âme en peine, fouillant du regard les interstices des bastingages, furetant sous les cages à poules, promenant sa main entre les coutures du pont, là où le brai s’était écaillé.

«Eh! cousin Bénédict, demanda Mrs. Weldon, vous continuez à vous bien porter?

– Oui… cousine Weldon… je me porte bien, sans doute… mais il me tarde d’être à terre.

– Que cherchez-vous donc ainsi sous ce banc, monsieur Bénédict? demanda le capitaine Hull.

– Des insectes, monsieur! riposta cousin Bénédict. Que voulez-vous que je cherche, sinon des insectes?

– Des insectes! Ma foi, il faut en prendre votre parti, mais ce n’est pas en mer que vous enrichirez votre collection!

– Et pourquoi pas, monsieur? Il n’est pas impossible de trouver à bord quelque échantillon de…

– Cousin Bénédict, dit Mrs. Weldon, maudissez donc alors le capitaine Hull! Son navire est si proprement tenu, que vous reviendriez bredouille de votre chasse!»

Le capitaine Hull se mit à rire.

«Mistress Weldon exagère, répondit-il. Cependant, monsieur Bénédict, je crois. que vous perdriez votre temps à fureter dans nos cabines.

– Eh, je le sais bien! s’écria cousin Bénédict en haussant les épaules. J’ai eu beau faire!…

– Mais dans la cale du Pilgn’m, reprit le capitaine Hull, peut-être trouveriez-vous quelques blattes, sujets peu intéressants d’ailleurs.

– Peu intéressants, ces orthoptères nocturnes qui ont encouru les malédictions de Virgile et d’Horace! riposta cousin Bénédict en se redressant de toute sa taille. Peu intéressants, ces proches parents du «periplaneta orientalis» et du kakerlac américain, qui habitent…

– Qui infestent… dit le capitaine Hull.

– Qui règnent à bord… répliqua fièrement cousin Bénédict.

– Aimable royauté!…

– Eh! vous n’êtes pas entomologiste, monsieur?

– Jamais à mes dépens.

– Allons, cousin Bénédict, dit Mrs. Weldon en souriant, ne nous souhaitez pas d’être dévorés par amour de la science!

– Je ne souhaite rien, cousine Weldon, répondit le fougueux entomologiste, si ce n’est de pouvoir ajouter à ma collection quelque rare sujet qui lui fasse honneur!

– N’êtes-vous donc pas satisfait des conquêtes que vous avez faites à la Nouvelle-Zélande?

– Si vraiment, cousine Weldon. J’ai été assez heureux pour conquérir un de ces nouveaux staphylins qui n’avaient été trouvés jusqu’ici que quelques centaines de milles plus loin, en Nouvelle-Calédonie.»

A ce moment, Dingo, qui jouait avec Jack, s’approcha en gambadant du cousin Bénédict.

«Va-t’en! va-t’en! fit celui-ci en repoussant l’animal.

– Aimer les blattes et détester les chiens! s’écria le capitaine Hull. Oh! monsieur Bénédict!

– Un bon chien pourtant! dit le petit Jack, qui prit dans ses petites mains la grosse tète de Dingo.

– Oui… je ne dis pas non!… répondit cousin Bénédict. Mais que voulez-vous! Ce diable d’animal n’a pas réalisé les espérances que sa rencontre m’avait fait concevoir!

– Eh, grand Dieu! s’écria Mrs. Weldon, espériez-vous donc pouvoir le ranger dans l’ordre des diptères ou des hyménoptères?

– Non, répondit gravement cousin Bénédict. Mais n’est-il pas vrai que ce Dingo, bien qu’il fût de race néo-zélandaise, a été recueilli sur la côte occidentale de l’Afrique?

– Bien n’est plus vrai, répondit Mrs. Weldon, et Tom l’a souvent entendu dire au capitaine du Waldeck.

– Eh bien! j’avais pensé… j’avais espéré… que ce chien aurait rapporté quelques spécimens d’hémiptères spéciaux à la faune africaine…

– Bonté du ciel! s’écria Mrs. Weldon.

– Et que peut-être… ajouta cousin Bénédict, quelque puce pénétrante ou irritante… d’espèce nouvelle…

– Entends-tu, Dingo? dit le capitaine Hull. Entends-tu, mon chien? Tu as manqué à tous tes devoirs!

– Mais j’ai eu beau l’épucer… ajouta l’entomologiste avec un accent de vif regret, je n’ai pu trouver un seul insecte…

– Que vous auriez immédiatement et impitoyablement mis à mort, j’espère! s’écria le capitaine Hull.

– Monsieur, répondit sèchement cousin Bénédict, apprenez que sir John Franklin se faisait un scrupule de tuer le moindre insecte, fût-ce un maringouin, dont les attaques sont autrement redoutables que celles d’une puce, et, cependant, vous n’hésiterez pas à en convenir, sir John Franklin était un homme de mer qui en valait bien un autre!

– Certes! dit le capitaine Hull en s’inclinant.

– Et un jour, après avoir été affreusement dévoré par un diptère, il souffla dessus et le renvoya, en lui disant, sans même le tutoyer: «Allez! Le monde est assez grand pour vous et pour moi!»

– Ah! fit le capitaine Hull.

– Oui, monsieur!

– Eh bien, monsieur Bénédict, riposta le capitaine Hull, un autre avait dit cela bien avant sir John Franklin!

– Un autre!

– Oui, et cet autre, c’est l’oncle Tobie.

– Un entomologiste? demanda vivement cousin Bénédict.

– Non! L’oncle Tobie de Sterne, et ce digne oncle a précisément prononcé les mômes paroles en donnant la volée à un moustique qui l’importunait, mais qu’il crut pouvoir tutoyer: «Va, pauvre diable, lui dit-il, le monde est assez grand pour nous contenir toi et moi!»

– Un brave homme, cet oncle Tobie! répondit cousin Bénédict. Est-il mort?

– Je le crois bien, riposta gravement le capitaine Hull, puisqu’il n’a jamais existé!»

Et chacun de rire, en regardant cousin Bénédict.

Ainsi donc, dans ces conversations et bien d’autres, qui portaient invariablement sur quelque point de la science entomologique dès que cousin Bénédict y prenait part, s’écoulaient les longues heures de cette navigation contrariée. Mer toujours belle, mais vents qui obligeaient le brick-goëlette à tenir le plus près. Le Pilgrim ne gagnait que fort peu dans l’est, tant la brise était faible, et il lui tardait d’avoir atteint ces parages où les vents régnants lui seraient plus favorables.

Il faut dire ici que cousin Bénédict avait tenté d’initier le jeune novice aux mystères de l’entomologie. Mais Dick Sand s’était montré assez réfractaire à ces avances. Faute de mieux, le savant s’était rabattu sur les nègres, qui n’y comprenaient rien. Tom, Actéon, Bat et Austin avaient même fini par déserter la classe, et le professeur s’était trouvé réduit au seul Hercule, qui lui semblait avoir quelques dispositions naturelles à distinguer un parasite d’un thysanoure.

Le gigantesque noir vivait donc dans le monde des coléoptères, carnassiers, chasseurs, canonniers, fossoyeurs, cicindelles, carabes, sylphes, taupins, hannetons, cerfs-volants, ténébrions, charançons, coccinelles, étudiant toute la collection du cousin Bénédict, non sans que celui-ci frémît à voir ses frêles échantillons entre les gros doigts d’Hercule, qui avaient la dureté et la force d’un étau. Mais le colossal élève écoutait si docilement les leçons du professeur, que cela valait bien que l’on risquât quelque chose.

Tandis que cousin Bénédict travaillait ainsi, Mrs. Weldon ne laissait pas le petit Jack absolument inoccupé. Elle lui apprenait à lire et à écrire. Quant au calcul, c’était son ami Dick Sand qui lui en inculquait les premiers éléments.

A l’âge de cinq ans, on n’est qu’un petit enfant encore, et l’on s’instruit mieux peut-être par des jeux pratiques que par des leçons théoriques, nécessairement un peu ardues.

Jack apprenait à lire, non dans un abécédaire, mais au moyen de lettres mobiles, imprimées en rouge sur des cubes de bois, qu’il s’amusait à ranger, de manière à former des mots. Quelquefois, Mrs. Weldon prenait ces cubes, composait un mot; puis, elle les brouillait, et c’était à Jack de les replacer dans l’ordre voulu.

Le petit garçon aimait beaucoup cette manière d’apprendre à lire. Chaque jour, il passait quelques heures, tantôt dans la cabine, tantôt sur le pont, à ranger et à déranger les lettres de son alphabet.

Or, ceci provoqua un jour un incident si extraordinaire, si inattendu, qu’il faut le rapporter avec quelque détail.

C’était dans la matinée du 9 février. Jack, à demi couché sur le pont, s’amusait à former un mot que le vieux Tom devait reconstituer, après que les lettres auraient été brouillées. Tom, la main sur les yeux, pour ne pas tricher, comme il convient, ne devait rien voir et ne voyait rien du travail du petit garçon.

De ces diverses lettres, au nombre d’une cinquantaine, les unes étaient majuscules, les autres minuscules. De plus, quelques uns de ces cubes portaient un chiffre, ce qui permettait d’apprendre à former les nombres aussi bien qu’à former les mots.

Ces cubes étaient rangés sur le pont, et le petit Jack prenait tantôt l’un, tantôt l’autre, pour composer son mot, – une grosse besogne en vérité.

Or, depuis quelques instants, Dingo tournait autour du jeune enfant quand, soudain, il s’arrêta. Ses yeux devinrent fixes, sa patte droite se leva, sa queue s’agita convulsivement. Puis, tout à coup, se jetant sur un des cubes de bois, il le saisit dans sa gueule, et il vint le déposer sur le pont à quelques pas de Jack.

Ce cube portait une lettre majuscule, – la lettre S.

«Dingo ! eh bien, Dingo!» s’écria le petit garçon, qui avait craint tout d’abord que son S ne fût avalée par le chien.

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Mais Dingo était revenu, et, recommençant le même manège, il saisit un autre cube, et il alla le poser près du premier.

Ce second cube était un V majuscule.

Jack, cette fois, poussa un cri.

A ce cri, Mrs. Weldon, le capitaine Hull et le jeune novice, qui se promenaient sur le pont, accoururent. Le petit Jack leur raconta alors ce qui venait de se passer.

Dingo connaissait ses lettres! Dingo savait lire! C’était bien sûr, ça! Jack l’avait vu!

Dick Sand voulut aller reprendre les deux cubes, afin de les rendre à son ami Jack, mais Dingo lui montra les dents.

Cependant, le novice parvint à rentrer en possession des deux cubes, et il les replaça dans le jeu.

Dingo s’élança de nouveau, saisit encore les deux mêmes lettres et les reporta à l’écart. Cette fois, les deux pattes posées dessus, il paraissait décidé à les garder quand même. Quant aux autres lettres de l’alphabet, il ne semblait pas qu’elles existassent pour lui.

«Voilà une chose curieuse! dit Mrs. Weldon.

– C’est très-singulier, en effet, répondit le capitaine Hull, qui regardait attentivement les deux lettres.

– S. V., – dit Mrs. Weldon.

– S. V., – répéta le capitaine Hull. Mais ce sont précisément les lettres que porte le collier de Dingo!»

Puis, tout à coup, se retournant vers le vieux noir:

«Tom, demanda-t-il, ne m’avez-vous pas dit que ce chien n’appartenait que depuis peu au capitaine du Waldeck?

– En effet, monsieur, répondit Tom. Dingo n’était à bord que depuis deux ans au plus.

– Et n’avez-vous pas ajouté que le capitaine du Waldeck avait recueilli ce chien sur la côte occidentale de l’Afrique?

– Oui, monsieur, aux environs de l’embouchure du Congo. Je l’ai entendu souvent dire au capitaine.

– Ainsi, demanda le capitaine Hull, on n’a jamais su à qui avait appartenu ce chien, ni d’où il venait?

– Jamais, monsieur. Un chien trouvé, c’est pis qu’un enfant! Ça n’a pas de papiers, et, de plus, ça ne peut pas s’expliquer.»

Le capitaine Hull s’était tu et réfléchissait.

«Ces deux lettres éveillent-elles donc en vous un souvenir? demanda Mrs. Weldon au capitaine Hull, après l’avoir laissé quelques instants à ses réflexions.

– Oui, mistress Weldon, un souvenir, ou plutôt un rapprochement au moins singulier.

– Lequel?

– Ces deux lettres pourraient bien avoir un sens et nous fixer sur le sort d’un intrépide voyageur…,.

– Que voulez-vous dire? demanda Mrs. Weldon.

– Voici, mistress Weldon. En 1871, – il y a deux ans par conséquent, – un voyageur français partit, sous l’inspiration de la Société de géographie île Paris, avec l’intention d’opérer la traversée de l’Afrique de l’ouest à l’est. Son point de départ était précisément l’embouchure du Congo. Son point d’arrivée devait être autant que possible le cap Deldago, aux bouches de la Rovouma, dont il devait descendre le cours. Or, ce voyageur français se nommait Samuel Vernon.

– Samuel Vernon! répéta Mrs. Weldon.

– Oui mistress Weldon, et ses deux noms commencent précisément par ces deux lettres que Dingo a choisies entre toutes, et qui sont gravées sur son collier.

– En effet, répondit Mrs. Weldon. Et ce voyageur?…

– Ce voyageur partit, répondit le capitaine Hull, et l’on n’a plus eu de ses nouvelles depuis son départ.

– Jamais? dit le novice.

– Jamais, répéta le capitaine Hull.

_ Qu’en concluez-vous? demanda Mrs. Weldon.

– Que Samuel Vernon n’a évidemment pu atteindre la côte orientale de l’Afrique, soit qu’il ait été fait prisonnier par les indigènes, soit que la mort l’ait frappé en route!

– Et alors ce chien?…

– Ce chien lui aurait appartenu, et plus heureux que son maître, si mon hypothèse est juste, il aurait pu revenir au littoral du Congo, puisque c’est là, à l’époque où ces faits ont dû se passer, qu’il a été recueilli par le capitaine du Waldeck.

– Mais, fit observer Mrs. Weldon, savez-vous si ce voyageur français était accompagné d’un chien à son départ? N’est-ce pas une simple supposition de votre part?

– Ce n’est qu’une simple supposition, en effet, mistress Weldon, répondit le capitaine Hull. Mais ce qui est certain, c’est que Dingo connaît ces deux lettres S et V, qui sont précisément les initiales des deux noms du voyageur français. Maintenant, dans quelles circonstances cet animal aurait-il appris à les distinguer, c’est ce que je ne puis expliquer, mais, je le répète, il les connaît très-certainement, et tenez, il les pousse de sa patte et semble nous inviter à les lire avec lui.»

En effet, on ne pouvait se méprendre à l’intention de Dingo.

«Samuel Vernon était-il donc seul, lorsqu’il a quitté le littoral du Congo? demanda Dick Sand.

– Cela, je l’ignore, répondit le capitaine Hull. Cependant, il est probable qu’il avait dû emmener une escorte d’indigènes.»

En ce moment, Negoro, quittant le poste, se montra sur le pont. Personne ne remarqua d’abord sa présence et ne put observer le singulier regard qu’il lança au chien, lorsqu’il aperçut les deux lettres devant lesquelles celui-ci semblait être en arrêt. Mais Dingo, ayant aperçu le maître-coq, se mit à donner les signes de la plus extrême fureur.

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Negoro rentra aussitôt dans le poste de l’équipage, non sans qu’un geste de menace à l’adresse du chien lui eût échappé.

«Il y a-là quelque mystère! murmura le capitaine Hull, qui n’avait rien perdu de cette petite scène.

– Mais, monsieur, dit le novice, n’est-il pas très-étonnant qu’un chien puisse reconnaître des lettres de l’alphabet?

– Eh non! s’écria le petit Jack. Maman m’a souvent raconté l’histoire d’un chien qui savait lire et écrire et même jouer aux dominos, comme un vrai maître d’école!

– Mon cher enfant, répondit Mrs. Weldon en souriant, ce chien, qui s’appelait Munito, n’était point un savant comme tu le penses. Si j’en crois ce qui m’a été raconté, il n’aurait pu distinguer l’une de l’autre les lettres qui lui servaient à composer ses mots. Mais son maître, un adroit Américain, ayant remarqué combien Munito avait l’ouïe fine, s’était appliqué à exercer ce sens et à en tirer des effets fort curieux.

– Comment s’y prenait-il, mistress Weldon? demanda Dick Sand, que l’histoire intéressait presque autant que le petit Jack.

– Voici, mon ami. Lorsque Munito devait «travailler» devant le public, des lettres semblables à celles-ci étaient étalées sur une table. Sur cette table, le caniche allait et venait, attendant qu’un mot fût proposé, soit à voix haute, soit à voix basse. Seulement, une condition essentielle, c’était que son maître connût le mot.

– Ainsi, en l’absence de son maître?… dit le novice.

– Le chien n’aurait rien pu faire, répondit Mrs. Weldon, et voici pourquoi. Les lettres étalées sur la table, Munito se promenait à travers cet alphabet. Arrivait-il devant celle des lettres qu’il devait choisir pour former le mot demandé, il s’arrêtait; mais, s’il s’arrêtait, c’est parce qu’il entendait le bruit, imperceptible à tout autre, d’un cure-dent que l’Américain faisait claquer dans sa poche. Ce bruit, c’était pour Munito le signal de prendre la lettre et de venir la ranger dans l’ordre convenu.

– Et voilà tout le secret! s’écria Dick Sand.

– Voilà tout le secret, répondit Mrs. Weldon. C’est très-simple, comme tout ce qui se fait en matière de prestidigitation. En l’absence de l’Américain, Munito n’aurait plus été Munito. Je suis donc étonnée, son maître n’étant pas là, – si toutefois le voyageur Samuel Vernon a jamais été son maître, – que Dingo ait pu reconnaître ces deux lettres.

– En effet, répondit le capitaine Hull, c’est fort étonnant. Mais, remarquez-le bien il ne s’agit ici que de deux lettres, deux lettres spéciales, et non d’un mot choisi au hasard. Après tout, ce chien qui sonnait à la porte d’un couvent pour s’emparer du plat destiné aux pauvres passants, cet autre qui, chargé, en même temps que l’un de ses semblables, de faire tourner la broche de deux jours l’un, et qui refusait de remplir cet office quand son tour n’était pas venu, ces deux chiens, dis-je, allaient plus loin que Dingo dans ce domaine de l’intelligence, qui est réservé à l’homme. D’ailleurs, nous sommes en présence d’un fait indiscutable. De toutes les lettres de cet alphabet, Dingo n’a choisi que ces deux-ci: S et V. Les autres, il ne semble même pas les connaître. Il faut donc en conclure que, pour une raison qui nous échappe, son attention a été spécialement attirée sur ces deux lettres.

– Ah! capitaine Hull, répondit le jeune novice, si Dingo pouvait parler!… Peut-être nous dirait-il ce que signifient ces deux lettres, et pourquoi il a conservé une dent contre notre maître-coq!

– Et quelle dent!» répondit le capitaine Hull, au moment où Dingo, ouvrant la bouche, montrait ses formidables crocs.

 

 

Chapitre VI

Une baleine en vue.

 

n le pense bien, ce singulier incident fit plus d’une fois le sujet des conversations qui se tenaient à l’arrière du Pilgrim entre Mrs. Weldon, le capitaine Hull et le jeune novice. Celui-ci, plus particulièrement, ressentit une défiance instinctive à l’égard de Negoro, dont la conduite, cependant, ne méritait aucun reproche.

À l’avant, on en causait aussi, mais on n’en tirait pas les mêmes conséquences. Là, dans le poste de l’équipage, Dingo passait tout simplement pour un chien qui savait lire, et peut-être même écrire mieux que plus d’un matelot du bord. Quant à parler, s’il ne le faisait pas, c’est qu’il avait probablement de bonnes raisons pour se taire.

«Mais, un beau jour, dit le timonier Bolton, un beau jour, ce chien-là viendra nous demander où nous avons le cap, si le vent est à l’ouest-nord-ouest-demi-nord, et il faudra bien lui répondre!

– Il y a des animaux qui parlent! répliqua un autre matelot, des pies, des perroquets! Eh bien, pourquoi un chien n’en ferait-il pas autant, s’il lui en prenait l’envie? Il est plus difficile de parler avec un bec qu’avec une bouche!

– Sans doute, répondit le contre-maître Howik. Seulement cela ne s’est jamais vu.»

On aurait bien étonné ces braves gens, en leur disant que cela s’était vu, au contraire, et qu’un certain savant danois possédait un chien qui prononçait distinctement une vingtaine de mots. Mais de là à ce que cet animal comprît ce qu’il disait, il y avait un abîme. Très-évidemment, ce chien, dont la glotte était organisée de manière à pouvoir émettre des sons réguliers, n’attachait pas plus de sens à ses paroles que les perroquets, les geais ou les pies aux leurs. La phrase, chez ces animaux, n’est pas autre chose qu’une sorte de chant ou de cris parlés, empruntés à une langue étrangère dont on n’aurait pas le sens.

Quoi qu’il en soit, Dingo était devenu le héros du bord, – ce dont il ne prenait point acte pour être fier. Plusieurs fois, le capitaine Hull recommença l’expérience. Les cubes de bois de l’alphabet furent replacés devant Dingo, et, invariablement, sans une erreur, sans une hésitation, les deux lettres S et V furent choisies entre toutes par le singulier animal, tandis que les autres n’attirèrent jamais son attention.

Quant au cousin Bénédict, cette expérience fut souvent renouvelée devant lui, sans qu’elle parût l’intéresser.

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«Cependant, daigna-t-il dire un jour, il ne faudrait pas croire que les chiens aient seuls le privilège d’être intelligents de cette manière! D’autres animaux les égalent, rien qu’en suivant leur instinct. Tels les rats, qui abandonnent le navire destiné à sombrer en mer, les castors, qui savent prévoir la crue des eaux et surélèvent leurs digues en conséquence, ces chevaux de Nicomède, de Scanderberg et d’Oppien, dont la douleur fut telle qu’ils moururent à la mort de leurs maîtres, ces ânes, si remarquables par leur mémoire, et tant d’autres bêtes enfin qui ont été l’honneur de l’animalité! N’a-t-on pas vu de ces oiseaux, merveilleusement dressés, qui écrivent sans faute des mots sous la dictée de leurs professeurs, des cacatois qui comptent aussi bien qu’un calculateur du Bureau des longitudes le nombre de personnes présentes dans un salon? N’a-t-il pas existé un perroquet, payé cent écus d’or, qui récitait, sans se tromper d’un mot, au cardinal son maître, tout le Symbole des apôtres? Enfin, le légitime orgueil d’un entomologiste ne doit-il pas s’élever au comble, lorsqu’il voit de simples insectes donner des preuves d’une intelligence supérieure et affirmer éloquemment l’axiome:

In minimis maximus Deus.

ces fourmis qui en remontreraient aux édiles des plus grandes cités, ces argyronètes aquatiques qui fabriquent des cloches à plongeurs, sans avoir jamais appris la mécanique, ces puces qui traînent des carrosses comme de véritables carrossiers, qui font l’exercice aussi bien que des riflemen, qui tirent le canon mieux que les artilleurs brevetés de West-Point2? Non! ce Dingo ne mérite pas tant d’éloges, et s’il est si fort sur l’alphabet, c’est sans doute qu’il appartient à une espèce de mâtins, non encore classée dans la science zoologique, le «canis alphabeticus» de la Nouvelle-Zélande!»

Malgré ces discours et autres de l’envieux entomologiste, Dingo ne perdit rien de l’estime publique, et continua d’être traité comme un phénomène dans les entretiens du gaillard d’avant.

Toutefois, il est probable que Negoro ne partageait pas l’enthousiasme du bord à l’égard de l’animal. Peut-être le trouvait-il trop intelligent. Quoi qu’il en soit, le chien témoignait toujours la même animosité contre le maître-coq, et, sans doute, il se fût attiré quelque mauvais parti, s’il n’avait été, d’une part, «chien à se défendre», et, de l’autre, protégé par la sympathie de tout l’équipage.

Negoro évitait donc plus que jamais de se trouver en présence de Dingo. Mais Dick Sand n’avait pas été sans observer que, depuis l’incident des deux lettres, l’antipathie réciproque de l’homme et du chien s’était accrue. Cela était vraiment inexplicable.

Le 10 février, le vent du nord-est, qui jusqu’alors avait toujours succédé à ces longues et accablantes accalmies pendant lesquelles s’immobilisait le Pilgrim,vint à mollir sensiblement. Le capitaine Hull put donc espérer qu’un changement dans la direction des courants atmosphériques allait se produire. Peut-être le brick-goélette marcherait-il enfin vent sous vergues. Son départ du port d’Auckland ne datait encore que de dix-neuf jours. Le retard n’était pas très-considérable, et, avec un vent de travers, le Pilgrim, bien servi par sa voilure, devait facilement regagner le temps perdu. Mais il fallait attendre quelques jours avant que les brises se fussent franchement établies dans l’ouest.

Cette partie du Pacifique était toujours déserte. Aucun bâtiment ne se montrait dans ces parages. C’était une latitude véritablement abandonnée des navigateurs. Les baleiniers des mers australes ne se disposaient pas encore à franchir le tropique. Sur le Pilgrim, que des circonstances particulières avaient obligé à quitter les lieux de pêche avant la fin de la saison, on ne devait donc pas s’attendre à croiser quelque navire de même destination.

Quant aux paquebots transpacifiques, il a été déjà dit qu’ils ne suivaient pas un parallèle aussi élevé dans leurs traversées entre l’Australie et le continent américain.

Cependant, par cela même que la mer est déserte, il ne faut pas renoncer à l’observer jusqu’aux dernières limites de l’horizon. Si monotone qu’elle puisse paraître aux esprits inattentifs, elle n’en est pas moins infiniment variée pour qui sait la comprendre. Ses plus insaisissables changements charment les imaginations qui ont le sens des poésies de l’Océan. Une herbe marine qui flotte en ondulant, une branche de sargasses dont le léger sillage zèbre la surface des flots, un bout de planche dont on voudrait deviner l’histoire, il n’en faut pas davantage. Devant cet infini, l’esprit n’est plus arrêté par rien. L’imagination se donne libre carrière. Chacune de ces molécules d’eau, que l’évaporation échange continuellement entre la mer et le ciel, renferme, peut-être, le secret de quelque catastrophe! Aussi faut-il envier ceux dont la pensée intime sait interroger les mystères de l’Océan, ces esprits qui s’élèvent de sa mouvante surface jusque dans les hauteurs du ciel.

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La vie, d’ailleurs, se manifeste toujours au-dessus comme au-dessous des mers. Les passagers du Pilgrim pouvaient voir s’acharner à la poursuite des plus petits poissons des bandes d’oiseaux, de ceux qui fuient avant l’hiver le dur climat des pôles. Et plus d’une fois, Dick Sand, élève sur ce point comme sur d’autres de James W. Weldon, donna des preuves de sa merveilleuse adresse au fusil ou au pistolet, en abatant quelques-uns de ces rapides volatiles.

C’étaient, ici, des pétrels blancs, là, d’autres pétrels dont les ailes étaient bordées d’un liseré brun. Quelquefois, aussi, passaient des troupes de damiers ou quelques-uns de ces pingouins dont la démarche à terre est à la fois si pesante et si ridicule. Cependant, ainsi que le faisait remarquer le capitaine Hull, ces pingouins, se servant de leurs moignons comme de véritables nageoires, peuvent défier à la nage les poissons les plus rapides, à tel point même que des marins les ont quelquefois confondus avec les bonites.

Plus haut, de gigantesques albatros frappaient l’air à grands coups d’ailes, en déployant une envergure de dix pieds, et venaient ensuite se poser à la surface des eaux, qu’ils fouillaient à coups de bec pour y chercher leur nourriture.

Toutes ces scènes constituaient un spectacle varié, que, seuls, des esprits fermés au charme de la nature eussent trouvé monotone.

Ce jour-là, Mrs. Weldon se promenait à l’arrière du Pilgrim,lorsqu’un phénomène assez curieux provoqua son attention. Les eaux de la mer étaient devenues rougeâtres presque subitement. On eût pu croire qu’elles venaient de se teindre de sang, et cette teinte inexplicable s’étendait aussi loin que pouvait se porter le regard.

Dick Sand se trouvait alors avec le petit Jack près de Mrs. Weldon.

«Vois-tu, Dick, dit-elle au jeune novice, cette singulière couleur des eaux du Pacifique? Est-ce qu’elle est due à la présence d’une herbe marine?

– Non, mistress Weldon, répondit Dick Sand, cette teinte est produite par des myriades de myriades de petits crustacés, qui servent habituellement à nourrir les grands mammifères. Les pêcheurs appellent cela, non sans raison, du «manger de baleine».

– Des crustacés! dit Mrs. Weldon. Mais ils sont si petits qu’on pourrait presque les appeler des insectes de mer. Cousin Bénédict serait peut-être fort enchanté d’en faire collection!»

Et appelant:

«Cousin Bénédict?» cria-t-elle.

Cousin Bénédict apparut hors du capot, presque en même temps que le capitaine Hull.

«Cousin Bénédict, dit Mrs. Weldon, voyez donc cet immense banc rougeâtre qui s’étend à perte de vue.

– Tiens! dit le capitaine Hull, voilà du manger de baleine! Monsieur Bénédict, une belle occasion pour étudier cette curieuse espèce de crustacés!

– Peuh! fit l’entomologiste.

– Comment! peuh! s’écria le capitaine. Mais vous n’avez pas le droit de professer une telle indifférence! Ces crustacés forment une des six classes des articulés, si je ne me trompe, et comme tels…

– Peuh! fit encore cousin Bénédict en secouant la tête.

– Par exemple! Je vous trouve passablement dédaigneux pour un entomologiste!

– Entomologiste, soit, répondit cousin Bénédict, mais plus spécialement hexapodiste, capitaine Hull, veuillez ne pas l’oublier!

– En tout cas, répondit le capitaine Hull, que ces crustacés ne vous intéressent pas, soit, mais il en serait autrement, si vous possédiez un estomac de baleine! Quel régal, alors! – Voyez-vous, mistress Weldon, lorsque, nous autres baleiniers, pendant la saison de pêche, nous arrivons en vue d’un banc de ces crustacés, il n’est que temps de préparer nos harpons et nos lignes! Nous sommes certains que le gibier n’est pas loin!

– Est-il possible que d’aussi petites bêtes puissent en nourrir de si grosses? s’écria Jack.

– Eh! mon garçon, répondit le capitaine Hull, des petits grains de semoule, de la farine, de la poussière de fécule, ne font-ils pas de très-bons potages? Oui, et la nature a voulu qu’il en fût ainsi. Lorsqu’une baleine flotte au milieu de ces eaux rouges, sa soupe est servie, elle n’a plus qu’à ouvrir son immense bouche. Des myriades de crustacés y pénètrent, les nombreuses barbes de ces fanons dont le palais de l’animal est garni se tendent comme les filets d’un parc de pêcheurs, rien n’en peut plus sortir, et la masse des crustacés va s’engouffrer dans le vaste estomac de la baleine, tout comme le potage de ton dîner dans le tien.

– Vous pensez bien, Jack, fit observer Dick Sand, que dame baleine ne perd pas son temps à éplucher un à un ces crustacés, comme vous épluchez des crevettes!

– J’ajoute, dit le capitaine Hull, que c’est précisément lorsque l’énorme gourmande est occupée de la sorte, qu’il est plus facile de l’approcher sans exciter sa défiance. C’est donc le moment favorable pour la harponner avec quelque succès,»

A cet instant, et comme pour donner raison au capitaine Hull, la voix d’un matelot se fit entendre à l’avant du navire:

«Une baleine par bâbord devant!»

Le capitaine Hull s’était redressé.

«Une baleine!» s’écria-t-il.

Et son instinct de pêcheur le poussant, il se précipita sur le gaillard du Pilgrim.

Mrs. Weldon, Jack, Dick Sand, cousin Bénédict lui-même, le suivirent aussitôt.

En effet, à quatre milles dans le vent, certain bouillonnement indiquait qu’un gros mammifère marin se mouvait au milieu des eaux rouges. Des baleiniers ne pouvaient s’y méprendre.

Mais la distance était trop considérable encore pour qu’il fût possible de reconnaître l’espèce à laquelle ce mammifère appartenait. Ces espèces, en effet, sont assez distinctes.

Était-ce là une de ces baleines franches que recherchent plus particulièrement les pêcheurs des mers du Nord? Ces cétacés, auxquels manque la nageoire dorsale, mais dont la peau recouvre une épaisse couche de lard, peuvent atteindre une longueur de quatre-vingts pieds, bien que la moyenne n’en dépasse pas soixante, et alors un seul de ces monstres fournit jusqu’à cent barils d’huile.

Était-ce, au contraire, un «hump-back», appartenant à l’espèce des baleinoptères, – désignation dont le terminatif aurait au moins dû lui valoir l’estime de l’entomologiste. Ceux-là possèdent des nageoires dorsales, blanches de couleur et longues de la demi-longueur du corps, qui ressemblent à une paire d’ailes, – quelque chose comme une baleine volante?

N’avait-on pas en vue, plus vraisemblablement, un «fin-back», mammifère également connu sous le nom de «jubarte», qui est pourvu d’une nageoire dorsale, et dont la longueur peut égaler celle de la baleine franche?

Le capitaine Hull et son équipage ne pouvaient encore se prononcer, mais ils regardaient l’animal avec plus d’envie encore que d’admiration.

S’il est vrai qu’un horloger ne puisse se trouver dans un salon en présence d’une pendule sans éprouver l’irrésistible besoin de la remonter, combien plus encore le baleinier devant une baleine doit-il être pris de l’impérieux désir de s’en emparer! Les chasseurs de gros gibier sont plus ardents, dit-on, que les chasseurs de petit gibier. Donc, plus l’animal est gros, plus il excite la convoitise! Que doivent ressentir alors des chasseurs d’éléphants et des pêcheurs de baleines? Et puis, il y avait aussi ce désappointement qu’éprouvait tout l’équipage du Pilgrim de revenir avec un chargement incomplet!…

Cependant, le capitaine Hull cherchait à reconnaître l’animal qui avait été signalé au large. Il n’était pas très-visible de cette distance. Toutefois, l’œil exercé d’un baleinier ne pouvait se tromper à certains détails plus faciles à relever de loin.

En effet, le jet, c’est-à-dire cette colonne de vapeur et d’eau que la baleine rejette par ses évents, devait attirer l’attention du capitaine Hull et le fixer sur l’espèce à laquelle appartenait ce cétacé.

«Ce n’est point là une baleine franche, s’écria-t-il. Son jet serait à la fois plus élevé et d’un volume moins considérable. D’autre part, si le bruit que fait ce jet en s’échappant pouvait être comparé au bruit éloigné d’une bouche à feu, je serais porté à croire que cette baleine appartient à l’espèce des «hump-backs»; mais il n’en est rien, et, en prêtant l’oreille, on peut s’assurer que ce bruit est d’une nature toute différente. – Quelle est ton opinion à ce sujet, Dick? demanda le capitaine Hull en se retournant vers le novice.

– Je croirais volontiers, capitaine, répondit Dick Sand, que nous avons affaire à une jubarte. Voyez comme ses évents rejettent violemment dans l’air cette colonne de liquide. Ne vous semble-t-il pas aussi, – ce qui me donnerait raison, – que ce jet contient plus d’eau que de vapeur condensée? Et, si je no me trompe, c’est une particularité spéciale à la jubarte.

– En effet, Dick, répondit le capitaine Hull. Il n’y a plus de doute possible! C’est une jubarte qui flotte à la surface de ces eaux rouges!

– Que c’est beau! s’écria le petit Jack.

– Oui, mon garçon! Et quand on pense que la grosse bête est là, en train de déjeuner, et ne se doute guère que des baleiniers la regardent!

– J’oserais affirmer que c’est une jubarte de grande taille, fit observer Dick Sand.

– Certes, répondit le capitaine Hull, qui se passionnait peu à peu. Je lui donne au moins soixante-dix pieds de longueur!

– Bon! ajouta le maître d’équipage. Il suffirait d’une demi-douzaine de baleines de cette taille pour remplir un navire grand comme le nôtre!

– Oui, cela suffirait! répliqua le capitaine Hull, qui monta sur le beaupré afin de mieux voir.

– Et avec celle-ci, ajouta le maître d’équipage, nous embarquerions en quelques heures la moitié des deux cents barils d’huile qui nous manquent!

– Oui!… en effet… oui!… murmurait le capitaine Hull.

– Cela est vrai, reprit Dick Sand, mais c’est une rude affaire, quelquefois, de s’attaquer à ces énormes jubartes!

– Très-rude, très-rude! répliqua le capitaine Hull. Ces baleinoptères ont des queues formidables, dont il ne faut pas s’approcher sans défiance! La plus solide pirogue ne résisterait pas à un coup bien appliqué. Mais aussi le profit vaut la peine!

– Bah! dit un des matelots, une belle jubarte est tout de même une belle capture!

– Et profitable! répondit un autre.

– Ce serait dommage de ne pas saluer celle-ci au passage!»

Il était évident que ces braves marins s’animaient en regardant la baleine. C’était toute une cargaison de barils d’huile qui flottait à portée de leur main. A les entendre, sans doute, il n’y avait plus qu’à arrimer ces barils dans la cale du Pilgrim pour en compléter le chargement!

Quelques-uns des matelots, montés dans les enfléchures des haubans de misaine, poussaient des cris de convoitise. Le capitaine Hull, qui ne parlait plus, se rongeait les ongles. Il y avait là comme un irrésistible aimant qui attirait le Pilgrim et tout son équipage.

«Maman, maman! s’écria alors le petit Jack, je voudrais bien avoir la baleine pour voir comment c’est fait!

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– Ah! tu veux avoir cette baleine, mon garçon? Eh! pourquoi pas, mes amis? répondit le capitaine Hull, cédant enfin à son secret désir. Les pécheurs de renfort nous manquent, c’est vrai! mais à nous seuls…

– Oui! oui! crièrent les matelots d’une seule voix.

– Ce ne sera pas la première fois que j’aurai fait le métier de harponneur, ajouta le capitaine Hull, et vous allez voir si je sais encore lancer le harpon!

– Hurrah! hurrah! hurrah!» répondit l’équipage.

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1 Bat, abréviatif de Bartholomée.

2 École militaire de l’État de New-York.