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Jules Verne

 

les indes noires

 

(Chapitre VI-X)

 

 

45 dessinsJules-Descartes Férat

Bibliothèque d’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

 

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© Andrzej Zydorczak

 

 

 

Chapitre VI

Quelques phénomènes inexplicables.

 

n sait ce que sont les croyances superstitieuses dans les hautes et basses terres de l’Ecosse. En certains clans, les tenanciers du laird, réunis pour la veillée, aiment à redire les contes empruntés au répertoire de la mythologie hyperboréenne. L’instruction, quoique largement et libéralement répandue dans le pays, n’a pas pu réduire encore à l’état de fictions ces légendes, qui semblent inhérentes au sol même de la vieille Calédonie. C’est encore le pays des esprits et des revenants, des lutins et des fées. Là apparaissent toujours le génie malfaisant qui ne s’éloigne que moyennant finances, le «Seer» des Highlanders, qui, par un don de seconde vue, prédit les morts prochaines, le «May Moullach», qui se montre sous la forme d’une jeune fille aux bras velus et prévient les familles des malheurs dont elles sont menacées, la fée «Branshie», qui annonce les événements funestes, les «Brawnies», auxquels est confiée la garde du mobilier domestique, l’«Urisk», qui fréquente plus particulièrement les gorges sauvages du lac Katrine, – et tant d’autres.

Il va de soi que la population des houillères écossaises devait fournir son contingent de légendes et de fables à ce répertoire mythologique. Si les montagnes des Hautes-Terres sont peuplées d’êtres chimériques, bons ou mauvais, à plus forte raison les sombres houillères devaient-elles être hantées jusque dans leurs dernières profondeurs. Qui fait trembler le gisement pendant les nuits d’orage, qui met sur la trace du filon encore inexploité, qui allume le grisou et préside aux explosions terribles, sinon quelque génie de la mine? C’était, du moins, l’opinion communément répandue parmi ces superstitieux Écossais. En vérité, la plupart des mineurs croyaient volontiers au fantastique, quand il ne s’agissait que de phénomènes purement physiques, et on eût perdu son temps à vouloir les désabuser. Où la crédulité se fût-elle développée plus librement qu’au fond de ces abîmes?

Or, les houillères d’Aberfoyle, précisément parce qu’elles étaient exploitées dans le pays des légendes, devaient se prêter plus naturellement à tous les incidents du surnaturel.

Donc les légendes y abondaient. Il faut dire, d’ailleurs, que certains phénomènes, inexpliqués jusqu’alors, ne pouvaient que fournir un nouvel aliment à la crédulité publique.

Au premier rang des superstitieux de la fosse Dochart, figurait Jack Ryan, le camarade d’Harry. C’était le plus grand partisan du surnaturel qui fût. Toutes ces fantastiques histoires, il les transformait en chansons, qui lui valaient de beaux succès pendant les veillées d’hiver.

Mais Jack Ryan n’était pas le seul à faire montre de sa crédulité. Ses camarades affirmaient, non moins hautement, que les fosses d’Aberfoyle étaient hantées, que certains êtres insaisissables y apparaissaient fréquemment, comme cela arrivait dans les Hautes-Terres. A les entendre, ce qui même aurait été extraordinaire, c’eût été qu’il n’en fût pas ainsi. Est-il donc, en effet, un milieu mieux disposé qu’une sombre et profonde houillère pour les ébats des génies, des lutins, des follets et autres acteurs des drames fantastiques? Le décor était tout dressé, pourquoi les personnages surnaturels n’y seraient pas venus jouer leur rôle?

Ainsi raisonnaient Jack Ryan et ses camarades des houillères d’Aberfoyle. On a dit que les différentes fosses communiquaient entre elles par les longues galeries souterraines, ménagées entre les filons. Il existait ainsi sous le comté de Stirling un énorme massif, sillonné de tunnels, troué de caves, foré de puits, une sorte d’hypogée, de labyrinthe subterrané, qui offrait l’aspect d’une vaste fourmilière.

Les mineurs des divers fonds se rencontraient donc souvent, soit lorsqu’ils se rendaient sur les travaux d’exploitation, soit lorsqu’ils en revenaient. De là, une facilité constante d’échanger des propos et de faire circuler d’une fosse à l’autre les histoires qui tiraient leur origine de la houillère. Les récits se transmettaient ainsi avec une rapidité merveilleuse, passant de bouche en bouche et s’accroissant comme il convient.

Cependant, deux hommes plus instruits et de tempérament plus positif que les autres, avaient toujours résisté à cet entraînement. Ils n’admettaient à aucun degré l’intervention des lutins, des génies ou des fées.

C’étaient Simon Ford et son fils. Et ils le prouvèrent bien en continuant d’habiter la sombre crypte, après l’abandon de la fosse Dochart. Peut-être la bonne Madge avait-elle quelque penchant au surnaturel, comme toute Ecossaise des Hautes-Terres. Mais ces histoires d’apparitions, elle était réduite à se les raconter à elle-même, – ce qu’elle faisait consciencieusement, d’ailleurs, pour ne point perdre les vieilles traditions.

Simon et Harry Ford eussent-ils été aussi crédules que leurs camarades, ils n’auraient abandonné la houillère ni aux génies, ni aux fées. L’espoir de découvrir un nouveau filon leur eût fait braver toute la fantastique cohorte des lutins. Ils n’étaient crédules, ils n’étaient croyants que sur un point: ils ne pouvaient admettre que le gisement carbonifère d’Aberfoyle fût totalement épuisé. On peut dire, avec quelque justesse, que Simon Ford et son fils avaient à ce sujet «la foi du charbonnier», cette foi en Dieu que rien ne peut ébranler.

C’est pourquoi depuis dix ans, sans y manquer un seul jour, obstinés, immuables dans leurs convictions, le père et le fils prenaient leur pic, leur bâton et leur lampe. Ils allaient ainsi tous les deux, cherchant, tâtant la roche d’un coup sec, écoutant si elle rendait un son favorable.

Tant que les sondages n’auraient pas été poussés jusqu’au granit du terrain primaire, Simon et Harry Ford étaient d’accord que la recherche, inutile aujourd’hui, pouvait être utile demain, et qu’elle devait être reprise. Leur vie entière, ils la passeraient à essayer de rendre à la houillère d’Aberfoyle son ancienne prospérité. Si le père devait succomber avant l’heure de la réussite, le fils reprendrait la tâche à lui seul.

En même temps, ces deux gardiens passionnés de la houillère la visitaient au point de vue de sa conservation. Ils s’assuraient de la solidité des remblais et des voûtes. Ils recherchaient si un éboulement était à craindre, et s’il devenait urgent de condamner quelque partie de la fosse. Ils examinaient les traces d’infiltration des eaux supérieures, ils les dérivaient, ils les canalisaient pour les envoyer à quelque puisard. Enfin, ils s’étaient volontairement constitués les protecteurs et conservateurs de ce domaine improductif, duquel étaient sorties tant de richesses, maintenant dissoutes en fumées.

Ce fut pendant quelques-unes de ces excursions qu’il arriva à Harry, plus particulièrement, d’être frappé de certains phénomènes, dont il cherchait en vain l’explication.

Ainsi, plusieurs fois, lorsqu’il suivait quelque étroite contre-galerie, il lui sembla entendre des bruits analogues à ceux qu’auraient pu produire de violents coups de pic, frappés sur la paroi remblayée.

Harry, que le surnaturel, non plus que le naturel, ne pouvait effrayer, avait pressé le pas pour surprendre la cause de ce mystérieux travail.

Le tunnel était désert. La lampe du jeune mineur, promenée sur la paroi, n’avait laissé voir aucune trace récente de coups de pince ou de pic. Harry se demandait donc s’il n’était pas le jouet d’une illusion d’acoustique, de quelque bizarre ou fantasque écho.

D’autres fois, en projetant subitement une vive lumière vers une anfractuosité suspecte, il avait cru voir passer une ombre. Il s’était élancé… Rien, alors même qu’aucune issue n’eût permis à un être humain de se dérober à sa poursuite!

A deux reprises depuis un mois, Harry, visitant la partie ouest de la fosse, entendit distinctement des détonations lointaines, comme si quelque mineur eût fait éclater une cartouche de dynamite.

La dernière fois, après de minutieuses recherches, il avait reconnu qu’un pilier venait d’être éventré par un coup de mine.

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A la clarté de sa lampe, Harry examina attentivement la paroi attaquée par la mine. Elle n’était point faite d’un simple remblayage de pierres, mais d’un pan de schiste, qui avait pénétré à cette profondeur dans l’étage du gisement houiller. Le coup de mine avait-il eu pour objet de provoquer la découverte d’un nouveau filon? N’avait-on voulu que produire un éboulement de cette portion de la houillère? C’est ce que se demanda Harry, et, quand il fit connaître ce fait à son père, ni le vieil overman, ni lui ne purent résoudre la question d’une façon satisfaisante.

«C’est singulier, répétait souvent Harry. La présence dans la mine d’un être inconnu semble impossible, et, cependant, elle ne peut être mise en doute! Un autre que nous voudrait-il donc chercher s’il n’existe pas encore quelque veine exploitable? Ou plutôt, ne tenterait-il pas d’anéantir ce qui reste des houillères d’Aberfoyle? Mais dans quel but? Je le saurai, quand il devrait m’en coûter la vie!»

Quinze jours avant cette journée, pendant laquelle Harry Ford guidait l’ingénieur à travers le dédale de la fosse Dochart, il s’était vu sur le point d’atteindre le but de ses recherches.

Il parcourait l’extrémité du sud-ouest de la houillère, un puissant fanal à la main.

Tout à coup, il lui sembla qu’une lumière venait de s’éteindre, à quelques centaines de pieds devant lui, au fond d’une étroite cheminée, qui coupait obliquement le massif. Il se précipita vers la lueur suspecte…

Recherche inutile. Comme Harry n’admettait pas pour les choses physiques d’explication surnaturelle, il en conclut que, certainement, un être inconnu rôdait dans la fosse. Mais, quoi qu’il fît, cherchant avec le plus extrême soin, scrutant les moindres anfractuosités de la galerie, il en fut pour sa peine, et ne put arriver à une certitude quelconque.

Harry s’en remit donc au hasard pour lui dévoiler ce mystère. De loin en loin, il vit encore apparaître des tueurs qui voltigeaient d’un point à l’autre comme des feux de Saint-Elme; mais leur apparition n’avait que la durée d’un éclair et il fallut renoncer à en découvrir la cause.

Si Jack Ryan et les autres superstitieux de la houillère eussent aperçu ces flammes fantastiques, ils n’auraient certainement pas manqué de crier au surnaturel!

Mais Harry n’y songeait même pas. Le vieux Simon non plus. Et lorsque tous deux causaient de ces phénomènes, dus évidemment à une cause purement physique:

«Mon garçon, répondait le vieil overman, attendons! Tout cela s’expliquera quelque jour!»

Toutefois, il faut observer que jamais, jusqu’alors, ni Harry, ni son père n’avaient été en butte à un acte de violence.

Si la pierre, tombée ce jour même aux pieds de James Starr, avait été lancée par la main d’un malfaiteur, c’était le premier acte criminel de ce genre.

James Starr, interrogé, fut d’avis que cette pierre s’était détachée de la voûte de la galerie. Mais Harry n’admit pas une explication si simple. La pierre, suivant lui, n’était pas tombée, elle avait été lancée. A moins de rebondir, elle n’eût jamais décrit une trajectoire, si elle n’eût été mue par une impulsion étrangère.

Harry voyait donc là une tentative directe contre lui et son père, ou même contre l’ingénieur. Après ce qu’on sait, peut-être conviendra-t-on qu’il était fondé à le croire.

 

 

Chapitre VII

Une expérience de Simon Ford.

 

idi sonnait à la vieille horloge de bois de la salle, lorsque James Starr et ses deux compagnons quittèrent le cottage.

La lumière, pénétrant à travers le puits d’aération, éclairait vaguement la clairière. La lampe d’Harry eût été inutile alors, mais elle ne devait pas tarder à servir, car c’était vers l’extrémité même de la fosse Dochart que le vieil overman allait conduire l’ingénieur.

Après avoir suivi sur un espace de deux milles la galerie principale, les trois explorateurs – on verra qu’il s’agissait d’une exploration – arrivèrent à l’orifice d’un étroit tunnel. C’était comme une contre-nef dont la voûte reposait sur un boisage, tapissé d’une mousse blanchâtre. Elle suivait à peu près la ligne que traçait, à quinze cents pieds au-dessus, le haut cours du Forth.

Pour le cas où James Starr eût été moins familiarisé qu’autrefois avec le dédale de la fosse Dochart, Simon Ford lui rappelait les dispositions du plan général, en les comparant au tracé géographique du sol.

James Starr et Simon Ford marchaient donc en causant.

En avant, Harry éclairait la route. Il cherchait, en projetant brusquement de vifs éclats lumineux vers les sombres anfractuosités, à découvrir quelque ombre suspecte.

«Irons-nous loin ainsi, vieux Simon? demanda l’ingénieur.

– Encore un demi-mille, monsieur James. Autrefois, nous aurions fait cette route en berline, sur les tramways à traction mécanique! Mais que ces temps sont loin!

– Nous nous dirigeons donc vers l’extrémité du dernier filon? demanda James Starr.

– Oui! Je vois que vous connaissez encore bien la mine.

– Eh! Simon, répondit l’ingénieur, il serait difficile d’aller plus loin, si je ne me trompe?

– En effet, monsieur James. C’est là que nos rivelaines ont arraché le dernier morceau de houille du gisement! Je me le rappelle comme si j’y étais encore. C’est moi qui ai donné ce dernier coup, et il a retenti dans ma poitrine plus violemment que sur la roche! Tout n’était plus que grès ou schiste autour de nous, et, quand le wagonnet a roulé vers le puits d’extraction, je l’ai suivi, le cœur ému, comme on suit un convoi de pauvre! Il me semblait que c’était l’âme de la mine qui s’en allait avec lui!»

La gravité avec laquelle le vieil overman prononça ces paroles impressionna l’ingénieur, bien près de partager de tels sentiments. Ce sont ceux du marin qui abandonne son navire désemparé, ceux du laird qui voit abattre la maison de ces ancêtres!

James Starr avait serré la main de Simon Ford. Mais, à son tour, celui-ci venait de prendre la main de l’ingénieur, et la pressant fortement:

«Ce jour-là, nous nous étions tous trompés, dit-il. Non! La vieille houillère n’était pas morte. Ce n’était pas un cadavre que les mineurs allaient abandonner, et j’oserais affirmer, monsieur James, que son cœur bat encore.

– Parlez donc, Simon! Vous avez découvert un nouveau filon? s’écria l’ingénieur, qui ne fut pas maître de lui. Je le savais bien! Votre lettre ne pouvait signifier autre chose! Une communication à me faire, et cela dans la fosse Dochart. Et quelle autre découverte que celle d’une couche carbonifère aurait pu m’intéresser?…

– Monsieur James, répondit Simon Ford, je n’ai pas voulu prévenir un autre que vous…

Et vous avez bien fait, Simon! Mais dites-moi comment, quels sondages, vous vous êtes assuré?…

– Écoutez-moi, monsieur James, répondit Simon Ford. Ce n’est pas un gisement que j’ai retrouvé…

– Qu’est-ce donc?

– C’est seulement la preuve matérielle que ce gisement existe.

– Et cette preuve?

– Pouvez-vous admettre qu’il se dégage du grisou des entrailles du sol, si la houille n’est pas là pour la produire?

– Non, certes! répondit l’ingénieur. Pas de charbon, pas de grisou! Il n’y a pas d’effets sans cause…

– Comme il n’y a pas de fumée sans feu!

– Et vous avez constaté, à nouveau, la présence de l’hydrogène protocarboné?…

– Un vieux mineur ne s’y laisserait pas prendre, répondit Simon Ford. J’ai reconnu là notre vieil ennemi, le grisou!

– Mais si c’était un autre gaz! dit James Starr. Le grisou est presque sans odeur, il est sans couleur! Il ne trahit véritablement sa présence que par l’explosion!…

– Monsieur James, répondit Simon Ford, voulez-vous me permettre de vous raconter ce que j’ai fait… et comment je l’ai fait… à ma façon, en excusant les longueurs?»

James Starr connaissait le vieil overman, et savait que le mieux était de le laisser aller.

«Monsieur James, reprit Simon Ford, depuis dix ans, il ne s’est pas passé un jour sans qu’Harry et moi, nous ayons songé à rendre à la houillère son ancienne prospérité, – non, pas un jour. S’il existait encore quelque gisement, nous étions décidés à le découvrir. Quels moyens employer? Les sondages? Cela ne nous était pas possible, mais nous avions l’instinct du mineur, et souvent on va plus droit au but par l’instinct que par la raison. – Du moins, c’est mon idée…

– Que je ne contredis pas, répondit l’ingénieur.

– Or, voici ce qu’Harry avait une ou deux fois observé pendant ses excursions dans l’ouest de la houillère. Des feux, qui s’éteignaient soudain, apparaissaient quelquefois à travers le schiste ou le remblai des galeries extrêmes. Par quelle cause ces feux s’allumaient-ils? Je ne pouvais et je ne puis le dire encore. Mais enfin, ces feux n’étaient évidemment dus qu’à la présence du grisou, et, pour moi, le grisou, c’était le filon de houille.

– Ces feux ne produisaient aucune explosion? demanda vivement l’ingénieur.

– Si, de petites explosions partielles, répondit Simon Ford, et telles que j’en provoquai moi-même, lorsque je voulus constater la présence de ce grisou. Vous vous souvenez de quelle manière on cherchait autrefois à prévenir les explosions dans les mines, avant que notre bon génie, Humphry Davy, eût inventé sa lampe de sûreté?

– Oui, répondit James Starr. Vous voulez parler du «pénitent»? Mais je ne l’ai jamais vu dans l’exercice de ses fonctions.

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– En effet, monsieur James, vous êtes trop jeune, malgré vos cinquante-cinq ans, pour avoir vu cela. Mais moi, avec dix ans de plus que vous, j’ai vu fonctionner le dernier pénitent de la houillère. On l’appelait ainsi parce qu’il portait une grande robe de moine. Son nom vrai était le «fireman», l’homme du feu. A cette époque, on n’avait d’autre moyen de détruire le mauvais gaz qu’en le décomposant par de petites explosions, avant que sa légèreté l’eût amassé en trop grandes quantités dans les hauteurs des galeries. C’est pourquoi le pénitent, la face masquée, la tête encapuchonnée dans son épaisse cagoule, tout le corps étroitement serré dans sa robe de bure, allait en rampant sur le sol. Il respirait dans les basses couches, dont l’air était pur, et, de sa main droite, il promenait, en l’élevant au-dessus de sa tête, une torche enflammée. Lorsque le grisou se trouvait répandu dans l’air de manière à former un mélange détonant, l’explosion se produisait sans être funeste, et, en renouvelant souvent cette opération, on parvenait à prévenir les catastrophes. Quelquefois, le pénitent, frappé d’un coup de grisou, mourait à la peine. Un autre le remplaçait. Ce fut ainsi jusqu’au moment où la lampe de Davy fut adoptée dans toutes les houillères. Mais je connaissais le procédé, et c’est en l’employant que j’ai reconnu la présence du grisou, et, par conséquent, celle d’un nouveau gisement carbonifère dans la fosse Dochart.»

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Tout ce que le vieil overman avait raconté du pénitent était rigoureusement exact. C’est ainsi que l’on procédait autrefois dans les houillères pour purifier l’air des galeries.

Le grisou, autrement dit l’hydrogène protocarboné ou gaz des marais, incolore, presque inodore, ayant un pouvoir peu éclairant, est absolument impropre à la respiration. Le mineur ne saurait vivre dans un milieu rempli de ce gaz malfaisant, – pas plus qu’on ne pourrait vivre au milieu d’un gazomètre plein de gaz d’éclairage. En outre, de même que celui-ci, qui est de l’hydrogène bicarboné, le grisou forme un mélange détonant, dès que l’air y entre dans une proportion de huit et peut-être même de cinq pour cent. L’inflammation de ce mélange se fait-elle par une cause quelconque, il y a explosion, presque toujours suivie d’épouvantables catastrophes.

C’est à ce danger que parc l’appareil de Davy, en isolant la flamme des lampes dans un tube de toile métallique, qui brûle le gaz à l’intérieur du tube, sans jamais laisser l’inflammation se propager au-dehors. Cette lampe de sûreté a été perfectionnée de vingt façons. Si elle vient à se briser, elle s’éteint. Si, malgré les défenses formelles, le mineur veut l’ouvrir, elle s’éteint encore. Pourquoi donc les explosions se produisent-elles? C’est que rien ne peut obvier à l’imprudence d’un ouvrier qui veut quand même allumer sa pipe, ni au choc de l’outil qui peut produire une étincelle.

Toutes les houillères ne sont pas infectées par le grisou. Dans celles où il ne s’en produit pas, on autorise l’emploi de la lampe ordinaire. Telle est, entre autres, la fosse Thiers, aux mines d’Anzin. Mais, lorsque la houille du gisement exploité est grasse, elle renferme une certaine quantité de matières volatiles, et le grisou peut s’échapper avec une grande abondance. La lampe de sûreté seule est combinée de manière à empêcher des explosions d’autant plus terribles, que les mineurs qui n’ont pas été directement atteints par le coup de grisou, courent risque d’être instantanément asphyxiés dans les galeries remplies du gaz délétère, formé après l’inflammation, c’est-à-dire d’acide carbonique.

Tout en marchant, Simon Ford apprit à l’ingénieur ce qu’il avait fait pour atteindre son but, comment il s’était assuré que le dégagement du grisou se faisait au fond même de l’extrême galerie de la fosse, dans sa portion occidentale, de quelle façon il avait provoqué à l’affleurement des feuillets de schistes quelques explosions partielles, ou plutôt certaines inflammations, qui ne laissaient aucun doute sur la nature du gaz, dont la fuite s’opérait à petite dose, mais d’une manière permanente.

Une heure après avoir quitté le cottage, James Starr et ses deux compagnons avaient franchi une distance de quatre milles. L’ingénieur, entraîné par le désir et l’espoir, venait de faire ce trajet sans aucunement songer à sa longueur. Il réfléchissait à tout ce que lui disait le vieux mineur. Il pesait, mentalement, les arguments que celui-ci donnait en faveur de sa thèse. Il croyait, avec lui, que cette émission continue d’hydrogène protocarboné indiquait, avec certitude, l’existence d’un nouveau gisement carbonifère. Si ce n’eût été qu’une sorte de poche, pleine de gaz, comme il s’en rencontre quelquefois entre les feuillets, elle se fût promptement vidée, et le phénomène eût cessé de se produire. Mais loin de là. Au dire de Simon Ford, l’hydrogène se dégageait sans cesse, et l’on en pouvait conclure à l’existence de quelque important filon. Conséquemment, les richesses de la fosse Dochart pouvaient n’être pas entièrement épuisées. Toutefois, s’agissait-il d’une couche dont le rendement serait peu considérable, ou d’un gisement occupant un large étage du terrain houiller? c’était là, véritablement, la grosse question.

Harry, qui précédait son père et l’ingénieur, s’était arrêté.

«Nous voici arrivés! s’écria le vieux mineur. Enfin, grâce à Dieu, monsieur James, vous êtes là, et nous allons savoir…»

La voix si ferme du vieil overman tremblait légèrement.

«Mon brave Simon, lui dit l’ingénieur, calmez-vous! Je suis aussi ému que vous l’êtes, mais il ne faut pas perdre de temps!»

A cet endroit, l’extrême galerie de la fosse formait en s’évasant une sorte de caverne obscure. Aucun puits n’avait été foncé dans cette portion du massif, et la galerie, profondément ouverte dans les entrailles du sol, était sans communication directe avec la surface du comté de Stirling.

James Starr, vivement intéressé, examinait d’un œil grave l’endroit où il se trouvait.

On voyait encore sur la paroi terminale de cette caverne la marque des derniers coups de pic, et même quelques trous de cartouches, qui avaient provoqué l’éclatement de la roche, vers la fin de l’exploitation. Cette matière schisteuse était extrêmement dure, et il n’avait pas été nécessaire de remblayer les assises de ce cul-de-sac, au fond duquel les travaux avaient dû s’arrêter. Là, en effet, venait mourir le filon carbonifère, entre les schistes et les grès du terrain tertiaire. Là, à cette place même, avait été extrait le dernier morceau de combustible de la fosse Dochart.

«C’est ici, monsieur James, dit Simon Ford en soulevant son pic, c’est ici que nous attaquerons la faille1, car, derrière cette paroi, à une profondeur plus ou moins considérable, se trouve assurément le nouveau filon dont j’affirme l’existence.

– Et c’est à la surface de ces roches, demanda James Starr, que vous avez constaté la présence du grisou?

– Là même, monsieur James, répondit Simon Ford, et j’ai pu l’allumer rien qu’en approchant ma lampe, à l’affleurement des feuillets. Harry l’a fait comme moi.

– A quelle hauteur? demanda James Starr.

– A dix pieds au-dessus du sol», répondit Harry.

James Starr s’était assis sur une roche. On eût dit que, après avoir humé l’air de la caverne, il regardait les deux mineurs, comme s’il se fût pris à douter de leurs paroles, si affirmatives cependant.

C’est que, en effet, l’hydrogène protocarboné n’est pas complètement inodore, et l’ingénieur était tout d’abord étonné que son odorat, qu’il avait très fin, ne lui eût pas révélé la présence du gaz explosif. En tout cas, si ce gaz était mêlé à l’air ambiant, ce n’était qu’à bien faible dose. Donc, pas d’explosion à craindre, et l’on pouvait sans danger ouvrir la lampe de sûreté pour tenter l’expérience, ainsi que le vieux mineur l’avait déjà fait.

Ce qui inquiétait James Starr en ce moment, ce n’était donc pas qu’il y eût trop de gaz mélangé à l’air, c’était qu’il n’y en eût pas assez, – et même pas du tout.

«Se seraient-ils trompés? murmura-t-il. Non! Ce sont des hommes qui s’y connaissent! Et pourtant!…»

Il attendait donc, non sans une certaine anxiété, que le phénomène signalé par Simon Ford s’accomplit en sa présence. Mais, à ce moment, il paraît que ce qu’il venait d’observer, c’est-à-dire cette absence de l’odeur caractéristique du grisou, avait été aussi remarquée par Harry, car celui-ci, d’une voix altérée, dit:

«Père, il semble que la fuite du gaz ne se fait plus à travers les feuillets de schiste!

– Ne se fait plus!…» s’écria le vieux mineur.

Et Simon Ford, après avoir hermétiquement serré ses lèvres, aspira fortement du nez, à plusieurs reprises.

Puis, tout d’un coup, et d’un mouvement brusque:

«Donne ta lampe, Harry!» dit-il.

Simon Ford prit la lampe d’une main qui s’agitait fébrilement. Il dévissa l’enveloppe de toile métallique qui entourait la mèche, et la flamme brûla à l’air libre.

Ainsi qu’on s’y attendait, il ne se produisit aucune explosion; mais, ce qui était plus grave, il ne se fit pas même ce léger grésillement, qui indique la présence du grisou à faible dose.

Simon Ford prit le bâton que tenait Harry, et, fixant la lampe à son extrémité, il l’éleva dans les couches d’air supérieures, là où le gaz, en raison de sa légèreté spécifique, aurait dû plutôt s’accumuler, en si minime quantité que ce fût.

La flamme de la lampe, droite et blanche, ne décela aucune trace d’hydrogène protocarboné.

«A la paroi! dit l’ingénieur.

– Oui!» répondit Simon Ford, en portant la lampe sur cette partie de la paroi à travers laquelle son fils et lui avaient, la veille encore, constaté la fuite du gaz.

Le bras du vieux mineur tremblait, tandis qu’il essayait de promener la lampe à la hauteur des fissures du feuillet de schiste.

«Remplace-moi, Harry», dit-il.

Harry prit le bâton et présenta successivement la lampe aux divers points de la paroi où les feuillets semblaient se dédoubler… mais il secouait la tête, car ce léger craquement, particulier au grisou qui s’échappe, n’arrivait pas à son oreille.

L’inflammation ne se fit pas. Il était donc évident qu’aucune molécule de gaz ne fusait à travers la paroi.

«Rien!» s’écria Simon Ford, dont le poing se tendit sous une impression de colère plutôt que de désappointement.

Un cri s’échappa alors de la bouche d’Harry.

«Qu’as-tu? demanda vivement James Starr.

– On a bouché les fissures du schiste!

– Dis-tu vrai? s’écria le vieux mineur.

– Regardez, père!»

Harry ne s’était pas trompé. L’obturation des fissures était nettement visible à la lumière de la lampe. Un lutage, récemment pratiqué et fait à la chaux, laissait voir sur la paroi une longue trace blanchâtre, mal dissimulée sous une couche de poussière de charbon.

«Lui! s’écria Harry. Ce ne peut être que lui!

– Lui! répéta James Starr.

– Oui! répondit le jeune homme, cet être mystérieux qui hante notre domaine, celui que j’ai cent fois guetté sans pouvoir l’atteindre, l’auteur, dès à présent certain, de cette lettre qui voulait vous empêcher de venir au rendez-vous que vous donnait mon père, monsieur Starr, celui, enfin, qui nous a lancé cette pierre dans la galerie du puits Yarow!

Ah! aucun doute n’est plus possible! La main d’un homme est dans tout cela!»

Harry avait parlé avec une telle énergie, que sa conviction passa instantanément et tout entière dans l’esprit de l’ingénieur. Quant au vieil overman, il n’était plus à convaincre. D’ailleurs, on se trouvait en présence d’un fait indéniable: l’obturation des fissures à travers lesquelles le gaz s’échappait librement la veille.

«Prends ton pic, Harry, s’écria Simon Ford. Monte sur mes épaules, mon garçon! Je suis assez solide encore pour te porter!»

Harry avait compris. Son père s’accota à la paroi. Harry s’éleva sur ses épaules, de manière que son pic pût atteindre la trace suffisamment visible du lutage.

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Puis, à coups redoublés, il entama la partie de roche schisteuse que ce lutage recouvrait.

Aussitôt un léger pétillement se produisit, semblable à celui que fait le vin de Champagne lorsqu’il s’échappe d’une bouteille, – bruit qui, dans les houillères anglaises, est connu sous le nom onomatopique de «puff».

Harry saisit alors sa lampe, et il l’approcha de la fissure…

Une légère détonation se fit entendre, et une petite flamme rouge, un peu bleuâtre à son contour, voltigea sur la paroi, comme eût fait un follet de feu Saint-Elme.

Harry sauta aussitôt à terre, et le vieil overman, ne pouvant contenir sa joie, saisit les mains de l’ingénieur, en s’écriant:

«Hurrah! hurrah! hurrah! monsieur James! Le grisou brûle! Donc, le filon est là!»

 

 

Chapitre VIII

Un coup de dynamite.

 

’expérience annoncée par le vieil overman avait réussi. L’hydrogène protocarboné, on le sait, ne se développe que dans les gisements houillers. Donc, l’existence d’un filon du précieux combustible ne pouvait être mise en doute. Quelles étaient son importance et sa qualité? on les déterminerait plus tard.

Telles furent les conséquences que l’ingénieur déduisit du phénomène qu’il venait d’observer. Elles étaient en tout conformes à celles qu’en avait déjà tirées Simon Ford.

«Oui, se dit James Starr, derrière cette paroi s’étend une couche carbonifère que nos sondages n’ont pas su atteindre! Cela est fâcheux, puisque tout l’outillage de la mine abandonnée depuis dix ans, est maintenant à refaire! N’importe! Nous avons retrouvé la veine que l’on croyait épuisée, et, cette fois, nous l’exploiterons jusqu’au bout!

– Eh bien, monsieur James, demanda Simon Ford, que pensez-vous de notre découverte? Ai-je eu tort de vous déranger? Regrettez-vous cette dernière visite faite à la fosse Dochart?

– Non, non, mon vieux compagnon! répondit James Starr. Nous n’avons pas perdu notre temps, mais nous le perdrions maintenant, si nous ne retournions immédiatement au cottage. Demain, nous reviendrons ici. Nous ferons éclater cette paroi à coups de dynamite. Nous mettrons au jour l’affleurement du nouveau filon, et, après une série de sondages, si la couche paraît être importante, je reconstituerai une Société de la Nouvelle-Aberfoyle, à l’extrême satisfaction des anciens actionnaires! Avant trois mois, il faut que les premières bennes de houille aient été extraites du nouveau gisement!

– Bien parlé, monsieur James! s’écria Simon Ford. La vieille houillère va donc rajeunir, comme une veuve qui se remarie! L’animation des anciens jours recommencera avec les coups de pioche, les coups de pic, les coups de mine, le roulement des wagons, le hennissement des chevaux, le grincement des bennes, le grondement des machines! Je reverrai donc tout cela, moi. – J’espère, monsieur James, que vous ne me trouverez pas trop vieux pour reprendre mes fonctions d’overman?

– Non, brave Simon, non, certes! Vous êtes resté plus jeune que moi, mon vieux camarade!

– Et, que saint Mungo nous protège! Vous serez encore notre «viewer»! Puisse la nouvelle exploitation durer de longues années, et fasse le Ciel que j’aie la consolation de mourir sans en avoir vu la fin!»

La joie du vieux mineur débordait. James Starr la partageait tout entière, mais il laissait Simon Ford s’enthousiasmer pour deux.

Seul, Harry demeurait pensif. Dans son souvenir reparaissait la succession des circonstances singulières, inexplicables, au milieu desquelles s’était opérée la découverte du nouveau gisement. Cela ne laissait pas de l’inquiéter pour l’avenir.

Une heure après, James Starr et ses deux compagnons étaient de retour au cottage.

L’ingénieur soupa avec grand appétit, approuvant du geste tous les plans que développait le vieil overman, et, n’eût été son impérieux désir d’être au lendemain, jamais il n’aurait mieux dormi que dans ce calme absolu du cottage.

Le lendemain, après un déjeuner substantiel, James Starr, Simon Ford, Harry et Madge elle-même reprenaient le chemin déjà parcouru la veille. Tous allaient là en véritables mineurs. Ils emportaient divers outils et des cartouches de dynamite, destinées à faire sauter la paroi terminale. Harry, en même temps qu’un puissant fanal, prit une grosse lampe de sûreté qui pouvait brûler pendant douze heures. C’était plus qu’il ne fallait pour opérer le voyage d’aller et de retour, en y comprenant les haltes nécessaires à l’exploration, – si une exploration devenait possible.

«A l’œuvre!» s’écria Simon, lorsque ses compagnons et lui furent arrivés à l’extrémité de la galerie.

Et sa main saisit une lourde pince qu’elle brandit avec vigueur.

«Un instant, dit alors James Starr. Observons si aucun changement ne s’est produit et si le grisou fuse toujours à travers les feuillets de la paroi.

– Vous avez raison, monsieur Starr, répondit Harry. Ce qui était bouché hier pourrait bien l’être encore aujourd’hui!»

Madge, assise sur une roche, observait attentivement l’excavation et la muraille qu’il s’agissait d’éventrer.

Il fut constaté que les choses étaient telles qu’on les avait laissées. Les fissures des feuillets n’avaient subi aucune altération. L’hydrogène protocarboné fusait au travers, mais assez faiblement. Cela tenait sans doute à ce que, depuis la veille, il trouvait un libre passage pour s’épancher. Toutefois, cette émission était si peu importante, qu’elle ne pouvait former avec l’air intérieur un mélange détonant. James Starr et ses compagnons allaient donc pouvoir procéder en toute sécurité. D’ailleurs, cet air se purifierait peu à peu, en gagnant les hautes couches de la fosse Dochart, et le grisou, perdu dans toute cette atmosphère, ne pourrait plus produire aucune explosion.

«A l’œuvre, donc!» reprit Simon Ford.

Et bientôt, sous sa pince, vigoureusement maniée, la roche ne tarda pas à voler en éclats.

Cette faille se composait principalement de poudingues, interposés entre le grès et le schiste, tels qu’il s’en rencontre le plus souvent à l’affleurement des filons carbonifères.

James Starr ramassait les morceaux que l’outil abattait, et il les examinait avec soin, espérant y découvrir quelque indice de charbon.

Ce premier travail dura environ une heure. Il en résulta un évidement assez profond dans la paroi terminale.

James Starr choisit alors l’emplacement où devaient être forés les trous de mine, travail qui s’accomplit rapidement sous la main d’Harry avec le fleuret et la massette2. Des cartouches de dynamite furent introduites dans ces trous. Dès qu’on y eut placé la longue mèche goudronnée d’une fusée de sûreté, qui aboutissait à une capsule de fulminate, elle fut allumée au ras du sol. James Starr et ses compagnons se mirent à l’écart.

«Ah! monsieur James, dit Simon Ford, en proie à une véritable émotion qu’il ne cherchait pas à dissimuler, jamais, non, jamais mon vieux cœur n’a battu si vite! Je voudrais déjà attaquer le filon!

– Patience, Simon, répondit l’ingénieur. Vous n’avez pas la prétention de trouver derrière cette paroi une galerie tout ouverte?

– Excusez-moi, monsieur James, répondit le vieil overman. J’ai toutes les prétentions possibles! S’il y a eu bonne chance dans la manière dont Harry et moi nous avons découvert ce gîte, pourquoi cette chance ne continuerait-elle pas jusqu’au bout?»

L’explosion de la dynamite se produisit. Un roulement sourd se propagea à travers le réseau des galeries souterraines.

James Starr, Madge, Harry et Simon Ford revinrent aussitôt vers la paroi de la caverne.

«Monsieur James! monsieur James! s’écria le vieil overman. Voyez! La porte est enfoncée!…»

Cette comparaison de Simon Ford était justifiée par l’apparition d’une excavation, dont on ne pouvait estimer la profondeur.

Harry allait s’élancer par l’ouverture…

L’ingénieur, extrêmement surpris, d’ailleurs, de trouver là cette cavité, retint le jeune mineur.

«Laisse le temps à l’air intérieur de se purifier, dit-il.

– Oui! gare aux mofettes3!» s’écria Simon Ford.

Un quart d’heure se passa dans une anxieuse attente. Le fanal, placé au bout du bâton, fut alors introduit dans l’excavation et continua de brûler avec un inaltérable éclat.

«Va donc, Harry, dit James Starr, nous te suivrons.»

L’ouverture produite par la dynamite était plus que suffisante pour qu’un homme pût y passer.

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Harry, le fanal à la main, s’y introduisit sans hésiter et disparut dans les ténèbres.

James Starr, Simon Ford et Madge, immobiles, attendaient.

Une minute – qui leur parut bien longue – s’écoula. Harry ne reparaissait pas, il n’appelait pas. En s’approchant de l’orifice, James Starr n’aperçut même plus la tueur de sa lampe, qui aurait dû éclairer cette sombre cavité.

Le sol avait-il donc manqué subitement sous les pieds d’Harry? Le jeune mineur était-il tombé dans quelque anfractuosité? Sa voix ne pouvait-elle plus arriver jusqu’à ses compagnons?

Le vieil overman, ne voulant rien écouter, allait s’introduire à son tour par l’orifice, lorsque parut une lueur, vague d’abord, qui se renforça peu à peu, et Harry fit entendre ces paroles:

«Venez, monsieur Starr! Venez, mon père! La route est libre dans la Nouvelle-Aberfoyle.»

 

 

Chapitre IX

La Nouvelle-Aberfoyle.

 

i, par quelque puissance surhumaine, des ingénieurs eussent pu enlever d’un bloc et sur une épaisseur de mille pieds toute cette portion de la croûte terrestre qui supporte cet ensemble de lacs, de fleuves, de golfes et les territoires riverains des comtés de Stirling, de Dumbarton et de Renfrew, ils auraient trouvé, sous cet énorme couvercle, une excavation immense, et telle qu’il n’en existait qu’une autre au monde qui pût lui être comparée, – la célèbre grotte de Mammouth, dans le Kentucky.

Cette excavation se composait de plusieurs centaines d’alvéoles, de toutes formes et de toutes grandeurs. On eût dit une ruche, avec ses nombreux étages de cellules, capricieusement disposées, mais une ruche construite sur une vaste échelle, et qui, au lieu d’abeilles, eût suffi à loger tous les ichthyosaures, les mégathériums et les ptérodactyles de l’époque géologique.

Un labyrinthe de galeries, les unes plus élevées que les plus hautes voûtes des cathédrales, les autres semblables à des contre-nefs, rétrécies et tortueuses, celles-ci suivant la ligne horizontale, celles-là remontant ou descendant obliquement en toutes directions, – réunissaient ces cavités et laissaient libre communication entre elles.

Les piliers qui soutenaient ces voûtes, dont la courbe admettait tous les styles, les épaisses murailles, solidement assises entre les galeries, les nefs elles-mêmes, dans cet étage des terrains secondaires, étaient faits de grès et de roches schisteuses. Mais, entre ces couches inutilisables, et puissamment pressées par elles, couraient d’admirables veines de charbon, comme si le sang noir de cette étrange houillère eût circulé à travers leur inextricable réseau. Ces gisements se développaient sur une étendue de quarante milles du nord au sud, et ils s’enfonçaient même sous le canal du Nord. L’importance de ce bassin n’aurait pu être évaluée qu’après sondages, mais elle devait dépasser celle des couches carbonifères de Cardiff, dans le pays de Galles, et des gisements de Newcastle, dans le comté de Northumberland.

Il faut ajouter que l’exploitation de cette houillère allait être singulièrement facilitée, puisque, par une disposition bizarre des terrains secondaires, par un inexplicable retrait des matières minérales à l’époque géologique où ce massif se solidifiait, la nature avait déjà multiplié les galeries et les tunnels de la Nouvelle-Aberfoyle.

Oui, la nature seule! On aurait pu croire, tout d’abord, à la découverte de quelque exploitation abandonnée depuis des siècles. Il n’en était rien. On ne délaisse pas de telles richesses. Les termites humains n’avaient jamais rongé cette portion du sous‑sol de l’Écosse, et c’était la nature qui avait ainsi fait les choses. Mais, on le répète, nulle hypogée de l’époque égyptienne, nulle catacombe de l’époque romaine, n’auraient pu lui être comparées, – si ce n’est les célèbres grottes de Mammouth, qui, sur une longueur de plus de vingt milles, comptent deux cent vingt-six avenues, onze lacs, sept rivières, huit cataractes, trente-deux puits insondables et cinquante-sept dômes, dont quelques-uns sont suspendus à plus de quatre cent cinquante pieds de hauteur.

Ainsi que ces grottes, la Nouvelle-Aberfoyle était, non l’œuvre des hommes, mais l’œuvre du Créateur.

Tel était ce nouveau domaine, d’une incomparable richesse, dont la découverte appartenait en propre au vieil overman. Dix ans de séjour dans l’ancienne houillère, une rare persistance de recherches, une foi absolue, soutenue par un merveilleux instinct de mineur, il lui avait fallu toutes ces conditions réunies pour réussir, là où tant d’autres auraient échoué. Pourquoi les sondages, pratiqués sous la direction de James Starr, pendant les dernières années d’exploitation, s’étaient-ils précisément arrêtés à cette limite, sur la frontière même de la nouvelle mine? cela était dû au hasard, dont la part est grande dans les recherches de ce genre.

Quoi qu’il en soit, il y avait là, dans le sous-sol écossais, une sorte de comté souterrain, auquel il ne manquait, pour être habitable, que les rayons du soleil, ou, à son défaut, la clarté d’un astre spécial.

L’eau y était localisée dans certaines dépressions, formant de vastes étangs, ou même des lacs plus grands que le lac Katrine, situé précisément au-dessus. Sans doute, ces lacs n’avaient pas le mouvement des eaux, les courants, le ressac. Ils ne reflétaient pas la silhouette de quelque vieux château gothique. Ni les bouleaux ni les chênes ne se penchaient sur leurs rives, les montagnes n’allongeaient pas de grandes ombres à leur surface, les steam-boats ne les sillonnaient pas, aucune lumière ne se réverbérait dans leurs eaux, le soleil ne les imprégnait pas de ses rayons éclatants, la lune ne se levait jamais sur leur horizon. Et pourtant, ces lacs profonds, dont la brise ne ridait pas le miroir, n’auraient pas été sans charme, à la lumière de quelque astre électrique, et, réunis par un lacet de canaux, ils complétaient bien la géographie de cet étrange domaine.

Quoiqu’il fût impropre à toute production végétale, ce sous-sol eût, cependant, pu servir de demeure à toute une population. Et qui sait si, dans ces milieux à température constante, au fond de ces houillères d’Aberfoyle, aussi bien que dans celles de Newcastle, d’Alloa ou de Cardiff, lorsque leurs gisements seront épuisés, – qui sait si la classe pauvre du Royaume-Uni ne trouvera pas refuge quelque jour?

 

 

Chapitre X

Aller et retour.

 

la voix d’Harry, James Starr, Madge et Simon Ford s’étaient introduits par l’étroit orifice qui mettait en communication la fosse Dochart avec la nouvelle houillère.

Ils se trouvaient alors à la naissance d’une galerie assez large. On aurait pu croire qu’elle avait été percée de main d’homme, que le pic et la pioche l’avaient évidée pour l’exploitation d’un nouveau gisement. Les explorateurs devaient se demander si, par un singulier hasard, ils n’avaient pas été transportés dans quelque ancienne houillère, dont les plus vieux mineurs du comté n’auraient jamais connu l’existence.

Non! C’étaient les couches géologiques qui avaient «épargné» cette galerie, à l’époque où se faisait le tassement des terrains secondaires. Peut-être quelque torrent l’avait-il parcourue autrefois, lorsque les eaux supérieures allaient se mélanger aux végétaux enlisés; mais, maintenant, elle était aussi sèche que si elle eût été forée, quelque mille pieds plus bas, dans l’étage des roches granitoïdes. En même temps, l’air y circulait avec aisance, – ce qui indiquait que certains «éventoirs» naturels la mettaient en communication avec l’atmosphère extérieure.

Cette observation, qui fut faite par l’ingénieur, était juste, et l’on sentait que l’aération s’opérait facilement dans la nouvelle mine. Quant à ce grisou qui fusait naguère à travers les schistes de la paroi, il semblait qu’il n’eût été contenu que dans une simple «poche», vide maintenant, et il était certain que l’atmosphère de la galerie n’en conservait pas la moindre trace. Cependant, et par précaution, Harry n’avait emporté que la lampe de sûreté, qui lui assurait un éclairage de douze heures.

James Starr et ses compagnons éprouvaient alors une joie complète. C’était l’entière satisfaction de leurs désirs. Autour d’eux, tout n’était que houille. Une certaine émotion les rendait silencieux. Simon Ford, lui-même, se contenait. Sa joie débordait, non en longues phrases, mais par petites interjections.

C’était peut-être imprudent, à eux, de s’engager si profondément dans la crypte. Bah! ils ne songeaient guère au retour. La galerie était praticable, peu sinueuse. Nulle crevasse n’en barrait le passage, nulle «pousse» n’y propageait d’exhalaisons malfaisantes. Il n’y avait donc aucune raison pour s’arrêter, et, pendant une heure, James Starr, Madge, Harry et Simon Ford allèrent ainsi, sans que rien pût leur indiquer quelle était l’exacte orientation de ce tunnel inconnu.

Et, sans doute, ils auraient été plus loin encore, s’ils ne fussent arrivés à l’extrémité même de cette large voie qu’ils suivaient depuis leur entrée dans la houillère.

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La galerie aboutissait à une énorme caverne, dont on ne pouvait estimer ni la hauteur, ni la profondeur. A quelle altitude s’arrondissait la voûte de cette excavation, à quelle distance se reculait sa paroi opposée? les ténèbres qui l’emplissaient ne permettaient pas de le reconnaître. Mais, à la lueur de la lampe, les explorateurs purent constater que son dôme recouvrait une vaste étendue d’eau dormante – étang ou lac –, dont les rives pittoresques, accidentées de hautes roches, se perdaient dans l’obscurité.

«Halte! s’écria Simon Ford, en s’arrêtant brusquement. Un pas de plus, et nous roulions peut-être dans quelque abîme!

– Reposons-nous donc, mes amis, répondit l’ingénieur. Aussi bien, il faudra songer à retourner au cottage.

– Notre lampe peut nous éclairer pendant dix heures encore, monsieur Starr, dit Harry.

– Eh bien, faisons halte, reprit James Starr. J’avoue que mes jambes en ont besoin! – Et vous, Madge, est-ce que vous ne vous ressentez pas des fatigues d’une aussi longue course?

– Mais pas trop, monsieur James, répondit la robuste Écossaise. Nous avions l’habitude d’explorer pendant des journées entières l’ancienne houillère d’Aberfoyle.

– Bah! ajouta Simon Ford, Madge ferait dix fois cette route, s’il le fallait. Mais j’insiste, monsieur James, ma communication valait-elle la peine de vous être faite? Osez dire non, monsieur James, osez dire non!

– Eh! mon vieux compagnon, il y a longtemps que je n’ai ressenti une telle joie! répondit l’ingénieur. Le peu que nous avons exploré de cette merveilleuse houillère semble indiquer que son étendue est très considérable, au moins en longueur!

– En largeur et en profondeur aussi, monsieur James! répliqua Simon Ford.

– C’est ce que nous saurons plus tard.

– Et moi, j’en réponds! Rapportez-vous-en à mon instinct de vieux mineur. Il ne m’a jamais trompé!

– Je veux vous croire, Simon, répondit l’ingénieur en souriant. Mais enfin, tel que j’en puis juger par cette courte exploration, nous possédons les éléments d’une exploitation qui durera des siècles!

– Des siècles! s’écria Simon Ford. Je le crois bien, monsieur James! Il se passera mille ans et plus, avant que le dernier morceau de charbon ait été extrait de notre nouvelle mine!

– Dieu vous entende! répondit James Starr. Quant à la qualité de la houille qui vient affleurer ces parois…

– Superbe, monsieur James, superbe! répondit Simon Ford. Voyez cela vous-même!»

Et, ce disant, il détacha d’un coup de pic un fragment de roche noire.

«Voyez! voyez! répéta-t-il en l’approchant de sa lampe. Les surfaces de ce morceau de charbon sont luisantes! Nous aurons là de la houille grasse, riche en matières bitumeuses! Et comme elle se détaillera en gailleteries4, presque sans poussière. Ah! monsieur James, il y a vingt ans, voici un gisement qui aurait fait une rude concurrence au Swansea et au Cardiff! Eh bien, les chauffeurs se le disputeront encore, et, s’il coûte peu à extraire de la mine, il ne s’en vendra pas moins cher au‑dehors.

– En effet, dit Madge, qui avait pris le fragment de houille et l’examinait en connaisseuse. C’est là du charbon de bonne qualité. – Emporte-le, Simon, emporte-le au cottage! Je veux que ce premier morceau de houille brûle sous notre bouilloire!

– Bien parlé, femme! répondit le vieil overman, et tu verras que je ne me suis pas trompé.

– Monsieur Starr, demanda alors Harry, avez-vous quelque idée de l’orientation probable de cette longue galerie que nous avons suivie depuis notre entrée dans la nouvelle houillère?

– Non, mon garçon, répondit l’ingénieur. Avec une boussole, j’aurais peut-être pu établir sa direction générale. Mais, sans boussole, je suis ici comme un marin en pleine mer, au milieu des brumes, lorsque l’absence de soleil ne lui permet pas de relever sa position.

– Sans doute, monsieur James, répliqua Simon Ford, mais, je vous en prie, ne comparez pas notre position à celle du marin, qui a toujours et partout l’abîme sous ses pieds! Nous sommes en terre ferme, ici, et nous n’avons pas à craindre de jamais sombrer!

– Je ne vous ferai pas cette peine, vieux Simon, répondit James Starr. Loin de moi la pensée de déprécier la nouvelle houillère d’Aberfoyle par une comparaison injuste! Je n’ai voulu dire qu’une chose, c’est que nous ne savons pas où nous sommes.

– Nous sommes dans le sous-sol du comté de Stirling, monsieur James, répondit Simon Ford, et cela, je l’affirme comme si…

– Écoutez!» dit Harry en interrompant le vieil overman.

Tous prêtèrent l’oreille, ainsi que le faisait le jeune mineur. Le nerf auditif, très exercé chez lui, avait surpris un bruit sourd, comme eût été un murmure lointain. James Starr, Simon et Madge ne tardèrent pas à l’entendre eux-mêmes. Il se produisait, dans les couches supérieures du massif, une sorte de roulement, dont on percevait distinctement le crescendo et le decrescendo successif, si faible qu’il fût.

Tous quatre restèrent pendant quelques minutes, l’oreille tendue, sans proférer une parole.

Puis, tout à coup, Simon Ford de s’écrier:

«Eh! par saint Mungo! Est-ce que les wagonnets courent déjà sur les rails de la nouvelle Aberfoyle?

– Père, répondit Harry, il me semble bien que c’est le bruit que font des eaux en roulant sur un littoral.

– Nous ne sommes pourtant pas sous la mer! s’écria le vieil overman.

– Non, répondit l’ingénieur, mais il ne serait pas impossible que nous ne fussions sous le lit même du lac Katrine.

– Il faudrait donc que la voûte fût peu épaisse en cet endroit, puisque le bruit des eaux est perceptible?

– Peu épaisse, en effet, répondit James Starr, et c’est ce qui fait que cette excavation est si vaste.

– Vous devez avoir raison, monsieur Starr, dit Harry.

– En outre, il fait si mauvais temps au-dehors, reprit James Starr, que les eaux du lac doivent être soulevées comme celles du golfe de Forth.

– Eh! qu’importe, après tout, répondit Simon Ford. La couche carbonifère n’en sera pas plus mauvaise pour se développer au-dessous d’un lac! Ce ne serait pas la première fois que l’on irait chercher la houille sous le lit même de l’Océan. Quand nous devrions exploiter tout le fonds et le tréfonds du canal du Nord, où serait le mal?

– Bien dit, Simon, s’écria l’ingénieur, qui ne put retenir un sourire en regardant l’enthousiaste overman. Poussons nos tranchées sous les eaux de la mer! Trouons comme une écumoire le lit de l’Atlantique. Allons rejoindre à coups de pioche nos frères des États-Unis à travers le sous-sol de l’Océan. Fonçons jusqu’au centre du globe, s’il le faut, pour lui arracher son dernier morceau de houille!

– Croyez-vous rire, monsieur James? demanda Simon Ford d’un air tant soit peu goguenard.

– Moi, rire! vieux Simon! Non! Mais vous êtes si enthousiaste, que vous m’entraînez jusque dans l’impossible! Tenez, revenons à la réalité, qui est déjà belle. Laissons là nos pics, que nous retrouverons un autre jour, et reprenons le chemin du cottage!»

Il n’y avait pas autre chose à faire pour le moment. Plus tard, l’ingénieur, accompagné d’une brigade de mineurs et muni des lampes et ustensiles nécessaires, reprendrait l’exploration de la Nouvelle-Aberfoyle. Mais il était urgent de retourner à la fosse Dochart. La route était facile, d’ailleurs. La galerie courait presque droit à travers le massif jusqu’à l’orifice ouvert par la dynamite. Donc, nulle crainte de s’égarer.

Mais, au moment où James Starr se dirigeait vers la galerie, Simon Ford l’arrêta.

«Monsieur James, lui dit-il, vous voyez cette caverne immense, ce lac souterrain qu’elle recouvre, cette grève que les eaux viennent baigner à nos pieds? Eh bien, c’est ici que je veux transporter ma demeure, c’est ici que je me bâtirai un nouveau cottage, et, si quelques braves compagnons veulent suivre mon exemple, avant un an, on comptera un bourg de plus dans le massif de notre vieille Angleterre!»

James Starr, approuvant d’un sourire les projets de Simon Ford, lui serra la main, et tous trois, précédant Madge, s’enfoncèrent dans la galerie, afin de regagner la fosse Dochart.

Pendant le premier mille, aucun incident ne se produisit. Harry marchait en avant, élevant la lampe au-dessus de sa tête. Il suivait soigneusement la galerie principale, sans jamais s’écarter dans les tunnels étroits qui rayonnaient à droite et à gauche. Il semblait donc que le retour dût s’accomplir aussi facilement que l’aller, lorsqu’une fâcheuse complication survint, qui rendit fort grave la situation des explorateurs.

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En effet, à un moment où Harry levait sa lampe, un vif déplacement de l’air s’opéra, comme s’il eût été causé par un battement d’ailes invisibles. La lampe, frappée de biais, s’échappa des mains d’Harry, tomba sur le sol rocheux de la galerie et se brisa.

James Starr et ses compagnons furent subitement plongés dans une obscurité absolue. Leur lampe, dont l’huile s’était répandue, ne pouvait plus servir.

«Eh bien, Harry, s’écria Simon Ford, veux-tu donc que nous nous rompions le cou en retournant au cottage?»

Harry ne répondit pas. Il réfléchissait. Devait-il voir encore la main d’un être mystérieux dans ce dernier accident? Existait-il donc en ces profondeurs un ennemi dont l’inexplicable antagonisme pouvait créer, un jour, de sérieuses difficultés? Quelqu’un avait-il intérêt à défendre le nouveau gîte carbonifère contre toute tentative d’exploitation? En vérité, cela était absurde, mais les faits parlaient d’eux‑mêmes, et ils s’accumulaient de manière à changer de simples présomptions en certitudes.

En attendant, la situation des explorateurs était assez mauvaise. Il leur fallait, au milieu de profondes ténèbres, suivre pendant environ cinq milles la galerie qui conduisait à la fosse Dochart. Puis, ils auraient encore une heure de route avant d’avoir atteint le cottage.

«Continuons, dit Simon Ford. Nous n’avons pas un instant à perdre. Nous marcherons en tâtonnant, comme des aveugles. Il n’est pas possible de s’égarer. Les tunnels qui s’ouvrent sur notre chemin ne sont que de véritables boyaux de taupinières, et, en suivant la galerie principale, nous arriverons inévitablement à l’orifice qui nous a livré passage. Ensuite, c’est la vieille houillère. Nous la connaissons, et ce ne sera pas la première fois qu’Harry ou moi nous nous y serons trouvés dans l’obscurité. D’ailleurs, nous retrouverons là les lampes que nous avons laissées. En route, donc! – Harry, prends la tête. Monsieur James, suivez-le. Madge, tu viendras après, et moi, je fermerai la marche. Ne nous séparons pas surtout, et qu’on se sente les talons, sinon les coudes!»

Il n’y avait qu’à se conformer aux instructions du vieil overman. Comme il le disait, en tâtonnant on ne pouvait guère se tromper de route. Il fallait seulement remplacer les yeux par les mains, et se fier à cet instinct qui, chez Simon Ford et son fils, était devenu une seconde nature.

Donc, James Starr et ses compagnons marchèrent dans l’ordre indiqué. Ils ne parlaient pas, mais ce n’était pas faute de penser. Il devenait évident qu’ils avaient un adversaire. Mais quel était-il, et comment se défendre de ces attaques si mystérieusement préparées? Ces idées assez inquiétantes affluaient à leur cerveau. Cependant, ce n’était pas le moment de se décourager.

Harry, les bras étendus, s’avançait d’un pas assuré. Il allait successivement d’une paroi à l’autre de la galerie. Une anfractuosité, un orifice latéral se présentaient-ils, il reconnaissait à la main qu’il ne fallait pas s’y engager, soit que l’anfractuosité fût peu profonde, soit que l’orifice fût trop étroit, et il se maintenait ainsi dans le droit chemin.

Au milieu d’une obscurité à laquelle les yeux ne pouvaient se faire, puisqu’elle était absolue, ce difficile retour dura deux heures environ. En supputant le temps écoulé, en tenant compte de ce que la marche n’avait pu être rapide, James Starr estimait que ses compagnons et lui devaient être bien près de l’issue.

En effet, presque aussitôt, Harry s’arrêta.

«Sommes-nous enfin arrivés à l’extrémité de la galerie? demanda Simon Ford.

– Oui, répondit le jeune mineur.

– Eh bien, tu dois retrouver l’orifice qui établit la communication entre la Nouvelle-Aberfoyle et la fosse Dochart?

– Non», répondit Harry, dont les mains crispées ne rencontraient que la surface pleine d’une paroi.

Le vieil overman fit quelques pas en avant, et vint palper lui-même la roche schisteuse.

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Un cri lui échappa.

Ou les explorateurs s’étaient égarés pendant le retour, ou l’étroit orifice, creusé dans la paroi par la dynamite, avait été bouché récemment!

Quoi qu’il en soit, James Starr et ses compagnons étaient emprisonnés dans la Nouvelle-Aberfoyle!

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1 La faille est la portion du massif, où manque le filon, et elle se compose ordinairement de grès ou de schiste.

2 Sorte de marteau spécial au mineur.

3 Nom donné aux exhalaisons mauvaises dans les houillères.

4 Nom que les mineurs donnent aux moyennes sortes.