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Jules Verne

 

les indes noires

 

(Chapitre XXI-XXII)

 

 

45 dessinsJules-Descartes Férat

Bibliothèque d’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

 

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© Andrzej Zydorczak

 

 

 

Chapitre XXI

Le mariage de Nell.

 

n se sépara, mais il fut d’abord convenu que les hôtes du cottage seraient plus que jamais sur leurs gardes. La menace du vieux Silfax était trop directe pour qu’il n’en fût pas tenu compte. C’était à se demander si l’ancien pénitent ne disposait pas de quelque moyen terrible qui pouvait anéantir toute l’Aberfoyle.

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Des gardiens armés furent donc postés aux diverses issues de la houillère, avec ordre de veiller jour et nuit. Tout étranger à la mine dut être amené devant James Starr, afin qu’il pût constater son identité. On ne craignit pas de mettre les habitants de Coal-city au courant des menaces dont la colonie souterraine était l’objet. Silfax n’ayant aucune intelligence dans la place, il n’y avait nulle trahison à craindre. On fit connaître à Nell toutes les mesures de sûreté qui venaient d’être prises, et, sans qu’elle fût rassurée complètement, elle retrouva quelque tranquillité. Mais la résolution d’Harry de la suivre partout où elle irait, avait plus que tout contribué à lui arracher la promesse de ne pas s’enfuir.

Pendant la semaine qui précéda le mariage de Nell et d’Harry, aucun incident ne troubla la Nouvelle-Aberfoyle. Aussi les mineurs, sans se départir de la surveillance organisée, revinrent-ils de cette panique, qui avait failli compromettre l’exploitation.

Cependant James Starr continuait à faire rechercher le vieux Silfax. Le vindicatif vieillard ayant déclaré que Nell n’épouserait jamais Harry, on devait admettre qu’il ne reculerait devant rien pour empêcher ce mariage. Le mieux aurait été de s’emparer de sa personne, tout en respectant sa vie. L’exploration de la Nouvelle-Aberfoyle fut donc minutieusement recommencée. On fouilla les galeries jusque dans les étages supérieurs qui affleuraient les ruines de Dundonald-Castle, à Irvine. On supposait avec raison que c’était par le vieux château que Silfax communiquait avec l’extérieur et qu’il s’approvisionnait des choses nécessaires à sa misérable existence, soit en achetant, soit en maraudant. Quant aux «Dames de feu», James Starr eut la pensée que quelque jet de grisou, qui se produisait dans cette partie de la houillère, avait pu être allumé par Silfax et produire ce phénomène. Il ne se trompait pas. Mais les recherches furent vaines.

James Starr, pendant cette lutte de tous les instants contre un être insaisissable, fut, sans en rien faire voir, le plus malheureux des hommes. A mesure que s’approchait le jour du mariage, ses craintes s’accroissaient, et il avait cru devoir, par exception, en faire part au vieil overman, qui devint bientôt plus inquiet que lui.

Enfin le jour arriva.

Silfax n’avait pas donné signe de vie.

Dès le matin, toute la population de Coal-city fut sur pied. Les travaux de la Nouvelle-Aberfoyle avaient été suspendus. Chefs et ouvriers tenaient à rendre hommage au vieil overman et à son fils. Ce n’était que payer une dette de reconnaissance aux deux hommes hardis et persévérants, qui avaient rendu à la houillère la prospérité d’autrefois.

C’était à onze heures, dans la chapelle de Saint-Gilles, élevée sur la rive du lac Malcolm, que la cérémonie allait s’accomplir.

A l’heure dite, on vit sortir du cottage Harry donnant le bras à sa mère, Simon Ford donnant le bras à Nell.

Suivaient l’ingénieur James Starr, impassible en apparence, mais au fond s’attendant à tout, et Jack Ryan, superbe dans ses habits de piper.

Puis, venaient les autres ingénieurs de la mine, les notables de Coal-city, les amis, les compagnons du vieil overman, tous les membres de cette grande famille de mineurs, qui formait la population spéciale de la Nouvelle-Aberfoyle.

Au-dehors, il faisait une de ces journées torrides du mois d’août, qui sont particulièrement pénibles dans les pays du nord. L’air orageux pénétrait jusque dans les profondeurs de la houillère, où la température s’était élevée d’une façon anormale. L’atmosphère s’y saturait d’électricité, à travers les puits d’aération et le vaste tunnel de Malcolm.

On aurait pu constater – phénomène assez rare – que le baromètre, à Coal-city, avait baissé d’une quantité considérable. C’était à se demander, vraiment, si quelque orage n’allait pas éclater sous la voûte de schiste, qui formait le ciel de l’immense crypte.

Mais la vérité est que personne, au-dedans, ne se préoccupait des menaces atmosphériques du dehors.

Chacun, cela va sans dire, avait revêtu ses plus beaux habits pour la circonstance.

Madge portait un costume qui rappelait ceux du vieux temps. Elle était coiffée d’un «toy», comme les anciennes matrones, et sur ses épaules flottait le «rokelay», sorte de mantille quadrillée que les Écossaises portent avec une certaine élégance.

Nell s’était promis de ne rien laisser voir des agitations de sa pensée. Elle défendit à son cœur de battre, à ses secrètes angoisses de se trahir, et la courageuse enfant parvint à montrer à tous son visage calme et recueilli.

Elle était simplement mise, et la simplicité de son vêtement, qu’elle avait préféré à des ajustements plus riches, ajoutait encore au charme de sa personne. Sa seule coiffure était un «snood», ruban de couleurs variées, dont se parent ordinairement les jeunes Calédoniennes.

Simon Ford avait un habit que n’aurait pas désavoué le digne bailli Nichol Jarvie, de Walter Scott.

Tout ce monde se dirigea vers la chapelle de Saint-Gilles, qui avait été luxueusement décorée.

Au ciel de Coal-city, les disques électriques, ravivés par des courants plus intenses, resplendissaient comme autant de soleils. Une atmosphère lumineuse emplissait toute la Nouvelle-Aberfoyle.

Dans la chapelle, les lampes électriques projetaient aussi de vives lueurs, et les vitraux coloriés brillaient comme des kaléidoscopes de feux.

C’était le révérend William Hobson qui devait officier. A la porte même de Saint-Gilles, il attendait l’arrivé des époux.

Le cortège approchait, après avoir majestueusement contourné la rive du lac Malcolm.

En ce moment, l’orgue se fit entendre, et les deux couples, précédés du révérend Hobson, se dirigèrent vers le chevet de Saint-Gilles.

La bénédiction céleste fut d’abord appelée sur toute l’assistance; puis, Harry et Nell restèrent seuls devant le ministre, qui tenait le livre sacré à la main.

«Harry, demanda le révérend Hobson, voulez-vous prendre Nell pour femme, et jurez-vous de l’aimer toujours?

– Je le jure, répondit le jeune homme d’une voix forte.

– Et vous, Nell, reprit le ministre, voulez-vous prendre pour époux Harry Ford, et…»

La jeune fille n’avait pas eu le temps de répondre, qu’une immense clameur retentissait au-dehors.

Un de ces énormes rochers, formant terrasse, qui surplombait la rive du lac Malcolm, à cent pas de la chapelle, venait de s’ouvrir subitement, sans explosion, comme si sa chute eût été préparée à l’avance. Au-dessous, les eaux s’engouffraient dans une excavation profonde, que personne ne savait exister là.

Puis soudain, entre les roches éboulées, apparut un canot, qu’une poussée vigoureuse lança à la surface du lac.

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Sur ce canot, un vieillard, vêtu d’une sombre cagoule, les cheveux hérissés, une longue barbe blanche tombant sur sa poitrine, se tenait debout.

Il avait à la main une lampe Davy dans laquelle brillait une flamme, protégée par la toile métallique de l’appareil.

En même temps, d’une voix forte, le vieillard criait:

«Le grisou! le grisou! Malheur à tous! malheur!»

En ce moment, la légère odeur qui caractérise l’hydrogène protocarboné se répandit dans l’atmosphère.

Et s’il en était ainsi, c’est que la chute du rocher avait livré passage à une énorme quantité de gaz explosif, emmagasiné dans d’énormes «soufflards» dont les schistes obturaient l’orifice. Les jets de grisou fusaient vers les voûtes du dôme, sous une pression de cinq à six atmosphères.

Le vieillard connaissait l’existence de ces soufflards, et il les avait brusquement ouverts, de manière à rendre détonante l’atmosphère de la crypte.

Cependant James Starr et quelques autres, quittant précipitamment la chapelle, s’étaient élancés sur la rive.

«Hors de la mine! hors de la mine!» cria l’ingénieur, qui, ayant compris l’imminence du danger, vint jeter ce cri d’alarme à la porte de Saint-Gilles.

«Le grisou! le grisou!» répétait le vieillard, en poussant son canot plus avant sur les eaux du lac.

Harry, entraînant sa fiancée, son père, sa mère, avait précipitamment quitté la chapelle.

«Hors de la mine! hors de la mine!» répétait James Starr.

Il é lait trop tard pour fuir! Le vieux Silfax était là, prêt à accomplir sa dernière menace, prêt à empêcher le mariage de Nell et d’Harry, en ensevelissant toute la population de Coal-city sous les ruines de la houillère.

Au-dessus de sa tête, volait son énorme harfang, dont le plumage blanc était taché de points noirs.

Mais alors, un homme se précipita dans les eaux du lac, qui nagea vigoureusement vers le canot.

C’était Jack Ryan. Il s’efforçait d’atteindre le fou, avant que celui-ci n’eût accompli son œuvre de destruction.

Silfax le vit venir. Il brisa le verre de sa lampe, et, après avoir arraché la mèche allumée, il la promena dans l’air.

Un silence de mort planait sur toute l’assistance atterrée. James Starr, résigné, s’étonnait que l’explosion, inévitable, n’eût pas déjà anéanti la Nouvelle-Aberfoyle.

Silfax, les traits crispés, se rendit compte que le grisou, trop léger pour se maintenir dans les basses couches, s’était accumulé vers les hauteurs du dôme.

Mais alors le harfang, sur un geste de Silfax, saisissant dans sa patte la mèche incendiaire, comme il faisait autrefois dans les galeries de la fosse Dochart, commença à monter vers la haute voûte, que le vieillard lui montrait de la main.

Encore quelques secondes, et la Nouvelle-Aberfoyle avait vécu!…

A ce moment, Nell s’échappa des bras d’Harry.

Calme et inspirée tout à la fois, elle courut vers la rive du lac, jusqu’à la lisière des eaux.

«Harfang! Harfang! cria-t-elle d’une voix claire, à moi! Viens à moi!»

L’oiseau fidèle, étonné, avait hésité un instant. Mais soudain, ayant reconnu la voix de Nell, il avait laissé tomber la mèche enflammée dans les eaux du lac, et, traçant un large cercle, il était venu s’abattre aux pieds de la jeune fille.

Les hautes couches explosives dans lesquelles le grisou s’était mélangé à l’air, n’avaient pas été atteintes!

Alors un cri terrible retentit sous le dôme. Ce fut le dernier que jeta le vieux Silfax.

A l’instant où Jack Ryan allait mettre la main sur le bordage du canot, le vieillard, voyant sa vengeance lui échapper, s’était précipité dans les eaux du lac.

«Sauvez-le! sauvez-le!» s’écria Nell d’une voix déchirante.

Harry l’entendit. Se jetant à son tour à la nage, il eut bientôt rejoint Jack Ryan et plongea à plusieurs reprises.

Mais ses efforts furent inutiles.

Les eaux du lac Malcolm ne rendirent pas leur proie. Elles s’étaient à jamais refermées sur le vieux Silfax.

 

 

Chapitre XXII

La légende du vieux Silfax.

 

ix mois après ces événements, le mariage, si étrangement interrompu, d’Harry Ford et de Nell, se célébrait dans la chapelle de Saint-Gilles. Après que le révérend Hobson eut béni leur union, les jeunes époux, encore vêtus de noir, rentrèrent au cottage.

James Starr et Simon Ford, désormais exempts de toute inquiétude, présidèrent joyeusement à la fête qui suivit la cérémonie et se prolongea jusqu’au lendemain.

Ce fut dans ces mémorables circonstances que Jack Ryan, revêtu de son costume de piper, après avoir gonflé d’air l’outre de sa cornemuse, obtint ce triple résultat de jouer, de chanter et de danser tout à la fois, aux applaudissements de toute l’assemblée.

Et, le lendemain, les travaux du jour et du fond recommencèrent, sous la direction de l’ingénieur James Starr.

Harry et Nell furent heureux, il est superflu de le dire. Ces deux cœurs, tant éprouvés, trouvèrent dans leur union le bonheur qu’ils méritaient.

Quant à Simon Ford, l’overman honoraire de la Nouvelle-Aberfoyle, il comptait bien vivre assez pour célébrer sa cinquantaine avec la bonne Madge, qui ne demandait pas mieux, d’ailleurs.

«Et après celle-là, pourquoi pas une autre? disait Jack Ryan. Deux cinquantaines, ce ne serait pas trop pour vous, monsieur Simon!

– Tu as raison, mon garçon, répondit tranquillement le vieil overman. Qu’y aurait-il d’étonnant à ce que sous le climat de la Nouvelle-Aberfoyle, dans ce milieu qui ne connaît pas les intempéries du dehors, on devînt deux fois centenaire?»

Les habitants de Coal-city devaient-ils jamais assister à cette seconde cérémonie? L’avenir le dira.

En tout cas, un oiseau, qui semblait devoir atteindre une longévité extraordinaire, c’était le harfang du vieux Silfax. Il hantait toujours le sombre domaine. Mais après la mort du vieillard, bien que Nell eût essayé de le retenir, il s’était enfui au bout de quelques jours. Outre que la société des hommes ne lui plaisait décidément pas plus qu’à son ancien maître, il semblait qu’il eût gardé une sorte de rancune particulière à Harry, et que cet oiseau jaloux eût toujours reconnu et détesté en lui le premier ravisseur de Nell, celui à qui il l’avait disputée en vain dans l’ascension du gouffre.

Depuis ce temps, Nell ne le revoyait qu’à de longs intervalles, planant au-dessus du lac Malcolm.

Voulait-il revoir son amie d’autrefois? Voulait-il plonger ses regards pénétrants jusqu’au fond de l’abîme où s’était englouti Silfax?

Les deux versions furent admises, car le harfang devint légendaire, et il inspira à Jack Ryan plus d’une fantastique histoire.

C’est grâce à ce joyeux compagnon qu’on chante encore dans les veillées écossaises la légende de l’oiseau du vieux Silfax, l’ancien pénitent des houillères d’Aberfoyle.

FIN

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