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Jules Verne

 

Kéraban-le-têtu

 

(Chapitre X-XII)

 

 

101 dessins et un carte, par Benett

Bibliothèque d’Éducation et de Récréation

J. Hetzel et Cie

 

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© Andrzej Zydorczak

 

Première partie

 

 

Chapitre X

Dans lequel Ahmet prend une énergique résolution, 
commandée, d’ailleurs, par les circonstances.

 

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onjour, ami Sélim! bonjour! Qu’Allah te protège, toi et toute ta maison!»

Et, cela dit, le seigneur Kéraban serra solidement la main de son correspondant d’Odessa.

«Bonjour, neveu Ahmet!»

Et le seigneur Kéraban pressa sur sa poitrine, dans une vigoureuse étreinte, son neveu Ahmet.

«Bonjour, ma petite Amasia!»

Et le seigneur Kéraban embrassa sur les deux joues la jeune fille qui allait devenir sa nièce.

Tout cela fut fait si rapidement, que personne n’avait encore eu le temps de répondre.

«Et maintenant, au revoir et en route!» ajouta le seigneur Kéraban, en se retournant vers Van Mitten.

Le flegmatique Hollandais, qui n’avait point été présenté, semblait être, avec son impassible figure, quelque étrange personnage, évoqué dans la scène capitale d’un drame.

Tous, à voir le seigneur Kéraban distribuer avec tant de prodigalité ses baisers et ses poignées de main, ne doutaient plus qu’il ne fût venu pour hâter le mariage; mais, lorsqu’ils l’entendirent s’écrier «En route!», ils tombèrent dans le plus parfait ahurissement.

Ce fut Ahmet qui intervint le premier en disant:

«Comment, en route!

– Oui! en route, mon neveu!

– Vous allez repartir, mon oncle?

– A l’instant!»

Nouvelle stupéfaction générale, tandis que Van Mitten disait à l’oreille de Bruno:

«En vérité, ces façons d’agir sont bien dans le caractère de mon ami Kéraban!

– Trop bien!» répondit Bruno.

Cependant, Amasia regardait Ahmet, qui regardait Sélim, tandis que Nedjeb n’avait d’yeux que pour cet oncle invraisemblable, – un homme capable de partir avant même d’être arrivé!

«Allons, Van Mitten, reprit le seigneur Kéraban, en se dirigeant vers la porte.

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– Monsieur, me direz-vous?… dit Ahmet à Van Mitten.

– Que pourrais-je vous dire?» répliqua le Hollandais, qui marchait déjà sur les talons de son ami.

Mais le seigneur Kéraban, au moment de sortir, venait de s’arrêter, et, s’adressant au banquier:

«A propos, ami Sélim, lui demanda-t-il, vous me changerez bien quelques milliers de piastres pour leur valeur en roubles?

– Quelques milliers de piastres?… répondit Sélim, qui n’essayait même plus de comprendre.

– Oui… Sélim… de l’argent russe, dont j’ai besoin pour mon passage sur le territoire moscovite.

– Mais, mon oncle, nous direz-vous enfin?… s’écria Ahmet, auquel se joignit la jeune fille.

– A quel taux le change aujourd’hui? demanda le seigneur Kéraban.

– Trois et demi pour cent, répondit Sélim, chez qui le banquier reparut un instant.

– Quoi! trois et demi?

– Les roubles sont en hausse! répondit Sélim. On les demande sur le marché…

– Allons, pour moi, ami Sélim, ce sera trois un quart seulement! Vous entendez!… Trois un quart!

– Pour vous, oui!… pour vous… ami Kéraban, et même sans aucune commission!»

Le banquier Sélim ne savait évidemment plus ni ce qu’il disait ni ce qu’il faisait.

Il va sans dire que, du fond de la galerie où il se tenait à l’écart, Yarhud observait toute cette scène avec une extrême attention. Qu’allait-il se produire de favorable ou de nuisible à ses projets?

En ce moment, Ahmet vint saisir son oncle par le bras; il l’arrêta sur le seuil de la porte qu’il allait franchir, et il le força, non sans peine, étant donné le caractère de l’entêté, à revenir sur ses pas.

«Mon oncle, lui dit-il, vous nous avez tous embrassés au moment où vous arriviez…

– Mais non! mais non! mon neveu, répondit Kéraban, au moment où j’allais repartir!

– Soit, mon oncle!… je ne veux pas vous contrarier… Mais, au moins, dites-nous pourquoi vous êtes venu à Odessa!

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– Je ne suis venu à Odessa, répondit Kéraban, que parce qu’Odessa était sur ma route. Si Odessa n’avait point été sur ma route, je ne serais pas venu à Odessa! – N’est-il pas vrai, Van Mitten?»

Le Hollandais se contenta de faire un signe affirmatif, en abaissant lentement la tête.

«Ah! au fait, vous n’avez pas été présenté, et il faut que je vous présente!» dit le seigneur Kéraban.

Et, s’adressant à Sélim:

«Mon ami Van Mitten, lui dit-il, mon correspondant de Rotterdam, que j’emmène dîner à Scutari!

– A Scutari? s’écria le banquier.

– Il paraît!… dit Van Mitten.

– Et son valet Bruno, ajouta Kéraban, un brave serviteur, qui n’a pas voulu se séparer de son maître!

– Il paraît!… répondit Bruno, comme un écho fidèle.

– Et maintenant, en route!»

Ahmet intervint de nouveau:

«Soit, mon oncle, dit-il, et croyez bien que personne ici n’a l’envie de vous résister… Mais si vous n’êtes venu à Odessa que parce qu’Odessa est sur votre route, quelle route voulez-vous donc suivre pour aller de Constantinople à Scutari?

– La route qui fait le tour de la mer Noire!

– Le tour de la mer Noire!» s’écria Ahmet.

Et il y eut un instant de silence.

«Ah ça! reprit Kéraban, qu’y a-t-il d’étonnant, d’extraordinaire, s’il vous plaît, à ce que je me rende de Constantinople à Scutari en faisant le tour de la mer Noire?»

Le banquier Sélim et Ahmet se regardèrent. Est-ce que le riche négociant de Galata était devenu fou?

«Ami Kéraban, dit alors Sélim, nous ne songeons point à vous contrarier…»

C’était la phrase habituelle par laquelle on commençait prudemment toute conversation avec le têtu personnage.

«… Nous ne voulons pas vous contrarier, mais il nous semble que, pour aller directement de Constantinople à Scutari, il n’y a qu’à traverser le Bosphore!

– Il n’y a plus de Bosphore!

– Plus de Bosphore?… répéta Ahmet.

– Pour moi, du moins! Il n’y en a que pour ceux qui veulent se soumettre à payer un impôt inique, un impôt de dix paras par personne, un impôt dont le gouvernement des nouveaux Turcs vient de frapper ces eaux libres de tout droit jusqu’à ce jour!

– Quoi!… un nouvel impôt! s’écria Ahmet, qui comprit en un instant dans quelle aventure un entêtement indéracinable venait de lancer son oncle.

– Oui, reprit le seigneur Kéraban en s’animant de plus belle. Au moment où j’allais m’embarquer dans mon caïque… pour aller dîner à Scutari… avec mon ami Van Mitten, cet impôt de dix paras venait d’être établi!… Naturellement, j’ai refusé de payer!… On a refusé de me laisser passer!… J’ai dit que je saurais bien aller à Scutari sans traverser le Bosphore!… On m’a répondu que cela ne serait pas!… J’ai répondu que cela serait!… Et cela sera! Par Allah! je me serais plutôt coupé la main que de la porter à ma poche pour en tirer ces dix paras! Non! par Mahomet! par Mahomet! ils ne connaissent pas Kéraban!»

Évidemment, ils ne connaissaient pas Kéraban! Mais son ami Sélim, son neveu Ahmet, Van Mitten, Amasia, le connaissaient, et ils virent bien, après ce qui s’était passé, qu’il serait impossible de le faire revenir sur sa résolution. Il n’y avait donc pas à discuter, ce qui aurait compliqué les choses, mais à accepter la situation.

C’était tellement indiqué que cela se fit d’un commun accord, sans même entente préalable.

«Après tout, mon oncle, vous avez raison! dit Ahmet.

– Absolument raison! ajouta Sélim.

– Toujours raison! répondit Kéraban.

– Il faut résister aux prétentions iniques, reprit Ahmet, résister, quand il devrait vous en coûter la fortune…

– Et la vie! ajouta Kéraban.

– Vous avez donc bien fait de vous refuser au payement de cet impôt, et de montrer que vous saurez aller de Constantinople à Scutari, sans franchir le Bosphore…

– Et sans débourser dix paras, ajouta Kéraban, dût-il m’en coûter cinq cent mille!

– Mais vous n’êtes pas absolument pressé de partir, je suppose?… demanda Ahmet.

– Absolument pressé, mon neveu, répondit Kéraban. Il faut, tu sais pourquoi, que je sois de retour avant six semaines!

– Bon! mon cher oncle, vous pourriez bien nous donner quelque huit jours à Odessa?…

– Pas cinq jours, pas quatre, pas un, répondit Kéraban, pas même une heure!»

Ahmet, vit que le naturel allait reprendre le dessus. Il fit signe à Amasia d’intervenir.

«Et notre mariage, monsieur Kéraban? dit la jeune fille, en lui prenant la main.

– Ton mariage, Amasia? répondit Kéraban, il ne sera en aucune façon reculé. Il faut qu’il soit fait avant la fin du mois prochain!… Eh bien, il le sera!… Mon voyage ne le retardera pas d’un jour… à la condition que je parte, sans perdre un instant!»

Ainsi tombait cet échafaudage d’espérances que tous avaient édifié sur l’arrivée inattendue du seigneur Kéraban. Le mariage ne serait pas hâté, mais il ne serait pas reculé non plus! disait-il. Eh! qui pouvait en répondre? Comment prévoir les éventualités d’un si long et si pénible voyage, fait dans ces conditions?

Ahmet ne put retenir un mouvement de dépit, que son oncle ne vit pas, heureusement, pas plus qu’il n’aperçut le nuage qui obscurcit le front d’Amasia, pas plus qu’il n’entendit Nedjeb murmurer:

«Ah! le vilain oncle!

– D’ailleurs, ajouta celui-ci du ton d’un homme qui fait une proposition à laquelle il n’est pas d’objection possible, d’ailleurs, je compte bien qu’Ahmet m’accompagnera!

– Diable! voilà un coup droit, difficile à parer! dit à mi-voix Van Mitten.

– On ne le parera pas!» répondit Bruno.

Ahmet, en effet, avait reçu ce coup en plein cœur. De son côté, Amasia, vivement atteinte par l’annonce du départ de son fiancé, demeurait immobile, près de Nedjeb, qui aurait arraché les yeux au seigneur Kéraban.

Au fond de la galerie, le capitaine de la Guïdare ne perdait pas un mot de cette conversation. Cela prenait évidemment une tournure favorable à ses projets.

Sélim, bien qu’il eût peu d’espoir de modifier la résolution de son ami, crut devoir intervenir, pourtant, et dit:

«Est-il donc nécessaire, Kéraban, que votre neveu fasse avec vous le tour de la mer Noire?

– Nécessaire, non! répondit Kéraban, mais je ne pense pas qu’Ahmet hésite à m’accompagner!

– Cependant!… reprit Sélim.

– Cependant?…» répondit l’oncle, dont les dents se serrèrent, ainsi qu’il lui arrivait au début de toute discussion.

Une minute de silence, qui parut interminable, suivit le dernier mot prononcé par le seigneur Kéraban. Mais Ahmet avait énergiquement pris son parti. Il parlait bas à la jeune fille. Il lui faisait comprendre que, quelque chagrin qu’ils dussent ressentir tous deux de ce départ, mieux valait ne pas résister; que, sans lui, ce voyage pourrait éprouver des retards de toutes sortes; qu’avec lui, au contraire, ce voyage s’accomplirait plus rapidement; qu’avec sa parfaite connaissance de la langue russe, il ne laisserait perdre ni un jour ni une heure; qu’il saurait bien obliger son oncle à faire les pas doubles, comme on dit, cela dût-il lui coûter le triple; qu’enfin, avant la fin du prochain mois, c’est-à-dire avant la date à laquelle Amasia devait être mariée pour sauvegarder un intérêt de fortune considérable, il aurait ramené Kéraban sur la rive gauche du Bosphore.

Amasia n’avait pas eu la force de dire oui, mais elle comprenait que c’était le meilleur parti à prendre.

«Eh bien, c’est convenu, mon oncle! dit Ahmet. Je vous accompagnerai, et je suis prêt à partir, mais…

– Oh! pas de conditions, mon neveu!

– Soit, sans conditions!» répondit Ahmet.

Et, mentalement, il ajouta:

«Je saurai bien te faire courir, quand tu devrais t’y époumonner, oh! le plus têtu des oncles!

– En route donc,» dit Kéraban.

Et se retournant vers Sélim:

«Ces roubles en échange de mes piastres?…

– Je vous les donnerai à Odessa, où je vais vous accompagner, répondit Sélim.

– Vous êtes prêt, Van Mitten? demanda Kéraban.

– Toujours prêt.

– Eh bien, Ahmet, reprit Kéraban, embrasse ta fiancée, embrasse-la bien, et partons!»

Ahmet serrait déjà la jeune fille dans ses bras. Amasia ne pouvait retenir ses larmes.

«Ahmet, mon cher Ahmet!… répétait-elle.

– Ne pleurez pas, chère Amasia! disait Ahmet. Si notre mariage n’est pas avancé, il ne sera pas retardé non plus, je vous le promets!… Ce ne sont que quelques semaines d’absence!…

– Ah! chère maîtresse, dit Nedjeb, si le seigneur Kéraban pouvait seulement se casser une jambe ou deux avant de sortir d’ici! Voulez-vous que je m’occupe de cela?»

Mais Ahmet ordonna à la jeune Zingare de se tenir tranquille, et il fit bien. Certainement, Nedjeb était femme à tout tenter pour arrêter cet oncle intraitable.

Les adieux étaient faits, les derniers baisers étaient échangés. Tous se sentaient émus. Le Hollandais lui-même éprouvait comme un serrement de cœur. Seul, le seigneur Kéraban ne voyait rien ou ne voulait rien voir de l’attendrissement général.

«La chaise est-elle prête? demanda-t-il à Nizib, qui entrait à ce moment dans la galerie.

– La chaise est prête, répondit Nizib.

– En route! dit Kéraban. Ah! messieurs les modernes Ottomans, qui vous habillez à l’européenne! Ah! messieurs les nouveaux Turcs, qui ne savez plus même être gras!…»

C’était évidemment là une impardonnable décadence aux yeux du seigneur Kéraban.

«… Ah! messieurs les renégats, qui vous soumettez aux prescriptions de Mahmoud, je vous montrerai qu’il y a encore de Vieux Croyants, dont vous n’aurez jamais raison!»

Personne ne le contredisait alors, le seigneur Kéraban, et pourtant il s’animait de plus belle.

«Ah! vous prétendez monopoliser le Bosphore à votre profit! Eh bien, je m’en passerai, de votre Bosphore! Je m’en moque, de votre Bosphore! – Vous dites, Van Mitten?…

– Je ne dis rien, répondit Van Mitten, qui, de fait, n’avait pas même ouvert la bouche et s’en fût bien gardé!

– Votre Bosphore! Leur Bosphore! reprit la seigneur Kéraban, en tendant son poing vers le sud. Heureusement, la mer Noire est là! Elle a un littoral, la mer Noire, et il n’est pas uniquement fait pour les conducteurs de caravanes! Je le suivrai, je le contournerai! Hein! mes amis, voyez-vous d’ici la figure que feront ces employés du gouvernement, quand ils me verront apparaître sur les hauteurs de Scutari, sans avoir jeté même un demi-para dans leur sébille de mendiants administratifs!»

Il faut bien en convenir, le seigneur Kéraban, tout débordant de menaces en cette suprême imprécation, était magnifique.

«Allons, Ahmet! allons, Van Mitten! s’écria-t-il. En route! en route! en route!»

Il était déjà sur la porte, lorsque Sélim l’arrêta d’un mot:

«Ami Kéraban, dit-il, une simple observation.

– Pas d’observations!

– Eh bien, une simple remarque que je désirerais vous faire, reprit le banquier.

– Eh! avons-nous le temps?…

– Écoutez-moi, ami Kéraban. Une fois arrivé à Scutari, après avoir achevé ce tour de la mer Noire, que ferez-vous?

– Moi?… Eh bien, je… je…

– Vous n’allez pas, je suppose, vous fixer à Scutari, sans jamais revenir à Constantinople, où est le siège de votre maison de commerce?

– Non… répondit Kéraban, en hésitant un peu.

– Au fait, mon oncle, fit observer Ahmet, pour peu que vous vous obstiniez à ne plus passer le Bosphore, et notre mariage…

– Ami Sélim, rien n’est plus simple! répondit Kéraban, en éludant la première question, qui ne laissait pas de l’embarrasser. Qui vous empêche de venir avec Amasia à Scutari? Cela vous coûtera dix paras par tête, il est vrai, pour franchir leur Bosphore, mais votre honneur n’est pas engagé comme le mien dans l’affaire!

– Oui! oui! Venez à Scutari, dans un mois! s’écria Ahmet. Vous nous attendrez là, ma chère Amasia, et nous ferons en sorte de ne pas trop vous faire attendre!

– Soit! Rendez-vous à Scutari! répondit Sélim. C’est là que nous célébrerons le mariage! – Mais enfin, ami Kéraban, le mariage fait, ne reviendrez vous pas à Constantinople?

– J’y reviendrai, s’écria Kéraban, certes, j’y reviendrai!

– Et comment?

– Eh bien, ou cet impôt vexatoire sera aboli, et je passerai le Bosphore… sans payer…

– Et s’il ne l’est pas?

– S’il ne l’est pas?… répondit le seigneur Kéraban avec un geste superbe. Par Allah! je reprendrai le même chemin, et je referai le tour de la mer Noire!»

 

 

Chapitre XI

Dans lequel il se mêle un peu de drame 
à cette fantaisiste histoire de voyage.

 

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ls étaient tous partis! Ils avaient quitté la villa, le seigneur Kéraban pour accomplir ce voyage, Van Mitten pour accompagner son ami, Ahmet pour suivre son oncle, Nizib et Bruno, parce qu’ils ne pouvaient faire autrement! L’habitation était maintenant déserte, à ne point compter cinq ou six serviteurs, qui s’occupaient de leur besogne dans les communs. Le banquier Sélim, lui-même, venait de se rendre à Odessa, afin de remettre aux voyageurs les roubles échangés contre leurs piastres ottomanes.

La villa ne comptait plus parmi ses hôtes que les deux jeunes filles, Amasia et Nedjeb.

Le capitaine maltais le savait bien. Toutes les péripéties de cette scène d’adieux, il les avait suivies avec un intérêt facile à comprendre. Le seigneur Kéraban remettrait-il à son retour le mariage d’Amasia et d’Ahmet? Il l’avait remis: première bonne carte dans son jeu. Ahmet consentirait-il à accompagner son oncle?… Il y avait consenti: seconde bonne carte dans le jeu d’Yarhud.

Eh bien, le Maltais en avait une troisième: Amasia et Nedjeb étaient maintenant seules dans la villa, ou, tout au moins, dans la galerie qui s’ouvrait sur la mer. Sa tartane se trouvait là, à une demi-encâblure… Son canot l’attendait au bas des degrés… Ses matelots étaient gens à lui obéir sur un signe… Il n’avait qu’à vouloir!

Le capitaine fut vivement tenté d’employer la violence pour s’emparer d’Amasia. Mais, au fond, comme c’était un homme prudent, ne voulant rien donner au hasard, décidé à ne laisser aucune trace de l’enlèvement, il se mit à réfléchir.

Or, il faisait grand jour alors. S’il tentait d’agir par force, Amasia appellerait à son aide. Nedjeb joindrait ses cris aux siens. Peut-être seraient-elles entendues de quelque serviteur! Peut-être verrait-on la Guïdare appareillant en toute hâte pour sortir de la baie d’Odessa! Ce serait là un indice, un commencement de preuve… Non! mieux valait opérer avec plus de circonspection et attendre la nuit pour agir. L’important était qu’Ahmet ne fût plus là…, et il n’y était plus.

Le Maltais resta donc à l’écart, assis à l’arrière de son canot que dissimulait en partie la balustrade, et il observait les deux jeunes filles. Elles ne songeaient guère à la présence de ce dangereux personnage.

Toutefois, si, par suite de la visite convenue, Amasia et Nedjeb consentaient à venir à bord de la tartane, soit pour examiner les articles dont elles devaient faire emplette, soit pour tout autre motif, – et Yarhud avait une idée à cet égard, – il verrait s’il serait opportun de se décider, sans attendre la nuit.

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Après le départ d’Ahmet, Amasia, frappée de ce coup subit, était restée silencieuse, pensive, regardant le lointain horizon qui se déroulait vers le nord. Là se dessinait ce littoral, dont les voyageurs allaient obstinément suivre le contour; là, cette route où les retards, les dangers peut-être, mettraient à l’épreuve le soigneur Kéraban et tous ceux qu’il entraînait malgré eux! Si son mariage eût été fait, elle n’aurait pas hésité à accompagner Ahmet! Comment l’oncle s’y serait-il opposé? Il ne l’eût pas voulu. Non! Devenue sa nièce, il lui semblait qu’elle aurait eu quelque influence sur lui, qu’elle l’aurait arrêté sur cette pente dangereuse, où son obstination pouvait le pousser encore! Et maintenant, elle était seule, et il lui fallait attendre bien des semaines avant de se retrouver avec Ahmet dans cette villa de Scutari, où leur union devait s’accomplir!

Mais si Amasia était triste, Nedjeb était furieuse, elle, furieuse contre l’entêté, cause de toutes ces déceptions! Ah! s’il se fût agi de son propre mariage, la jeune Zingare ne se fût point laissé enlever ainsi son fiancé! Elle aurait tenu tête au têtu! Non! cela ne se serait pas passé de la sorte!

Nedjeb s’approcha de la jeune fille. Elle la prit par la main; elle la ramena vers le divan; elle la força de s’y reposer, et, prenant un coussin, s’assit à ses pieds.

«Chère maîtresse, dit-elle, à votre place, au lieu de penser au seigneur Ahmet pour le plaindre, je penserais au seigneur Kéraban pour le maudire à mon aise!

– A quoi bon? répondit Amasia.

– Il me semble que ce serait moins triste! reprit Nedjeb. Si vous le voulez, nous allons accabler cet oncle de toutes nos malédictions! Il les mérite, et je vous assure que je lui ferai bonne mesure!

– Non, Nedjeb, répondit Amasia. Parlons plutôt d’Ahmet! C’est à lui seul que je dois penser! c’est à lui seul que je pense!

– Parlons-en donc, chère maîtresse, dit Nedjeb. En vérité, c’est bien le plus charmant fiancé que puisse rêver une jeune fille, mais quel oncle il a! Ce despote, cet égoïste, ce vilain homme, qui n’avait qu’un mot à dire et qui ne l’a pas dit, qui n’avait qu’à nous donner quelques jours et qui les a refusés! Vraiment! il mériterait…

– Parlons d’Ahmet! reprit Amasia.

– Oui, chère maîtresse! Comme il vous aime! Combien vous serez heureuse avec lui! Ah! il serait parfait s’il n’avait pas un pareil oncle! Mais en quoi est-il bâti, cet homme-là? Savez-vous qu’il a bien fait de ne point prendre de femme, ni une ni plusieurs! Avec ses entêtements, il aurait fait révolter jusqu’aux esclaves de son harem!

– Voilà que tu parles encore de lui, Nedjeb! dit Amasia, dont les pensées suivaient un tout autre cours.

– Non!… non!… je parle du seigneur Ahmet! Comme vous, je ne songe qu’au seigneur Ahmet! Eh, tenez! à sa place, je ne me serais pas rendue! J’aurais insisté!… Je lui croyais plus d’énergie!

– Qui te dit, Nedjeb, qu’il n’a pas montré plus d’énergie à céder aux ordres de son oncle qu’à lui résister? Ne vois-tu pas, quelque douleur que cela me cause, que mieux valait qu’il fût de ce voyage, pour le hâter par tous les moyens possibles, pour prévenir peut-être des dangers dans lesquels le seigneur Kéraban risque de se jeter avec son entêtement habituel. Non! Nedjeb, non! En partant, Ahmet a fait preuve de courage! En partant, il m’a donné une nouvelle preuve de son amour!

– Il faut que vous ayez raison, ma chère maîtresse! répondit Nedjeb, qui, emportée par la vivacité de son sang de Zingare, ne pouvait se rendre! Oui! le seigneur Ahmet s’est montré énergique en partant! Mais n’eût-il pas été plus énergique encore s’il eût empêché son oncle de partir!

– Était-ce possible, Nedjeb? reprit Amasia. Je te le demande, était-ce possible?

– Oui… non!… peut-être! répondit Nedjeb. Il n’y a pas de barre de fer qu’on ne puisse faire plier… ou briser au besoin! Ah! cet oncle Kéraban! C’est bien à lui seul qu’il faut s’en prendre! Et s’il arrive quelque accident, c’est lui seul qui en sera responsable! Et quand je pense que c’est pour ne pas payer dix paras qu’il fait le malheur du seigneur Ahmet, le vôtre… et, par conséquent, le mien. Je voudrais, oui!… je voudrais que la mer Noire débordât jusqu’aux dernières limites du monde, pour voir s’il s’obstinerait encore à en faire le tour!

– Il le ferait! répondit Amasia d’un ton de conviction profonde. Mais parlons d’Ahmet, Nedjeb, et ne parlons que de lui!»

En ce moment, Yarhud venait de quitter son canot, et, sans être vu, il s’avançait vers les deux jeunes filles. Au bruit de ses pas, toutes deux se retournèrent. Leur surprise, mêlée d’un peu de crainte, fut grande en l’apercevant près d’elles.

Nedjeb s’était relevée la première.

«Vous, capitaine? dit-elle. Que venez-vous faire ici? Que voulez-vous donc?…

– Je ne veux rien, répondit Yarhud, en feignant quelque étonnement de se voir accueilli de la sorte, je ne veux rien, si ce n’est me mettre à votre disposition pour…

– Pour?… répéta Nedjeb.

– Pour vous conduire à bord de la tartane, répondit le capitaine. N’avez-vous pas décidé de venir visiter sa cargaison et de faire un choix de ce qui pourrait vous convenir?

– C’est vrai, chère maîtresse, s’écria Nedjeb. Nous avions promis au capitaine…

– Nous avions promis, quand Ahmet était encore là, répondit la jeune fille, mais Ahmet est parti, et il n’y a plus lieu de nous rendre à bord de la Guïdare

Les sourcils du capitaine se froncèrent un instant; puis, du ton le plus calme:

«La Guïdare, dit-il, ne peut faire un long séjour dans la baie d’Odessa, et il est possible que j’appareille demain ou après-demain au plus tard. Si donc la fiancée du seigneur Ahmet veut faire acquisition de quelques-unes de ces étoffes dont les échantillons ont paru lui plaire, il faudrait profiter de cette occasion. Mon canot est là, et, en quelques instants, nous pourrons être à bord.

– Nous vous remercions, capitaine, répondit froidement Amasia, mais j’aurais peu de goût à m’occuper de pareilles fantaisies en l’absence du seigneur Ahmet! Il devait nous accompagner dans cette visite à la Guïdare, il devait nous aider de ses conseils… Il n’est plus là, et, sans lui, je ne peux et ne veux rien faire!

– Je le regrette, répondit Yarhud, d’autant plus que le seigneur Ahmet, je n’en doute pas, serait agréablement surpris, à son retour, si vous aviez fait ces acquisitions! C’est une occasion qui ne se retrouvera plus, et que vous regretterez!…

– Cela est possible, capitaine, répondit Nedjeb, mais, en ce moment, vous ferez mieux, je pense, de ne point insister à ce sujet!

– Soit, reprit Yarhud, en s’inclinant. Toutefois, laissez-moi espérer que si, dans quelques semaines, les hasards de ma navigation ramenaient la Guïdare à Odessa, vous voudriez bien ne point oublier que vous aviez promis de lui rendre visite.

– Nous ne l’oublierons pas, capitaine,» répondit Amasia, en faisant comprendre au Maltais qu’il pouvait se retirer.

Yarhud salua donc les deux jeunes filles; il fit quelques pas vers la terrasse; puis, s’arrêtant, comme si quelque idée lui fût venue soudain, il revint vers Amasia, au moment où la jeune fille allait quitter la galerie.

«Un mot encore, dit-il, ou plutôt une proposition, qui ne peut qu’être agréable à la fiancée du seigneur Ahmet.

– De quoi s’agit-il? demanda Amasia, un peu impatientée de cette obstination du capitaine maltais à lui imposer sa présence et cette conversation dans la villa.

– Le hasard m’a fait assister à toute cette scène, qui a précédé le départ du seigneur Ahmet.

– Le hasard? répondit Amasia, devenue méfiante, comme par un pressentiment.

– Le hasard seul! répondit Yarhud. J’étais là, dans mon canot, qui était resté à votre disposition…

– Quelle proposition avez-vous à nous faire, capitaine? demanda la jeune fille.

– Une proposition très naturelle, répondit Yarhud. J’ai vu combien la fille du banquier Sélim avait été affectée de ce brusque départ, et, s’il lui plaisait de revoir encore une fois le seigneur Ahmet?…

– Revoir encore une fois!… Que voulez-vous dire? répondit Amasia, dont le cœur battit à cette pensée.

– Je veux dire, reprit Yarhud, que, dans une heure, l’équipage du seigneur Kéraban passera nécessairement à la pointe de ce petit cap que vous apercevez là-bas!»

Amasia s’était avancée et regardait, la légère courbure de la côte à l’endroit indiqué par le capitaine.

«Là?… là?… fit-elle.

– Oui.

– Chère maîtresse, s’écria Nedjeb, si nous pouvions nous rendre à cette pointe?

– Rien n’est plus facile, répondit Yarhud. En une demi-heure, avec le vent portant, la Guïdare peut avoir atteint ce cap, et, si vous voulez vous embarquer, nous appareillerons immédiatement.

– Oui!… oui!…» s’écria Nedjeb, qui ne voyait, dans cette promenade en mer, qu’une occasion pour Amasia de revoir encore une fois son fiancé.

Mais Amasia avait réfléchi. Devant cette hésitation, le capitaine n’avait pu retenir un mouvement, qui ne lui avait point échappé. Il lui sembla alors que la physionomie de Yarhud ne prévenait guère en sa faveur. Elle redevint défiante.

Quittant la balustrade, sur laquelle elle s’était accoudée pour mieux apercevoir la prolongation du littoral, Amasia rentra dans la galerie avec Nedjeb, dont elle avait saisi la main.

«J’attends vos ordres? dit le capitaine.

– Non, capitaine, répondit Amasia. En revoyant mon fiancé dans ces conditions, je crois que je lui ferais moins de plaisir que de peine!»

Yarhud, comprenant que rien ne ferait revenir la jeune fille sur son refus, se retira froidement.

Un instant après, l’embarcation débordait, emmenant le capitaine maltais et ses hommes; puis, elle accostait la tartane, et restait élongée sur son flanc de bâbord, tourné au large.

Les deux jeunes filles demeurèrent seules dans la galerie, pendant une heure encore. Amasia revint s’accouder sur la balustrade. Elle regardait obstinément ce point du littoral, indiqué par Yarhud, que devait franchir la chaise du seigneur Kéraban.

Nedjeb observait, comme elle, ce retour de la côte, qui se développait à près d’une lieue dans l’est.

Au bout d’une heure, en effet, la jeune Zingare de s’écrier:

«Ah! chère maîtresse, voyez! voyez! N’apercevez-vous pas une voiture qui suit la route, là-bas, au sommet de la falaise?

– Oui! oui! répondit Amasia! Ce sont eux! C’est lui, lui!

– Il ne peut vous voir!…

– Qu’importe! Je sens qu’il me regarde!

– N’en doutez pas, chère maîtresse! répondit Nedjeb. Ses yeux auront bien su découvrir la villa au milieu des arbres, au fond de la baie, et peut-être nous.

– Au revoir, mon Ahmet! au revoir!» dit une dernière fois la jeune fille, comme si cet adieu eût pu parvenir jusqu’à son fiancé.

Amasia et Nedjeb, lorsque la chaise de poste eut disparu au tournant de la route, sur l’extrême pente de la falaise, quittèrent la galerie et regagnèrent l’intérieur de l’habitation.

Du pont de la tartane, Yarhud les vit se retirer, et il donna l’ordre aux hommes de quart de guetter leur retour, si elles revenaient, lorsque la nuit commencerait à tomber. Alors, il agirait par la force, puisque la ruse n’avait pu lui réussir.

Sans doute, depuis le départ d’Ahmet, avec cette heureuse circonstance que le mariage ne se ferait pas avant six semaines, l’enlèvement de la jeune fille ne demandait plus à être accompli aussi hâtivement. Mais il fallait compter avec les impatiences du seigneur Saffar, dont la rentrée à Trébizonde était peut-être prochaine. Or, étant données les incertitudes d’une navigation sur la mer Noire, un bâtiment à voile peut éprouver des retards de quinze à vingt jours. Il importait donc de partir le plus tôt possible, si Yarhud voulait arriver à l’époque fixée dans son entretien avec l’intendant Scarpante. Sans doute, Yarhud était un coquin, mais c’était un coquin qui tenait à faire honneur à ses engagements. De là, son projet d’opérer sans perdre un seul instant.

Les circonstances ne devaient que trop le servir. En effet, vers le soir, avant même que son père fût revenu de la maison de banque, Amasia rentra dans la galerie. Elle était seule, cette fois. Sans attendre que la nuit fût complète, la jeune fille voulait revoir encore une fois ce lointain panorama de falaises qui fermait l’horizon dans le nord. C’était par là que s’en allait tout son cœur. Elle reprit donc cette place, à laquelle elle reviendrait souvent, sans doute, elle s’accouda sur la balustrade, et demeura pensive, ayant dans les yeux un de ces regards qui vont au delà du possible, et qu’aucune distance ne peut arrêter.

Mais aussi, perdue dans ses réflexions, Amasia n’aperçut pas une embarcation qui se détachait de la Guïdare, déjà à peine visible dans l’ombre. Elle ne la vit pas s’approcher sans bruit, longer en les contournant les degrés de la terrasse, et s’arrêter aux premières marches que baignaient les eaux de la baie.

Cependant, Yarhud, suivi de trois matelots, s’était glissé en rampant sur les gradins.

La jeune fille, absorbée dans sa rêveuse pensée, ne l’avait pas aperçu.

Soudain, Yarhud, bondissant sur elle, la saisit avec tant de force et d’à-propos qu’elle fut dans l’impossibilité de lui résister.

«A moi! à moi!» put cependant crier la malheureuse enfant.

Ses cris furent aussitôt étouffés; mais ils avaient été entendus de Nedjeb, qui venait chercher sa maîtresse.

A peine la jeune Zingare eut-elle franchi la porte de la galerie, que deux des matelots, se jetant sur elle, comprimaient aussitôt ses mouvements et ses cris.

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«A bord!» dit Yarhud.

Les deux jeunes filles, irrésistiblement emportées, furent déposées dans l’embarcation, qui déborda pour rallier la tartane.

La Guïdare, son ancre à pic, ses voiles hautes, n’avait plus qu’à déraper pour appareiller.

C’est ce qui fut fait, dès qu’Amasia et Nedjeb eurent été enfermées à bord, dans une cabine de l’arrière, ne pouvant plus rien voir, ne pouvant plus se faire entendre.

Cependant, la tartane, ayant pris le vent, s’inclinait sous ses grandes antennes, de manière à sortir de la petite anse qui bordait les murs de la villa.

Mais, si rapidement qu’eut été fait ce coup de force, il avait éveillé l’attention de quelques serviteurs, occupés dans les jardins.

L’un d’eux avait entendu le cri poussé par Amasia: il donna aussitôt l’alarme.

A ce moment, le banquier Sélim rentrait à son habitation. Il fut mis au courant de ce qui venait de se passer. Dans une angoisse dont il ne pouvait sa rendre compte, il chercha sa fille… Sa fille avait disparu.

Mais, en voyant la tartane évoluer pour doubler l’extrémité sud de la petite anse, Sélim comprit tout. Il courut, à travers les jardins, vers une pointe que devait raser d’assez près la Guïdare, afin d’éviter les dernières roches du littoral.

«Misérables! criait-il. On enlève ma fille! ma fille! Amasia! Arrêtez-les!… arrêtez!…»

Un coup de feu, parti du pont de la Guïdare, fut l’unique réponse à son appel.

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Sélim tomba frappé d’une balle à l’épaule.

Un instant après, la tartane, toutes voiles dessus, enlevée par la fraîche brise du soir, avait disparu au large de l’habitation.

 

 

Chapitre XII

Dans lequel Van Mitten raconte une histoire de tulipes,
 qui intéressera peut-être le lecteur.

 

a chaise de poste, attelée de chevaux frais, avait quitté Odessa vers une heure de l’après-midi. Le seigneur Kéraban occupait le coin de gauche du coupé, Van Mitten, le coin de droite, Ahmet, la place du milieu. Bruno et Nizib étaient remontés dans le cabriolet, où le temps se passait pour eux moins à causer qu’à dormir.

Un soleil assez vif égayait la campagne, et les eaux de la mer se détachaient en bleu sombre sur les falaises grisâtres du littoral.

Dans le coupé, on commença par être tout aussi silencieux que dans le cabriolet, à cela près que, si l’on sommeillait en haut, on réfléchissait en bas.

Le seigneur Kéraban s’enfonçait avec délices dans ses rêves d’entêtement, et ne songeait qu’au «bon tour» qu’il prétendait jouer aux autorités ottomanes.

Van Mitten pensait à ce voyage imprévu, et ne cessait de se demander pourquoi lui, citoyen des provinces bataves, il était lancé sur les routes littorales de la mer Noire, lorsqu’il pouvait tranquillement rester dans le faubourg de Péra, à Constantinople.

Ahmet, lui, avait franchement pris son parti de ce départ. Mais il était bien décidé à ne point épargner la bourse de son oncle, dans tous les cas où un retard devrait être évité ou un obstacle franchi à prix d’argent. On irait par le plus court, mais aussi par le plus vite.

Le jeune homme ruminait tout cela dans sa tête, quand, au tournant du petit cap, il aperçut au fond de la baie la villa du banquier Sélim. Ses yeux se fixèrent sur ce point, sans doute au moment où les yeux d’Amasia se portaient vers lui, et il est probable que leurs regards se croisèrent sans avoir pu s’atteindre.

Puis, s’adressant à son oncle, Ahmet, résolu à toucher une question des plus délicates, lui demanda s’il avait arrêté minutieusement tous les détails de l’itinéraire.

«Oui, mon neveu, répondit Kéraban. Nous suivrons, sans jamais l’abandonner, la route qui contourne le littoral.

– Et nous nous dirigeons, en ce moment?…

– Sur Koblewo, à une douzaine de lieues d’Odessa, et je compte bien y arriver ce soir.

– Et une fois à Koblewo? demanda Ahmet…

– Nous voyagerons toute la nuit, mon neveu, afin d’arriver à Nikolaief demain, vers midi, après avoir franchi les dix-huit lieues qui séparent cette ville de la bourgade.

– Très bien, oncle Kéraban, il s’agit d’aller vite, en effet!… Mais, arrivé à Nikolaief, ne songerez-vous pas à atteindre, en quelques jours seulement, les districts du Caucase?

– Et comment?

– En usant des chemins de fer de la Russie méridionale, qui, par Alexandroff et Rostow, nous permettront d’accomplir ainsi un bon tiers de notre voyage.

– Les chemins de fer?» s’écria Kéraban.

En ce moment, Van Mitten poussa légèrement le coude de son jeune compagnon:

«Inutile! lui dit-il à mi-voix… Discussion inutile!… Horreur des chemins de fer!»

Ahmet n’était pas sans savoir quelles étaient les idées de son oncle sur ces moyens de locomotion trop modernes pour un fidèle du vieux parti turc; mais enfin, en ces conjonctures, il lui semblait que le seigneur Kéraban pourrait bien, pour une fois, se départir de ses déplorables préventions.

Céder, même un instant, sur un point quelconque!… Kéraban n’eût plus été Kéraban.

«Tu parles de chemin de fer, je crois?… dit-il.

– Sans doute, mon oncle.

– Tu veux que moi, Kéraban, je consente à faire ce que je n’ai jamais fait encore?

– Il me semble que…

– Tu veux que moi, Kéraban, je me fasse stupidement traîner par une machine à vapeur?

– Quand vous aurez essayé…

– Ahmet, il est évident que tu ne réfléchis pas à ce que tu as l’audace de me proposer!

– Mais, mon oncle!…

– Je dis que tu ne réfléchis pas, puisque tu te permets de formuler cette proposition!

– Je vous assure, mon oncle, que dans ces wagons…

– Wagons?… dit Kéraban, en répétant ce mot d’importation étrangère avec un intonation difficile à rendre.

– Oui… ces wagons, qui glissent sur des rails…

– Rails?… fit Kéraban. Quels sont ces horribles mots, et quelle langue parlons-nous, s’il te plait?

– Mais la langue des voyageurs modernes!

– Dis donc, mon neveu, répondit l’entêté personnage, en s’animant, est-ce que j’ai l’air d’un voyageur moderne, qui consente jamais à monter en wagon et à se faire tirer par une mécanique? Est-ce que j’ai besoin de glisser sur des rails, quand je puis rouler sur une route?

– Lorsqu’on est pressé, mon oncle…

– Ahmet, regarde-moi bien en face et retiens ceci: il n’y aurait plus de voitures, que j’irais en charrette; plus de charrettes, que j’irais à cheval; plus de cheval, que j’irais à âne; plus d’âne, que j’irais à pied; plus de pieds, que j’irais à genoux; plus de genoux, que j’irais…

– Ami Kéraban, arrêtez-vous, de grâce! s’écria Van Mitten.

–…Que j’irais sur le ventre! répliqua le seigneur Kéraban. Oui!… sur le ventre!»

Et saisissant le bras d’Ahmet:

«Est-ce que tu as jamais entendu dire que Mahomet ait pris le chemin de fer pour aller à la Mecque?»

A ce dernier argument, il n’y avait évidemment rien à répondre. Aussi, Ahmet, qui aurait pu répliquer que, s’il y avait eu des chemins de fer de son temps, Mahomet les eût pris, sans doute, se tut-il, pendant que le seigneur Kéraban continuait à grommeler dans son coin, en dénaturant à plaisir tous les mots de l’argot railwayen.

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Cependant, si la chaise ne pouvait prétendre à lutter de rapidité avec un express, elle marchait bien. Son attelage, sur une route assez bonne, l’enlevait au petit galop, et il n’y avait pas à se plaindre. Les chevaux ne manquaient point aux relais. Ahmet, qui s’était chargé du règlement de toutes les dépenses, – son oncle y avait volontiers consenti, – payait des surtaxes et soldait les «bakhchichs» ou pourboires des postillons avec une générosité impériale. Les billets s’envolaient de sa poche. On eût dit d’un cavalier semant des roubles sur les chemins d’un «rallie-paper»!

Tant et si bien que, le jour même, la chaise, en longeant le littoral, passa par les bourgades de Schumirka, d’Alexandrowka, et, le soir, arriva à la bourgade de Koblewo.

De là, pendant la nuit, remontant dans l’intérieur de la province, de manière à franchir le Bug, à la hauteur de Nikolaief, à travers le gouvernement de Kherson, les voyageurs atteignirent facilement cette ville, vers le midi du 28 août.

Trois heures de halte retinrent la chaise devant un hôtel passable, qui fournit un déjeûner de même qualité, dont Bruno prit sa bonne part. Ahmet profita de ce répit pour écrire au banquier Sélim que le voyage se faisait dans des conditions acceptables, en ajoutant de bien douces choses pour Amasia. Le seigneur Kéraban, lui, ne crut pas pouvoir mieux passer ces heures d’attente qu’en prolongeant le dessert entre les suaves absorptions du moka et les odorantes aspirations de son narghilé.

Quant à Van Mitten, d’accord avec Bruno sur ce point qu’il valait autant que ce singulier voyage servit à leur instruction, il alla visiter cette ville de Nikolaief, dont la prospérité s’accroît visiblement aux dépens de sa rivale Kherson et menace même de substituer son nom au sien dans l’appellation géographique du gouvernement.

Ahmet fut le premier à donner le signal du départ. Le Hollandais n’eut garde de le faire attendre.

Le seigneur Kéraban lança la dernière bouffée de son narghilé, au moment où le postillon se mettait en selle, et la chaise prit la route qui descend vers Kherson.

Il y avait dix-sept lieues à faire à travers un pays peu fertile. Ça et là, des mûriers, des peupliers, des saules. Aux approches du Dnieper, dont le cours de près de quatre cents lieues se termine à Kherson, s’étendent de longues plaines de roseaux, qui semblaient tachetées de bleuets; mais ces bleuets s’envolaient à tire d’ailes au bruit de la chaise: c’étaient des geais azurés, et leurs piaulements causaient plus de déplaisir aux oreilles que leurs chatoyantes couleurs ne causaient de plaisir aux yeux.

Le 29 août, dès l’aube, le seigneur Kéraban et ses compagnons, après une nuit sans incidents, arrivaient à Kherson, chef-lieu du gouvernement, dont la fondation est due à Potemkin. Les voyageurs ne purent que se féliciter de cette création de l’impérieux favori de Catherine II. Là, en effet, se trouvaient un bon hôtel, dans lequel ils firent halte pendant quelques heures, et des magasins suffisamment approvisionnés pour refaire les réserves comestibles de la chaise, – tâche dont Bruno, infiniment plus débrouillard que Nizib, s’acquitta à merveille.

Quelques heures plus tard, ils relayaient à l’importante bourgade d’Aleschki et se dirigeaient en redescendant vers l’isthme de Pérékop, qui rattache la Crimée au littoral de la Russie méridionale.

Ahmet n’avait point négligé d’adresser à Odessa une lettre datée de la bourgade d’Aleschki. Quand ils eurent repris place dans la chaise, lorsque l’attelage fut lancé à fond de train sur la route de Pérékop, le seigneur Kéraban demanda à son neveu s’il avait eu l’attention d’envoyer ses meilleurs «allahs», en même temps que les siens, à son ami Sélim.

«Oui, sans doute, je ne l’ai point oublié, mon oncle, répondit Ahmet, et j’ai même ajouté que nous faisions toute diligence pour atteindre Scutari le plus tôt possible.

– Tu as bien fait, mon neveu, et il ne faudra pas négliger de donner de nos nouvelles, toutes les fois que nous aurons un bureau de poste à notre disposition.

– Malheureusement, comme nous ne savons jamais d’avance où nous nous arrêterons, fit observer Ahmet, nos lettres resteront toujours sans réponse!

– En effet, ajouta Van Mitten.

– Mais, à ce propos, dit Kéraban, en s’adressant à son ami de Rotterdam, il me semble que vous n’êtes pas très empressé de correspondre avec madame Van Mitten? Que pensera cette excellente femme de votre négligence à son égard?

– Madame Van Mitten?… répondit le Hollandais.

– Oui!

– Madame Van Mitten est, à coup sûr, une fort honnête dame! Comme femme, je n’ai jamais eu un seul reproche à lui adresser, mais, comme compagne de ma vie… Au fait, ami Kéraban, pourquoi parlons-nous de madame Van Mitten?

– Eh! parce que, autant qu’il m’en souvient, c’était une très aimable personne!

– Ah?… fit Van Mitten, comme si on lui eût appris une chose toute nouvelle pour lui.

– Ne t’en ai-je pas parlé dans les meilleurs termes, neveu Ahmet, lorsque je suis revenu de Rotterdam?

– En effet, mon oncle.

– Et pendant mon voyage, n’ai-je pas été particulièrement charmé de l’accueil qu’elle me fit?

– Ah?… répéta Van Mitten.

– Cependant, reprit Kéraban, elle avait bien parfois, j’en conviens, quelques idées singulières, des caprices… des vapeurs!… Mais cela est inhérent au caractère des femmes, et, si l’on ne peut leur passer cela, mieux vaut n’en jamais prendre! C’est précisément ce que j’ai fait.

– Et vous avez fait sagement, répondit Van Mitten.

– Elle aime toujours passionnément les tulipes, en vraie Hollandaise qu’elle est? demanda Kéraban.

– Passionnément.

– Voyons, Van Mitten, parlons avec franchise! Je vous trouve froid pour votre femme!

– Froid serait une expression encore trop chaude pour ce que j’éprouve à son égard!

– Vous dites?… s’écria Kéraban.

– Je dis, répondit le Hollandais, que je ne vous aurais peut-être jamais parlé de madame Van Mitten; mais, puisque vous m’en parlez, et puisque l’occasion s’en présente, je vais vous faire un aveu.

– Un aveu?

– Oui, ami Kéraban! Madame Van Mitten et moi, nous sommes présentement séparés!

– Séparés, s’écria Kéraban… d’un commun accord?…

– D’un commun accord!

– Et pour toujours?…

– Pour toujours!

– Contez-moi donc cela, à moins que l’émotion…

– L’émotion? répondit le Hollandais. Et pourquoi voulez-vous que je ressente de l’émotion?

– Alors, parlez, parlez, Van Mitten! reprit Kéraban. En ma qualité de Turc, j’aime les histoires, et en ma qualité de célibataire, j’adore surtout les histoires de ménage!

– Eh bien, ami Kéraban, reprit le Hollandais, du ton dont il eût conté les aventures d’un autre, depuis quelques années, la vie était devenue intolérable entre madame Van Mitten et moi. Discussions incessantes sur toutes choses, sur l’heure de se lever, sur l’heure de se coucher, sur l’heure des repas, sur ce qu’on mangerait, sur ce qu’on ne mangerait pas, sur ce qu’on boirait, sur ce qu’on ne boirait pas, sur le temps qu’il faisait, sur le temps qu’il allait faire, sur le temps qu’il avait fait, sur les meubles que l’on placerait ici ou que l’on placerait là, sur le feu qu’il fallait allumer dans une chambre plutôt que dans l’autre, sur la fenêtre qu’il convenait d’ouvrir, sur la porte qu’il convenait de fermer, sur les plantes que l’on planterait dans le jardin, sur celles qu’on arracherait, enfin…

– Enfin, ça allait bien! dit Kéraban.

– Comme vous voyez, mais ça allait surtout en empirant, parce qu’au fond, je suis d’un caractère doux, d’un tempérament docile, et que je cédais sur tout pour n’avoir de querelle sur rien!

– C’était peut-être le plus sage! dit Ahmet.

– C’était, au contraire, le moins sage! répondit Kéraban, prêt à soutenir une discussion sur ce sujet.

– Je n’en sais rien, reprit Van Mitten; mais, quoi qu’il en soit, dans notre dernière dispute, j’ai voulu résister… J’ai résisté, oui, comme un véritable Kéraban!

– Par Allah! cela n’est pas possible! s’écria l’oncle d’Ahmet, qui se connaissait bien.

– Plus qu’un Kéraban, ajouta Van Mitten!

– Mahomet me protège! répondit Kéraban. Mais prétendre que vous êtes plus entêté que moi!…

– C’est évidemment improbable! répondit Ahmet, avec un accent de conviction qui alla jusqu’au cœur de son oncle.

– Vous allez voir, reprit tranquillement Van Mitten, et…

– Nous ne verrons rien! s’écria Kéraban.

– Veuillez m’entendre jusqu’au bout. C’était à propos de tulipes, cette discussion qui s’éleva entre madame Van Mitten et moi, de ces belles tulipes d’amateurs, de ces Genners, qui montent droit sur leur tige, et dont il y a plus de cent variétés. Je n’en avais pas qui me coûtassent moins de mille florins l’oignon!

– Huit mille piastres, dit Kéraban, habitué à tout chiffrer en monnaie turque.

– Oui, huit mille piastres environ! répondit le Hollandais. Or, ne voilà-t-il pas que madame Van Mitten s’avise, un jour, de faire arracher une Valentia pour la remplacer par un Œil de Soleil! Cela passait les bornes! Je m’y oppose… Elle s’entête!… Je veux la saisir… Elle m’échappe!… Elle se précipite sur la Valentia… Elle l’arrache…

– Coût: huit mille piastres! dit Kéraban.

– Alors, reprit Van Mitten, je me jette à mon tour sur son Œil de Soleil, que j’écrase!

– Coût: seize mille piastres! dit Kéraban.

– Elle tombe sur une seconde Valentia… dit Van Mitten.

– Coût: vingt-quatre mille piastres! répondit Kéraban, comme s’il eût passé les écritures de son livre de caisse.

– Je lui réponds par un second Œil de Soleil!…

– Coût: trente-deux mille piastres.

– Et alors la bataille s’engage, reprit Van Mitten. Madame Van Mitten ne se possédait plus. Je reçois deux magnifiques «caïeux» du plus grand prix par la tête…

– Coût: quarante-huit mille piastres!

– Elle en reçoit trois autres en pleine poitrine!…

– Coût: soixante-douze mille piastres!

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– C’était une véritable pluie d’oignons de tulipes, comme on n’en a peut-être jamais vu! Cela a duré une demi-heure! Tout le jardin y a passé, puis la serre après le jardin!… Il ne restait plus rien de ma collection!

– Et, finalement, ça vous a coûté?… demanda Kéraban.

– Plus cher que si nous ne nous étions jetés que des injures à la tête, comme les économes héros d’Homère, soit environ vingt-cinq mille florins.

– Deux cent mille piastres!1 dit Kéraban.

– Mais je m’étais montré!

– Ça valait bien cela!

– Et là-dessus, reprit Van Mitten, je suis parti, après avoir donné des ordres pour réaliser ma part de fortune et la verser à la banque de Constantinople. Puis, j’ai fui Rotterdam avec mon fidèle Bruno, bien décidé à ne rentrer dans ma maison que lorsque madame Van Mitten l’aura quittée… pour un monde meilleur…

– Où il ne pousse pas de tulipes! dit Ahmet.

– Eh bien, ami Kéraban, reprit Van Mitten, avez-vous eu beaucoup d’entêtements qui vous aient coûté deux cent mille piastres?

– Moi? répondit Kéraban, légèrement piqué par cette observation de son ami.

– Mais certainement, dit Ahmet, mon oncle en a eu, et, pour ma part, j’en connais au moins un!

– Et lequel, s’il vous plaît? demanda le Hollandais.

– Mais cet entêtement qui le pousse, pour ne pas payer dix paras, à faire le tour de la mer Noire! Ça lui coûtera plus cher que votre averse de tulipes!

– Ça coûtera ce que ça coûtera! riposta le seigneur Kéraban, d’un ton sec. Mais je trouve que l’ami Van Mitten n’a pas payé sa liberté d’un trop haut prix! Voilà ce que c’est de n’avoir affaire qu’à une seule femme! Mahomet connaissait bien ce sexe enchanteur, quand il permettait à ses adeptes d’en prendre autant qu’ils le pouvaient!

– Certes! répondit Van Mitten. Je pense que dix femmes sont moins difficiles à gouverner qu’une seule!

– Et ce qui est moins difficile encore, ajouta Kéraban en manière de moralité, c’est pas de femme du tout!»

Sur cette observation, la conversation fut close.

La chaise arrivait alors à une maison de poste. On relaya, on courut toute la nuit. Le lendemain, à midi, les voyageurs, assez fatigués, mais sur les instances d’Ahmet, décidés à ne pas perdre une heure, après avoir passé par Bolschoi-Kopani et Kalantschak, arrivaient à la bourgade de Pérékop, au fond du golfe de ce nom, à l’amorce même de l’isthme qui rattache la Crimée à la Russie méridionale.

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