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Jules Verne

 

Maître du monde

 

(Chapitre XI-XIV)

 

 

Illustrations George Roux

Collection Hetzel

 

 

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© Andrzej Zydorczak

 

 

 

Chapitre XI

En campagne.

 

insi, l’introuvable capitaine venait de réapparaître en un point du territoire des États-Unis. Il n’avait été se montrer ni sur les routes ni sur les mers de l’Europe. Tout cet Atlantique qu’il eût mis moins de quatre jours à traverser, il ne l’avait pas franchi… Était-ce donc la seule Amérique dont il faisait le théâtre de ses expériences, et devait-on en conclure qu’il fût américain?

Qu’on ne s’étonne pas si j’insiste sur ce point que le submersible aurait pu franchir la vaste mer qui sépare le Nouveau de l’Ancien Continent. Sans parler de sa vitesse qui lui assurait un voyage de courte durée comparé à la marche des plus rapides paquebots de l’Angleterre, de la France ou de l’Allemagne, il n’avait, en somme, rien à craindre des mauvais temps qui désolent ces parages. La houle n’existait pas pour lui. Il lui suffisait d’abandonner la surface des eaux pour trouver le calme absolu à quelque vingtaine de pieds au-dessous.

Mais enfin, il ne l’avait pas tenté, ce voyage à travers l’Atlantique, et, s’il venait à être capturé, ce serait dans l’Ohio probablement, puisque Toledo est une des villes de cet État.

Du reste, le secret avait été bien gardé entre l’Hôtel de la police et l’agent de qui était venue la nouvelle, et avec lequel j’allais être en relation. Aucun journal – et il l’eût payée cher, – n’en avait eu la primeur. Il importait qu’elle ne fût point dévoilée avant que cette campagne eût pris fin. Nulle indiscrétion ne serait commise ni par mes compagnons ni par moi.

L’agent auquel j’étais adressé, avec un mandat de M. Ward, se nommait Arthur Wells et m’attendait à Toledo.

On le sait, nos préparatifs de départ étaient faits depuis quelque temps déjà. Trois valises peu encombrantes, – pour tout bagage, en prévision de ce que notre absence risquait de se prolonger. John Hart, Nab Walker s’étaient munis de revolvers de poche. Je fis comme eux. Qui sait si nous n’aurions pas à attaquer ou même à nous défendre?…

La ville de Toledo est bâtie à l’extrême pointe du lac Érié dont les eaux baignent les côtes septentrionales de l’Ohio. Le rapide, où trois places nous avaient été réservées, traversa pendant la nuit la Virginie orientale et l’Ohio. Nous n’eûmes à subir aucun retard et, dès huit heures du matin, la locomotive s’arrêtait en gare de Toledo.

Sur le quai attendait Arthur Wells. Prévenu de l’arrivée de l’inspecteur principal Strock, il avait, ainsi qu’il me l’apprit, grande hâte de s’être mis en rapport avec moi, et je lui rendais bien la pareille.

À peine avais-je mis pied à terre que je devinai mon homme, occupé à dévisager les voyageurs. J’allai à lui.

«Monsieur Wells?… dis-je.

– Monsieur Strock?… me répondit-il.

– Moi-même.

– À votre disposition… ajouta M. Wells.

– Devons-nous rester quelques heures à Toledo? demandai-je.

– Non, avec votre permission, monsieur Strock… Un break, attelé de deux bons chevaux, est dans la cour de la gare, et il faut partir à l’instant, afin d’être sur place avant le soir…

– Nous vous accompagnons, répondis-je, en faisant signe à mes deux agents de nous suivre. Allons-nous loin?…

– Une vingtaine de milles…

– Et l’endroit se nomme?…

– La crique de Black-Rock.»

Cependant, bien que nous dussions gagner au plus vite cette crique, il parut bon de choisir un hôtel où seraient déposées nos valises. Ce choix fut facile, grâce à M. Arthur Wells, dans une ville qui compte cent trente mille habitants.

La voiture nous conduisit à White-Hotel, et, après un rapide déjeuner, dès dix heures, nous étions en route.

Le break contenait quatre places, plus celle du coachman. Les provisions, renfermées dans ses coffres, devaient nous suffire plusieurs jours au besoin. La crique de Black-Rock, absolument déserte, que ne fréquentaient ni les campagnards des environs ni les pêcheurs, n’eût fourni aucune ressource. Pas une auberge pour y manger, pas une chambre pour y coucher. Nous étions en pleine saison chaude, dans ce mois de juillet où le soleil ne ménage pas ses ardeurs. Donc, rien à craindre de la température, s’il fallait passer une ou deux nuits à la belle étoile.

Très probablement, d’ailleurs, si notre tentative devait réussir, ce serait l’affaire de quelques heures. Ou le capitaine de l’Épouvante serait surpris avant d’avoir pu s’échapper, ou il prendrait la fuite, et il faudrait renoncer à tout espoir de l’arrêter.

Arthur Wells, âgé d’une quarantaine d’années, était un des meilleurs agents de la police fédérale. Vigoureux, hardi, entreprenant, plein de sang-froid, il avait fait ses preuves en mainte occasion, parfois au péril de sa vie. Il inspirait confiance à ses chefs, qui en faisaient grand cas. C’était pour une tout autre affaire qu’il se trouvait en mission à Toledo, lorsque le hasard venait le mettre sur la piste de l’Épouvante.

Sous le fouet du coachman le break roulait rapidement, le long du littoral de l’Érié, et se dirigeait vers sa pointe sud-ouest. Cette vaste plaine liquide est située entre le territoire canadien, au nord, et les États de l’Ohio, de la Pennsylvanie et de New York. Si j’indique la disposition géographique de ce lac, sa profondeur, son étendue, les cours d’eau qui l’alimentent, les canaux par lesquels s’épanche son trop plein, ce n’est point inutile pour le récit qui va suivre.

La superficie de l’Érié n’est pas inférieure à vingt-quatre mille sept cent soixante-huit kilomètres carrés. Son altitude le place à près de six cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Il est en communication par le nord-ouest avec le lac Huron, le lac Saint-Clair et la rivière Detroit, qui lui envoient leurs eaux, et il reçoit des affluents de moindre importance, tels le Rocky, le Guyahoga, le Black. Quant à son déversement, il s’effectue au nord-est dans le lac Ontario, entre les rives du Niagara aux célèbres chutes.

La plus grande profondeur que la sonde ait déterminée dans l’Érié se chiffre par cent trente-cinq pieds. On voit combien est considérable la masse de ses eaux. En somme, c’est ici, et par excellence, la région de ces magnifiques lacs qui se succèdent entre le territoire canadien et les États-Unis d’Amérique.

Dans cette région, bien que située sous le quarantième degré de latitude, le climat est très froid l’hiver, et les courants des régions arctiques, que nul obstacle n’arrête, s’y précipitent avec une extrême violence. On ne s’étonnera donc pas que l’Érié soit entièrement gelé à sa surface pendant la période du mois de novembre au mois d’avril de chaque année1.

Quant aux principales villes que possèdent les rives de ce grand lac, les voici: Buffalo, qui appartient à l’État de New York, et Toledo, l’une à l’est, l’autre à l’ouest; Cleveland et Sandusky, qui appartiennent à l’État de l’Ohio, au sud. En outre, des bourgades moins importantes, de simples villages sont établis sur le littoral. Aussi l’activité commerciale de l’Érié est-elle considérable, et le trafic annuel n’est pas évalué à moins de deux millions deux cent mille dollars2.

Le break suivait une route assez sinueuse qui se raccordait aux multiples indentations de la rive.

Tandis que le coachman poussait son attelage au grand trot, je m’entretenais avec Arthur Wells, et c’est ainsi que je fus mis au courant de ce qui avait motivé la dépêche adressée par lui à l’hôtel de la police de Washington.

Quarante-huit heures avant, l’après-midi du 27 juillet, Wells se dirigeait à cheval vers la petite bourgade de Hearly, et, à cinq milles de là, traversait un petit bois, lorsqu’il aperçut un sous-marin qui remontait à la surface du lac. Il s’arrêta, il mit pied à terre, et, à l’abri d’un fourré, il avait vu, de ses yeux vu, ce sous-marin s’arrêter au fond de la crique de Black-Rock. Était-ce l’insaisissable appareil qui venait d’émerger, puis d’accoster, – celui des parages de Boston, celui du lac Kirdall?…

Lorsque ce submersible fut au bas des roches, deux hommes sautèrent sur la grève. L’un d’eux était-il ce Maître du Monde, dont on n’entendait plus parler depuis sa dernière apparition sur le lac Supérieur?… Était-ce cette mystérieuse Épouvante qui revenait des profondeurs de l’Érié?…

«J’étais seul, dit Wells, seul au fond de cette crique… Si vous aviez été là avec vos agents, monsieur Strock, à quatre contre deux, nous aurions pu tenter le coup, appréhender ces hommes avant qu’ils pussent se rembarquer et prendre la fuite…

– Assurément, répondis-je. Mais n’y en avait-il pas d’autres à bord?… N’importe, si on avait tenu ceux-là, peut-être aurions-nous appris qui ils étaient…

– Et surtout, ajouta Wells, si l’un d’eux était le capitaine de l’Épouvante…

– Je n’ai qu’une crainte, Wells, c’est que ce submersible, quel qu’il soit, ait quitté la crique depuis votre départ…

– Nous le saurons dans quelques heures, et fasse le Ciel que nous l’y retrouvions!… Alors, à la tombée de la nuit…

– Mais, demandai-je, vous n’êtes pas resté jusqu’au soir dans le petit bois?…

– Non… je suis parti vers cinq heures, et, le soir, j’arrivais à Toledo, d’où j’ai passé une dépêche à Washington…

– Hier, êtes-vous retourné à la crique de Black-Rock?…

– Oui.

– Le sous-marin y était encore?…

– À la même place.

– Et les deux hommes?…

– Les deux hommes aussi… À mon avis, quelque avarie à réparer les aura amenés dans cet endroit désert…

– C’est probable, dis-je, une avarie qui les empêchait de regagner leur retraite habituelle… Puisse-t-il en en être ainsi!…

– J’ai lieu de le croire, car une partie du matériel avait été déposée sur la grève, et, autant que j’ai pu le constater sans donner l’éveil, il m’a semblé qu’on travaillait à bord…

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– Ces deux hommes seulement?…

– Seulement.

– Et cependant, observai-je, était-ce là un personnel suffisant pour manoeuvrer un appareil de grande vitesse, tantôt automobile, tantôt bateau ou sous-marin?…

– Je ne le pense pas, monsieur Strock… Mais, ce jour-là, je n’ai revu que les deux hommes de la veille… Plusieurs fois, ils vinrent jusqu’au petit bois où je me tenais caché, ils coupaient quelques branches, ils faisaient du feu sur le sable. Cette crique est si déserte qu’ils ne pouvaient y être rencontrés et ils devaient le savoir…

– Vous les reconnaîtriez?…

– Parfaitement… l’un, de moyenne taille, vigoureux, les traits durs, toute sa barbe… l’autre trapu, plus petit… Puis, comme la veille, je suis reparti vers cinq heures. Rentré à Toledo, on m’a remis un télégramme de M. Ward me prévenant de votre arrivée, et je suis allé vous attendre à la gare.»

Voici qui était formel: Depuis trente-six heures, le submersible avait fait relâche à la crique de Black-Rock, en vue de réparations indispensables probablement, et peut-être, par bonne fortune, l’y trouverions-nous encore… Quant à la présence de l’Épouvante sur l’Érié, elle s’expliquait naturellement, Arthur Wells et moi nous dûmes en convenir. La dernière fois que l’appareil avait été vu, c’était à la surface du lac Supérieur. Or, la distance entre ce lac et l’Érié, il avait pu la franchir soit par terre, en suivant les routes du Michigan jusqu’à la rive occidentale du lac, soit par eau, en remontant le cours de Detroit-river, peut-être même entre deux eaux. Toutefois, son passage sur route n’avait point été signalé, bien que la police surveillât cet État avec autant de soin que n’importe quel autre du territoire américain… Restait donc l’hypothèse que l’automobile se fût changée en bateau ou en sous-marin. Dans ces conditions, le capitaine et ses compagnons auraient pu, sans donner l’éveil, atteindre les parages de l’Érié.

Et maintenant, si l’Épouvante avait déjà abandonné la crique, ou si elle nous échappait lorsque nous tenterions de l’arrêter, la partie serait-elle perdue?… Je ne sais. En tout cas, elle serait très compromise.

Je n’ignorais pas que deux destroyers se trouvaient actuellement au port de Buffalo, à l’extrémité de l’Érié. Avant mon départ de Washington, M. Ward m’avait avisé de leur présence. Un télégramme aux commandants de ces destroyers suffirait, si besoin était de les lancer à la poursuite de l’Épouvante. Mais comment la gagner en vitesse, et, lorsqu’elle se changerait en sous-marin, comment l’attaquer à travers les eaux de l’Érié, où elle aurait cherché refuge?… Arthur Wells convenait que, dans cette lutte inégale, l’avantage ne serait pas pour les destroyers. Donc, dès la nuit prochaine, si nous ne réussissions pas, la campagne serait manquée!

Wells m’avait dit que la crique de Black-Rock était peu fréquentée. La route même qui conduit de Toledo à la bourgade de Hearly, quelques milles plus loin, s’en écarte à une certaine distance. Notre break, lorsqu’il arriverait à la hauteur de la crique, ne pouvait être aperçu du littoral. Après avoir atteint la pointe du bois qui la masque, il lui serait facile de s’abriter sous les arbres. De là, mes compagnons et moi, la nuit venue nous viendrions prendre poste sur la lisière du côté de l’Érié, et nous aurions toute facilité d’observer ce qui se ferait au fond de la crique.

D’ailleurs, Wells la connaissait bien, cette crique. Il l’avait plus d’une fois visitée, depuis son séjour à Toledo. Bordée de roches taillées presque à pic que battaient les eaux du lac, la profondeur sur tout son périmètre mesurait une trentaine de pieds. L’Épouvante pouvait donc accoster, soit immergée, soit émergée, le fond de la crique. À deux ou trois endroits, ce littoral, coupé de brèches, se raccordait avec la grève sablonneuse qui s’étendait jusqu’à la lisière du petit bois sur une longueur de deux à trois cents pieds.

Il était sept heures du soir, lorsque notre break, après une halte à mi-chemin, atteignit l’extrémité du bois. Il faisait trop jour encore pour gagner, même à l’abri des arbres, le bord de la crique. C’eût été s’exposer à être vus, et, en admettant que l’appareil fût encore à cette place, il aurait vite fait de prendre le large, à la condition, toutefois, que ses réparations fussent achevées.

«Est-ce ici que nous faisons halte?… demandai-je à Wells, lorsque le break s’arrêta à la lisière du bois…

– Non, monsieur Strock, me répondit-il. Mieux vaut établir notre campement à l’intérieur. Nous sommes certains de ne pas être dépistés…

– La voiture peut-elle circuler sous ces arbres?…

– Elle le peut, déclara Wells. J’ai déjà parcouru ce bois en tout sens. Dans une clairière, à cinq ou six cents pas d’ici, nos chevaux trouveront à pâturer… Dès que l’obscurité le permettra, nous descendrons la grève jusqu’au pied des roches qui encadrent le fond de la crique.»

Il n’y avait qu’à suivre les conseils de Wells. L’attelage, conduit par la bride, mes compagnons et moi à pied, nous franchîmes la lisière.

Les pins maritimes, les chênes verts, les cyprès, irrégulièrement groupés, se pressaient à l’intérieur. Sur le sol s’étendait un épais tapis d’herbes mêlées de feuilles mortes. Telle était l’épaisseur des hautes frondaisons que les derniers rayons du soleil, au moment de disparaître, ne parvenaient point à les pénétrer. De routes, de sentiers même on ne voyait trace. Cependant, non sans quelques heurts, le break eut atteint la clairière en moins de dix minutes.

Cette clairière, entourée de grands arbres, formait une sorte d’ovale, que revêtait une herbe verdoyante. Il y faisait jour encore, et l’ombre ne l’envahirait que dans une heure. Le temps ne manquerait donc pas pour organiser la halte, et nous reposer d’un voyage assez fatigant sur une route passablement cahoteuse.

Assurément, notre désir était impérieux de gagner la crique, de voir si l’Épouvante était toujours là… Mais la prudence nous retint. Un peu de patience, et l’obscurité permettrait d’atteindre la crique, sans risquer d’être aperçus. Ce fut l’avis de Wells, et il me parut bon de m’y conformer.

Les chevaux, dételés et laissés libres sur le pâturage, resteraient sous la garde de leur conducteur pendant notre absence. Les coffres du break ouverts, John Hart et Nab Walker en tirèrent des provisions qui furent déposées sur l’herbe au pied d’un superbe cyprès, lequel me rappelait les essences forestières du district de Morganton et de Pleasant-Garden. Nous avions faim, nous avions soif. Le boire et le manger ne feraient pas défaut. Puis les pipes furent allumées en attendant l’instant de partir.

Silence complet à l’intérieur du bois. Les derniers chants d’oiseaux avaient cessé. Avec le soir, la brise tombait peu à peu, et les feuilles tremblaient à peine aux pointes des plus hautes branches. Le ciel s’assombrit rapidement dès le coucher du soleil et l’obscurité succéda au crépuscule.

Je regardai ma montre. Elle marquait huit heures et demie.

«Il est temps, Wells…

– Quand vous voudrez, monsieur Strock.

– Partons alors.»

Recommandation expresse fut faite au conducteur de ne point laisser ses chevaux s’éloigner du pâturage pendant notre absence.

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Wells prit les devants. Je marchais derrière lui, suivi de John Hart et de Nab Walker. Au milieu des ténèbres, nous aurions eu grand-peine à nous diriger, si Wells n’eût servi de guide.

Enfin, nous sommes sur la lisière du bois. Devant s’étend la grève, jusqu’à la crique de Black-Rock.

Tout est silencieux, tout est désert. On peut se hasarder sans risques. Si l’Épouvante est là, c’est au revers des roches qu’elle a dû prendre son mouillage.

Mais y est-elle encore?… C’est la question, la seule, et, je l’avoue, à l’approche du dénouement de cette passionnante affaire, le coeur me bat dans la poitrine.

Wells fait signe d’avancer… Le sable de la grève crie sous nos pieds… Deux cents pas à faire, quelques minutes suffisent, et nous voici à l’entrée de l’une des passes qui conduisent au bord du lac…

Rien… rien!…

La place où Wells a laissé l’Épouvante, vingt-quatre heures avant, est vide!… Le Maître du Monde n’est plus à la crique de Black-Rock.

 

 

Chapitre XII

La crique de Black-Rock.

 

n sait combien la nature humaine est portée aux illusions. Certes, des chances existaient pour que l’appareil tant recherché ne fût plus à cette place… en admettant que ce fût lui dont Wells avait observé l’émersion dans l’après-midi du 27… Si quelque avarie survenue à son triple système de locomotion l’avait empêché de regagner par terre ou par eau sa retraite et obligé à relâcher au fond de la crique de Black-Rock, que devions-nous penser enfin, ne l’y voyant plus?… C’est que, réparations faites, il s’était remis en route, c’est qu’il avait abandonné ces parages du lac Érié…

Eh bien, ces éventualités, si probables pourtant, nous n’avions pas voulu les admettre à mesure que cette journée s’avançait. Non! nous ne doutions plus ni qu’il s’agissait bien de l’Épouvante, ni qu’elle ne fût mouillée au pied des roches, là où Wells avait pu constater sa présence…

Et alors, quel désappointement, je dirai même quel désespoir! Toute notre campagne réduite à néant! Si l’Épouvante naviguait encore sur ou sous les eaux du lac, la retrouver, la rejoindre, la capturer, c’était hors de notre pouvoir, et – pourquoi s’illusionner à cet égard? – hors de tout pouvoir humain!

Nous restions là anéantis, Wells et moi, tandis que John Hart et Nab Walker, non moins dépités, se portaient sur divers points de la crique.

Et, cependant, nos mesures étaient bien prises, elles avaient toutes chances de succès. Si, au moment de notre arrivée, les deux hommes, signalés par Wells, eussent été sur la grève, nous aurions pu – en rampant – arriver jusqu’à eux, les surprendre, les saisir avant qu’ils ne se fussent embarqués… S’ils avaient été à bord, derrière les roches, nous aurions attendu leur descente à terre, et il eût été facile de leur couper la retraite!… Vraisemblablement, puisque, le premier jour comme le second, Wells n’avait jamais aperçu que ces deux hommes, c’est que l’Épouvante ne comptait pas un personnel plus nombreux!

Voilà ce que nous avions pensé, voilà de quelle façon nous aurions opéré!… Mais, par malheur, l’Épouvante n’était plus là!

Posté à l’extrémité de la passe, je n’échangeais que quelques paroles avec Wells. Et était-il besoin de parler pour se comprendre?… Après le dépit, la colère nous envahissait peu à peu… Avoir manqué notre coup, nous sentir impuissants à continuer comme à recommencer cette campagne!…

Près d’une heure s’écoula… et nous ne songions pas à quitter la place… Nos regards ne cessaient de fouiller ces épaisses ténèbres… Parfois une lueur, due au brasillement des eaux, tremblotait à la surface du lac, puis s’éteignait, et avec elle un espoir promptement déçu!… Parfois aussi, il nous semblait voir une silhouette se dessiner à travers l’ombre, – la masse d’un bateau qui se fût approché… Parfois encore, quelques remous s’arrondissaient, comme si la crique eût été troublée dans ses profondeurs!… Puis ces vagues indices disparaissaient presque aussitôt… Il n’y avait là qu’une illusion des sens, une erreur de notre imagination affolée!

Mais voici que nos compagnons nous rejoignirent, et ma première question fut:

«Rien de nouveau…

– Rien, dit John Hart.

– Vous avez fait le tour de la crique?…

– Oui, répondit Nab Walker, et nous n’avons pas même vu quelque vestige du matériel que M. Wells avait rembarqué!…

– Attendons», dis-je, car je ne pouvais me décider à revenir vers le bois.

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Or, à cet instant, notre attention fut attirée par une certaine agitation des eaux, qui se propageait jusqu’au bas des roches.

«C’est comme un clapotis, observa Wells.

– En effet, répondis-je en baissant instinctivement la voix. D’où provient-il?… La brise est complètement tombée!… Est-ce un trouble qui se produit à la surface du lac?…

– Ou au-dessous?…», ajouta Wells, qui se courbait pour mieux entendre.

En effet, il y avait lieu de se demander si quelque bateau, dont le moteur eût provoqué cette agitation, ne se dirigeait pas vers le fond de la crique.

Silencieux, immobiles, nous essayions de percer cette profonde obscurité, tandis que le ressac s’accentuait contre les roches du littoral.

Cependant John Hart et Nab Walker avaient gravi vers la droite l’arête supérieure. Quant à moi, baissé au ras de l’eau, j’observais l’agitation, qui ne diminuait pas. Au contraire, elle devenait plus sensible, et je commençais à percevoir une sorte de battement régulier, pareil à celui que produit une hélice en mouvement.

«Plus de doute!… déclara Wells en se penchant jusqu’à moi, c’est un bateau qui s’approche…

– Assurément, répondis-je, et à moins qu’il n’y ait des cétacés ou des squales dans l’Érié…

– Non!… un bateau!… répétait Wells. Se dirige-t-il vers le fond de la crique, ou cherche-t-il à accoster plus haut?…

– C’est ici que vous l’aviez vu par deux fois?

– Oui, ici, monsieur Strock.

– Eh bien, si c’est le même – et ce ne peut être que lui, – il n’y a aucune raison pour qu’il ne revienne pas à la même place…

– Là… là!» dit alors Wells en tendant la main vers l’entrée de la crique.

Nos compagnons venaient de nous rejoindre. À demi couchés tous quatre sur le bord de la grève, nous regardions dans la direction indiquée.

On distinguait vaguement une masse noire qui se mouvait au milieu de l’ombre. Elle s’avançait très lentement, et devait être encore à plus d’une encablure au nord-est. C’est à peine si, maintenant, le grondement de son moteur se faisait entendre. Peut-être, après avoir stoppé, le bateau ne marchait-il plus que sur son erre?…

Ainsi donc, comme la veille, l’appareil allait passer la nuit au fond de la crique!… Pourquoi avait-il quitté ce mouillage, auquel il revenait?… Avait-il subi de nouvelles avaries qui l’empêchaient de prendre le large?… Ou s’était-il vu dans la nécessité de partir avant que ses réparations fussent achevées?… Quelle raison le contraignait à regagner cette place? Enfin, existait-il un motif impérieux pour lequel, après s’être transformé en automobile, il n’aurait pu se lancer sur les routes de l’Ohio?…

Toutes ces questions se présentaient à mon esprit, et l’on comprendra qu’il ne me fût pas permis de les résoudre.

D’ailleurs, nous raisonnions toujours, Wells et moi, d’après la conviction que cet engin était bien celui du Maître du Monde, cette Épouvante d’où il avait daté sa lettre de refus aux propositions de l’État.

Et, cependant, cette conviction ne pouvait avoir la valeur d’une certitude, bien qu’elle nous parût telle!…

Enfin, quoi qu’il en fût, le bateau continuait à s’approcher, et, certainement, son capitaine connaissait parfaitement ces passes de Black-Rock, puisqu’il s’y aventurait en pleine obscurité. Pas un fanal à bord, pas une clarté de l’intérieur filtrant à travers les hublots. Par instants, on entendait la machine qui fonctionnait en douceur. Les clapotis du remous s’accentuaient et, avant quelques minutes, il serait «à quai».

Si j’emploie cette expression usitée dans les ports, ce n’est pas sans justesse. En effet, les roches, en cet endroit, formaient plateau, à cinq ou six pieds au-dessus du niveau du lac, emplacement tout indiqué pour un accostage.

«Ne restons pas ici… dit Wells en me saisissant le bras.

– Non, répondis-je, nous risquerions d’être découverts. Il faut se blottir du côté de la grève… se cacher dans quelque anfractuosité et attendre…

– Nous vous suivons.»

Pas une minute à perdre. Peu à peu la masse s’approchait, et, sur le pont faiblement élevé au-dessus de l’eau, se montrait la silhouette de deux hommes.

Est-ce que, décidément, ils n’étaient que deux à bord?…

Wells et moi, John Hart et Nab Walker, après avoir remonté la passe, nous rampions le long des roches. Des cavités s’évidaient çà et là. Je m’enfonçai avec Wells dans l’une, les deux agents dans l’autre.

Si les hommes de l’Épouvante descendaient sur la grève, ils ne pourraient nous voir, mais nous les verrions, et il y aurait lieu d’agir suivant les circonstances.

Au bruit qui se faisait du côté du lac, à diverses paroles échangées en langue anglaise, il était évident que le bateau venait d’accoster. Presque aussitôt, une amarre fut envoyée précisément à l’extrémité de la passe que nous venions de quitter.

En se glissant jusqu’à l’angle, Wells constata que l’amarre était halée par un des marins qui avait sauté à terre, et l’on put entendre le grappin racler le sol.

Quelques minutes après, des pas firent crier le sable de la grève.

Deux hommes, après avoir remonté la passe, se dirigèrent vers la lisière du petit bois, marchant l’un près de l’autre à la clarté d’un fanal.

Qu’allaient-ils faire de ce côté?… Est-ce que cette crique de Black-Rock était un point de relâche pour l’Épouvante?… Est-ce que son capitaine avait là un dépôt de provisions ou de matériel?… Est-ce qu’il venait s’y ravitailler, lorsque les fantaisies de ses aventureux voyages le ramenaient en cette partie du territoire des États-Unis?… Savait-il donc cet endroit si désert, si infréquenté, qu’il ne devait craindre d’y être jamais aperçu?…

«Que faire?… demanda Wells.

– Laisser ces gens revenir, et alors…»

La parole me fut coupée net par la surprise.

Les hommes n’étaient pas à trente pas de nous, lorsque l’un d’eux se retournant, la lumière du fanal qu’il portait tomba en plein sur son visage…

Ce visage, c’était celui d’un des individus qui m’avaient guetté devant ma maison de Long-Street… Je ne pouvais m’y tromper… Je le reconnaissais comme l’aurait reconnu ma vieille servante… C’était lui, c’était bien lui, un des espions dont je n’avais pu retrouver les traces!… À n’en pas douter, la lettre que j’avais reçue venait d’eux, cette lettre dont l’écriture s’identifiait avec celle du Maître du Monde!… comme celle-ci, avait-elle donc été écrite à bord de l’Épouvante!… Il est vrai, les menaces qu’elle renfermait concernaient le Great-Eyry et, une fois de plus, je me demandai quel rapport pouvait exister entre le Great-Eyry et l’Épouvante?…

En quelques mots, j’eus mis Wells au courant. Pour toute réponse, il me dit:

«Tout cela est incompréhensible!…»

Cependant les deux hommes avaient continué leur marche vers le petit bois, et ils ne tardèrent pas à en franchir la lisière.

«Pourvu qu’ils ne découvrent pas notre attelage!… murmura Wells.

– Ce n’est pas à craindre, s’ils ne dépassent pas les premières rangées d’arbres…

– Enfin… s’ils le découvrent?…

– Ils viendront se rembarquer, et il sera temps de leur couper la retraite.»

Du reste, vers le lac, là où était accosté le bateau, on n’entendait aucun bruit. Je quittai la cavité, je suivis la passe et m’arrêtai à l’endroit où le grappin mordait le sable…

L’appareil était là, tranquille au bout de son amarre. Pas de lumière à bord, personne ni sur le pont, ni sur le plateau. L’occasion n’était-elle pas propice?… Sauter à bord, et attendre le retour des deux hommes?…

«Monsieur Strock… monsieur Strock!»

C’était Wells qui me rappelait.

Je revins en toute hâte, et me blottis près de lui.

Peut-être était-il trop tard pour prendre possession du bateau, mais peut-être aussi la tentative eût-elle échoué si d’autres se trouvaient à bord?…

Quoi qu’il en soit, celui qui portait le fanal et son compagnon venaient de reparaître sur la lisière et redescendaient la grève. Assurément, ils n’avaient rien découvert de suspect. Chargés l’un et l’autre d’un ballot, ils suivirent la passe et s’arrêtèrent au pied du plateau.

Aussitôt, la voix de l’un d’eux se fit entendre:

«Eh! capitaine?…

– Voilà!» fut-il répondu.

Wells, penché à mon oreille, me dit:

«Ils sont trois…

– Peut-être quatre…, répondis-je, peut-être cinq ou six!»

La situation ne laissait pas de se compliquer. Contre un équipage trop nombreux qu’aurions-nous pu faire?… Dans tous les cas, la moindre imprudence nous eût coûté cher!… Maintenant que les deux hommes étaient de retour, allaient-ils se rembarquer avec les ballots?… Puis, son amarre larguée, le bateau quitterait-il la crique ou y resterait-il jusqu’au lever du jour?… Mais, s’il se mettait en marche, ne serait-il pas perdu pour nous?… Où le retrouver?… Pour abandonner les eaux du lac Érié, n’avait-il pas les routes des États limitrophes, ou le cours de Detroit-river, qui l’aurait conduit au lac Huron?… Et cette occasion se représenterait-elle jamais qu’il fût de nouveau signalé au fond de la crique de Black-Rock?

«À bord… dis-je à Wells, Hart, Walker, vous et moi, nous sommes quatre… Ils ne s’attendent pas à être attaqués… Ils seront surpris… À Dieu vat! comme disent les marins.»

J’allais appeler mes deux agents, lorsque Wells me saisit le bras.

«Écoutez», dit-il.

En ce moment, un des hommes halait le bateau qui se rapprochait des roches.

Et voici les paroles qui furent échangées entre le capitaine et ses compagnons:

«Tout était en ordre là-bas?…

– Tout, capitaine.

– Il doit rester encore deux ballots?…

– Deux.

– Un seul voyage suffira pour les rapporter l’Épouvante?…»

L’Épouvante!… C’était bien là l’appareil de ce Maître du Monde!…

«Un seul voyage… avait répondu l’un des hommes.

– Bien… Nous repartirons demain au lever du soleil!»

N’étaient-ils donc que trois à bord, trois seulement, le capitaine et ces deux hommes?…

Or, ceux-ci allaient sans doute chercher les derniers ballots dans le bois… Puis, au retour, ils embarqueraient, ils descendraient dans leur poste, ils s’y coucheraient?… Ne serait-ce pas alors le moment de les surprendre avant qu’ils se fussent mis sur la défensive?…

Assurés, pour l’avoir entendu de la bouche même du capitaine, qu’il ne partirait qu’à l’aube, Wells et moi, nous fûmes d’accord pour laisser revenir les hommes, et, lorsqu’ils seraient endormis, nous prendrions possession de l’Épouvante

Maintenant, pourquoi, la veille, le capitaine avait-il quitté son mouillage, sans achever l’embarquement du matériel, ce qui l’avait forcé de regagner la crique, je ne me l’expliquais pas. En tout cas, c’était une heureuse chance et nous saurions en profiter.

Il était alors dix heures et demie. À ce moment, des pas se firent entendre sur le sable. L’homme au fanal reparut avec son compagnon, et tous deux remontèrent vers le bois. Dès qu’ils eurent franchi la lisière, Wells alla prévenir nos agents, tandis que je me glissai jusqu’à l’extrémité de la passe.

L’Épouvante était à bout d’amarre. Autant qu’on en pouvait juger, c’était bien un appareil allongé en forme de fuseau, sans cheminée, sans mâture, sans gréement, semblable à celui qui avait évolué sur les parages de la Nouvelle-Angleterre.

Nous reprîmes place dans les anfractuosités, après avoir vérifié nos revolvers, dont il y aurait peut-être lieu de se servir.

Cinq minutes s’étaient écoulées depuis que les hommes avaient disparu, et, d’un moment à l’autre, on s’attendait à les voir revenir avec les ballots. Après qu’ils seraient embarqués, nous attendrions le moment de sauter à bord, mais pas avant une heure, afin que le capitaine et ses compagnons fussent profondément endormis. Il importait qu’ils n’eussent le temps ni de lancer l’appareil sur les eaux de l’Érié, ni de l’immerger dans ses profondeurs, car nous aurions été entraînés avec lui.

Non! je n’ai jamais ressenti, dans toute ma carrière, pareille impatience!… Il me semblait que les deux hommes retenus dans le bois, quelque circonstance les empêchait d’en sortir…

Soudain un bruit se fit entendre, un piétinement de chevaux échappés, toute une galopade le long de la lisière…

C’est notre attelage qui, pris d’effroi, a quitté la clairière, et le voici qui débouche sur la grève…

Presque aussitôt les hommes paraissent et, cette fois, ils courent à toutes jambes…

Pas de doute, la présence de notre attelage leur a donné l’éveil… Ils se sont dit que des gens de police étaient cachés dans le bois… On les épiait, on les guettait, on allait s’emparer d’eux!… Aussi se précipitent-ils vers la passe, et, après avoir arraché le grappin, ils sauteraient à bord… L’Épouvante disparaîtrait avec la rapidité d’un éclair, et la partie serait définitivement perdue!…

«En avant!» criai-je…

Et nous voici dévalant sur la grève pour couper la retraite à ces hommes…

Dès qu’ils nous voient, ils jettent les ballots et, déchargeant leurs revolvers, ils blessent John Hart, qui est frappé à la jambe.

Nous tirons à notre tour, moins heureusement. Ces hommes ne furent ni atteints, ni arrêtés dans leur course. Arrivés à l’extrémité de la passe, sans prendre le temps de dégager le grappin, ils sont en quelques brassées sur le pont de l’Épouvante…

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Le capitaine, debout à l’avant, le revolver à la main, fait feu, et une balle effleure Wells.

Nab Walker et moi, après avoir saisi l’amarre, nous halions dessus. Mais il suffirait qu’elle soit coupée du bord, pour que le bateau puisse se remettre en marche…

Soudain, le grappin s’arrache du sable, et, une de ses pattes me prenant à la ceinture tandis que Walker est renversé par la secousse, je suis entraîné sans parvenir à me dégager…

À ce moment, l’Épouvante, poussée par son moteur, fait comme un bond, et file de toute sa vitesse à travers la crique de Black-Rock.

 

 

Chapitre XIII

À bord de l’Épouvante.

 

orsque je revins à moi, il faisait jour. Une demi-clarté traversait l’épais hublot de l’étroite cabine, où l’on m’avait déposé… Depuis combien d’heures, je n’aurais pu le dire. Mais il me semblait bien, à l’obliquité de ses rayons, que le soleil ne devait pas être très élevé au-dessus de l’horizon.

Un cadre me servait de lit, une couverture était étendue sur moi. Mes vêtements, pendus dans un coin, avaient été séchés. Ma ceinture, déchirée en partie par la patte du grappin, gisait sur le plancher.

Du reste, je ne me sentais aucune blessure. Un peu de courbature seulement. Si j’avais perdu connaissance, je me rendais bien compte que ce n’était pas par faiblesse. Comme ma tête plongeait parfois dans l’eau, lorsque l’amarre me traînait à la surface du lac, j’aurais été asphyxié, si l’on ne m’eût remonté à temps sur le pont.

Maintenant, étais-je seul avec le capitaine et ses deux hommes à bord de l’Épouvante?…

C’était probable pour ne pas dire certain. Toute la scène me revenait à l’esprit, – Hart, blessé d’une balle, tombant sur la grève, Wells essuyant un coup de revolver, Walker renversé sur le sol, à l’instant où le grappin s’accrochait à ma ceinture… Et, de leur côté, mes compagnons ne devaient-ils pas penser que j’eusse péri dans les eaux de l’Érié?…

En ce moment, dans quelles conditions naviguait l’Épouvante?… Après avoir transformé son bateau en automobile, le capitaine courait-il les routes des États limitrophes du lac?… Si cela était, pour peu que je fusse resté sans connaissance de longues heures, l’appareil, à toute vitesse, ne devait-il pas être déjà loin?… Ou bien, redevenu submersible, poursuivait-il sa route sous les eaux du lac?…

Non, l’Épouvante se mouvait alors sur une vaste surface liquide. La lumière, pénétrant dans ma cabine, indiquait que l’appareil n’était point immergé. D’autre part, je ne ressentais aucun de ces cahots que l’automobile eût éprouvés sur une route. Donc, l’Épouvante n’avait pas pris terre.

Quant à la question de savoir si elle naviguait encore dans le bassin de l’Érié, c’était autre chose. Le capitaine n’avait-il pu remonter le cours de Detroit-river et gagner, soit le lac Huron, soit le lac Supérieur, à travers cette immense région lacustre?… Il me serait difficile de le reconnaître.

Cependant, je me décidai à monter sur le pont. Une fois dehors, j’aviserais. Après m’être tiré du cadre, je pris mes vêtements, je m’habillai, sans trop savoir, d’ailleurs, si je n’étais pas sous verrou dans cette cabine.

J’essayai alors de relever le panneau rabattu au-dessus de ma tête.

Le panneau céda à la poussée, et je me redressai à mi-corps.

Mon premier soin fut de regarder en avant, en arrière, des deux côtés, par-dessus la rambarde de l’Épouvante.

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Partout, la vaste nappe liquide! Pas un rivage en vue! Rien qu’un horizon formé par la ligne du ciel! Que ce fût un lac ou la mer, je ne tardai pas à être fixé sur ce point. Comme nous filions à grande vitesse, l’eau, coupée par l’étrave, rejaillissait jusqu’à l’arrière, et les embruns me fouettaient la figure.

C’était de l’eau douce, et, très probablement, celle de l’Érié.

Or, il ne devait pas s’être écoulé plus de sept à huit heures depuis le moment où l’Épouvante avait quitté la crique de Black-Rock, car le soleil se montrait à mi-chemin du zénith. Cette matinée ne pouvait être que celle du 31 juillet.

Aussi, étant donné la longueur du lac Érié, soit deux cent vingt milles, sa largeur, soit une cinquantaine de milles, je n’avais pas lieu de m’étonner si je n’en apercevais point les rives, ni celles de l’est du côté de l’État de New York, ni celles de l’ouest du côté des territoires canadiens.

À cet instant, deux hommes étaient sur le pont, l’un à l’avant, observant la marche, l’autre à l’arrière, maintenant la barre en direction du nord-est, ainsi que je le jugeai à la position du soleil. Le premier était celui que j’avais reconnu pour un des espions de Long-Street, alors qu’il remontait la grève de Black-Rock.

Le second, c’était celui qui portait le fanal pendant la visite au petit bois.

Je cherchai vainement le troisième qu’ils avaient appelé «capitaine» à leur retour à bord… Je ne le vis pas.

On comprendra le désir que j’éprouvai de me trouver en présence de ce créateur du prodigieux appareil, de ce commandant de l’Épouvante, le fantastique personnage dont s’occupait et se préoccupait le monde entier, l’audacieux inventeur qui ne craignait pas d’entrer en lutte avec l’humanité, et se proclamait Maître du Monde!…

J’allai à l’homme de l’avant et, après une minute de silence, je lui dis:

«Où est le capitaine?…»

Cet homme me regarda, les yeux à demi-fermés. Il ne semblait pas me comprendre, et je savais, pour l’avoir entendu la veille, qu’il parlait l’anglais.

D’ailleurs – une remarque que je fis, – il ne parut point s’inquiéter de me voir hors de la cabine. Et, après m’avoir tourné le dos, il se remit à observer l’horizon.

Je revins alors vers l’arrière, décidé à faire la même question au sujet du capitaine. Dès que je fus en face du timonier, celui-ci m’écarta de la main, et je n’obtins aucune réponse.

Il ne me restait donc plus qu’à attendre l’apparition de celui qui nous avait accueillis à coups de revolver, lorsque, mes compagnons et moi, nous halions sur l’amarre de l’Épouvante.

J’eus le loisir alors d’examiner les dispositions extérieures de l’appareil qui m’emportait… où?…

Le pont et l’accastillage étaient faits d’une sorte de métal dont je ne reconnus pas la nature. Vers le centre, un panneau, demi-soulevé, recouvrait la chambre où les machines fonctionnaient avec une régularité presque silencieuse. Ainsi qu’il a été dit, ni mâture, ni gréement, pas même la hampe d’un pavillon à l’arrière. Vers l’avant se dressait la tête d’un périscope, qui permettait à l’Épouvante de se diriger sous les eaux.

Sur les flancs se rabattaient deux espèces de dérives, semblables à celles de certaines galiotes hollandaises, et dont je ne m’expliquais pas l’usage.

À l’avant s’arrondissait un troisième panneau qui devait recouvrir le poste occupé par les deux hommes lorsque l’Épouvante n’était pas en marche.

À l’arrière, un panneau identique donnait très probablement accès à la cabine du capitaine, lequel ne se montrait pas.

Lorsque ces divers panneaux étaient rajustés sur leur cadre à garniture en caoutchouc, ils s’y appliquaient si hermétiquement, que l’eau ne pouvait pénétrer à l’intérieur pendant les évolutions sous-marines.

Quant au moteur qui imprimait cette prodigieuse vitesse à l’appareil, je n’en pus rien voir, non plus que du propulseur, hélice ou turbine. Tout ce que je constatai, c’est que le bateau ne laissait derrière lui qu’un long sillage plat, dû à l’extrême finesse de ses lignes d’eau, et qui lui donnait toute facilité pour se dérober à la lame, même par mauvais temps.

Enfin, pour n’y plus revenir, l’agent qui mettait cette machine en mouvement n’était ni la vapeur d’eau, ni les vapeurs de pétrole, d’alcool ou autres essences que leur odeur eût trahies, et qui sont le plus généralement employées pour les automobiles ou les sous-marins. Nul doute que cet agent ne fût l’électricité emmagasinée à bord sous une tension extraordinaire.

Alors se posait cette question: D’où provenait-elle, cette électricité, de piles, d’accumulateurs?… Mais comment ces accumulateurs, ces piles étaient-ils chargés?… À quelle source intarissable la puisait-on?… Où fonctionnait l’usine qui la fabriquait?… À moins qu’elle ne fût directement tirée de l’air ambiant ou de l’eau ambiante par des procédés inconnus jusqu’à ce jour?… Et je me demandais si, dans les conditions présentes, je parviendrais à découvrir ces secrets…

Puis je songeais à mes compagnons, restés là-bas sur la grève de Black-Rock. L’un d’eux blessé, les autres, Wells et Nab Walker, aussi peut-être!… En me voyant entraîné au bout de cette amarre, ont-ils pu supposer que j’eusse été recueilli à bord de l’Épouvante?… Non, sans doute!… La nouvelle de ma mort, M. Ward ne devait-il pas l’avoir reçue par un télégramme de Toledo?… Et, maintenant, qui oserait entreprendre une nouvelle campagne contre ce Maître du Monde?…

Ces diverses réflexions s’entremêlaient dans ma tête, en attendant que le capitaine parût sur le pont…

Et il ne paraissait pas!

À ce moment, voici que la faim se fit vivement sentir, justifiée par une diète prolongée pendant près de vingt-quatre heures. Je n’avais rien mangé depuis notre dernier repas, en admettant que ce repas eût été pris la veille… Et, à en croire mes tiraillements d’estomac, j’en étais à me demander si mon embarquement à bord de l’Épouvante ne remontait pas à deux jours… ou même davantage…

Heureusement, la question de savoir si on me nourrirait et comment on me nourrirait fut tranchée à l’instant.

L’homme de l’avant, après être descendu dans le poste, venait de reparaître. Puis, sans prononcer une parole, il déposa quelques provisions devant moi et regagna sa place.

De la viande conservée, du poisson sec, du biscuit de mer, un pot d’une ale si forte que je dus la mélanger d’eau, tel fut le déjeuner auquel je fis honneur. Quant à l’équipage, il avait sans doute mangé avant que j’eusse quitté ma cabine, et il ne me tint point compagnie.

Il n’y avait rien à tirer d’eux, et je retombai dans mes réflexions, me répétant:

«Comment cette aventure finira-t-elle?… Cet invisible capitaine, le verrai-je enfin, et me rendra-t-il ma liberté?… Parviendrai-je à la recouvrer malgré lui?… Cela dépendrait des circonstances!… Mais, si l’Épouvante se tient au large de tout littoral, ou si elle navigue sous les eaux, comment parvenir à la quitter?… À moins que l’appareil ne redevienne automobile, faudra-t-il renoncer à toute tentative d’évasion?…»

D’ailleurs, pourquoi ne l’avouerais-je pas?… M’échapper sans avoir rien découvert des secrets de l’Épouvante, je ne pouvais me faire à cette idée!… Car, enfin, bien que je n’eusse pas à me féliciter jusqu’ici de ma nouvelle campagne – et il s’en est fallu de peu que j’y laisse la vie, – bien que l’avenir offrît plus de mauvaises chances que de bonnes, l’affaire avait fait un pas… Il est vrai, si je ne puis rentrer en communication avec mes semblables, si, comme ce Maître du Monde qui est mis hors la loi, je suis hors de l’humanité…

L’Épouvante continuait à se diriger vers le nord-est dans le sens même de la longueur de l’Érié. Elle ne marchait plus qu’à moyenne vitesse, et, d’ailleurs, en la poussant à son maximum, il ne lui aurait fallu que quelques heures pour atteindre la pointe nord-est du lac.

À cette extrémité, l’Érié n’a d’autre issue que la rivière Niagara, qui le relie à l’Ontario. Or, cette rivière est barrée par les fameuses cataractes, une quinzaine de milles au-dessous de Buffalo, importante cité de l’État de New York. Du moment que l’Épouvante n’avait pas remonté Detroit-river, comment abandonnerait-elle ces parages, à moins de prendre les routes de terre?…

Le soleil venait de passer au méridien. Le temps était beau, la chaleur forte, mais supportable, grâce à la brise qui rafraîchissait l’espace. Les rives du lac n’apparaissaient pas encore, ni du côté canadien, ni du côté américain.

Décidément, est-ce que le capitaine tenait à ne point se montrer à moi?… Avait-il quelque raison de ne pas se faire connaître?… Une telle précaution indiquait-elle qu’il eût l’intention de me mettre en liberté, le soir venu, lorsque l’Épouvante aurait atteint le littoral?… Cela me semblait plus improbable!

Or, vers les deux heures de l’après-midi, un léger bruit se produisit, le panneau central se souleva, et le personnage si impatiemment attendu parut sur le pont.

Je dois le dire, il ne me prêta pas plus attention que ne l’avaient fait ses hommes, et, allant vers le timonier, il prit sa place à l’arrière. Celui-ci, après quelques mots prononcés à voix basse, descendit dans la chambre des machines.

Le capitaine, ayant promené son regard sur l’horizon, et consulté la boussole, posée devant la barre, modifia légèrement la direction, et la vitesse de l’Épouvante s’accrut.

Cet homme devait avoir dépassé de quelques années la cinquantaine, taille moyenne, épaules larges, très droit encore, tête forte, cheveux courts plutôt gris que blancs, ni moustaches ni favoris, une épaisse barbiche à l’américaine, bras et jambes musculeux, mâchoire aux masséters puissants, poitrine large, et, signe caractéristique de grande énergie, le muscle sourcilier en contraction permanente. Assurément, il possédait une constitution de fer, une santé à toute épreuve, un sang aux globules ardents sous le hâle de sa peau.

De même que ses compagnons, le capitaine était vêtu d’habits de mer, que recouvrait une capote cirée, et un béret de laine lui tenait lieu de coiffure.

Je le regardais. S’il ne cherchait point à éviter mes regards, du moins montrait-il une singulière indifférence, comme s’il n’avait pas un étranger à son bord.

Ai-je besoin d’ajouter que le capitaine de l’Épouvante était bien l’un des deux individus qui me guettaient devant ma maison de Long-Street!…

Et, si je le reconnaissais, nul doute qu’il me reconnût pour l’inspecteur principal Strock, à qui avait été confiée la mission de pénétrer dans le Great-Eyry!

Et, alors, en l’observant, l’idée me vint – idée que je n’avais pas eue à Washington – que sa figure si caractéristique, je l’avais déjà vue… où?… sur une fiche du bureau des informations, ou tout simplement en photographie à quelque vitrine?…

Mais combien vague, ce souvenir, et n’étais-je pas plutôt le jouet d’une illusion?…

Enfin, si ses compagnons n’avaient pas eu la politesse de me répondre, peut-être ferait-il plus d’honneur à mes questions?… Nous parlions la même langue, bien que je n’eusse pu assurer qu’il fût comme moi Américain d’origine… À moins qu’il n’y eût chez lui parti pris de ne pas me comprendre, afin de ne point avoir à me répondre!…

Enfin, que voulait-il faire de moi? Comptait-il se débarrasser sans plus de façon de ma personne?… N’attendait-il que la nuit pour me jeter à l’eau?… Le peu que je savais de lui suffisait-il à faire de moi un témoin dangereux?… Eh bien, mieux eût valu me laisser au bout de l’amarre!… Cela aurait évité de m’envoyer par le fond!…

Je me relevai, je gagnai l’arrière, je restai debout devant lui.

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Ce fut bien en face qu’il fixa sur moi son regard brillant comme une flamme.

«Êtes-vous le capitaine?…» demandai-je.

Silence de sa part.

«Ce bateau… est bien l’Épouvante?…»

À ma question, nulle réponse.

Alors je m’avançai, et je voulus le saisir par le bras…

Il me repoussa sans violence, mais d’un mouvement qui dénotait une vigueur peu commune.

Revenant une seconde fois devant lui:

«Que voulez-vous faire de moi?…» demandai-je d’un ton plus vif.

Je crus que quelques mots s’échapperaient enfin de ces lèvres, contractées par une visible irritation. Aussi, comme pour s’en empêcher, il détourna la tête. Puis, sa main s’appuya sur le régulateur.

Aussitôt la machine fonctionna plus rapidement.

La colère me prit, et, ne me possédant plus, j’allais lui crier:

«Soit!… gardez le silence!… Moi… je sais qui vous êtes, comme je sais quel est cet appareil, signalé à Madison, à Boston, au lac Kirdall!… Oui! le même qui court sur les routes, à la surface des mers et des lacs et sous les eaux!… Et ce bateau, c’est l’Épouvante, et vous qui le commandez… c’est vous qui avez écrit cette lettre au gouvernement… vous qui vous croyez de force à lutter contre le monde entier… vous!… le Maître du Monde!…»

Et comment l’eût-il pu nier?… Je venais d’apercevoir les fameuses initiales inscrites sur la barre.

Heureusement, je parvins à me contenir, et, désespérant d’obtenir une réponse à mes questions, je revins m’asseoir près du panneau de ma cabine.

Et, pendant de longues heures, je ne cessai d’observer l’horizon dans l’espoir qu’une terre paraîtrait bientôt.

Oui! attendre… j’en étais réduit là… attendre!… La journée ne finirait pas sans doute avant que l’Épouvante ne fût en vue du littoral de l’Érié, puisque sa direction se maintenait imperturbablement au nord-est!

 

 

Chapitre XIV

Le Niagara.

 

ependant le temps s’écoulait et la situation ne se modifiait pas. Le timonier était revenu à la barre, le capitaine, à l’intérieur, surveillait la marche des machines. Je le répète, même lorsque la vitesse s’accroissait, le moteur fonctionnait sans bruit, avec une remarquable régularité. Jamais un de ces à-coups inévitables qui résultent de l’emploi des cylindres et des pistons. J’en concluais donc que le déplacement de l’Épouvante, dans chacune de ses transformations, s’effectuait au moyen de machines rotatives. Mais impossible de m’en assurer.

D’autre part, j’observai que l’orientation ne changeait pas. Toujours vers le nord-est du lac, et, par conséquent, en direction de Buffalo.

«Pourquoi le capitaine suit-il cette route?… me disais-je. Il ne peut avoir l’intention de mouiller dans ce port… au milieu de la flottille de pêche et de commerce!… S’il veut sortir de l’Érié, ce n’est pas le Niagara qui lui offrirait passage, et les chutes sont infranchissables même avec un appareil tel que le sien!… Le seul chemin, c’est Detroit-river, et l’Épouvante s’en éloigne visiblement!…»

Cette pensée me vint alors: peut-être le capitaine attend-il la nuit pour rallier l’une des rives de l’Érié?… Là, le bateau, changé en automobile, aurait vite fait de traverser les États voisins… Si je ne parvenais pas à m’enfuir pendant ce trajet sur terre, tout espoir de recouvrer ma liberté serait perdu!…

Il est vrai, je finirais par savoir où ce Maître du Monde se cachait et si bien qu’on n’avait jamais pu découvrir sa retraite, à moins, toutefois, qu’il ne me débarquât d’une façon ou d’une autre… Et ce que j’entends par débarquement, on le comprend de reste.

Cependant cette pointe nord-est du lac, je la connaissais, ayant souvent visité la partie de l’État de New York comprise entre Albany, son chef-lieu, et la cité de Buffalo. Certaine affaire de police, qui remontait à trois ans, m’avait permis d’explorer les rives du Niagara, en amont et en aval des cataractes jusqu’à Suspension-bridge, de visiter les deux principales lies entre Buffalo et la bourgade de Niagara-Falls, puis l’île Navy, puis Goat-Island qui sépare la chute américaine de la chute canadienne.

Si donc une occasion de fuir se présentait, je ne me trouverais pas en pays inconnu. Mais s’offrirait-elle, cette occasion, et, au fond, le désirais-je et en profiterais-je?… Que de secrets encore dans cette affaire, à laquelle la bonne chance – la mauvaise, peut-être – m’avait si étroitement mêlé!…

D’ailleurs, que j’eusse la possibilité de gagner une des rives du Niagara, il n’y avait guère lieu de le supposer. L’Épouvante ne s’aventurera pas sur cette rivière sans issue, et, probablement, ne se rapprochera pas du littoral de l’Érié. Au besoin, elle s’immergerait et, après avoir descendu Detroit-river, redevenant automobile sous la conduite de son chauffeur, elle suivrait les routes de l’Union.

Telles étaient les idées qui affluaient en moi, tandis que mon regard parcourait inutilement l’horizon.

Et, toujours, cette tenace question qui demeurait insoluble: Pourquoi le capitaine m’avait-il écrit la lettre menaçante que l’on sait?… Dans quel intérêt venait-il me surveiller à Washington?… Et enfin, quel lien le rattachait au Great-Eyry?… Qu’il pût, par des canaux souterrains, s’introduire dans le lac Kirdall, soit! Mais à travers l’infranchissable enceinte, non… cela, non!…

Vers quatre heures de l’après-midi, étant donné la vitesse de l’Épouvante, d’une part, et sa direction, de l’autre, nous ne devions pas être à plus de quinze milles de Buffalo, dont la silhouette ne tarderait pas à se dessiner au nord-est.

Au cours de cette navigation, si quelques bâtiments furent aperçus, ils passaient à longue distance, et, cette distance, le capitaine la tenait telle qu’il lui convenait. Au surplus, l’Épouvante était peu visible à la surface du lac, et, au-delà d’un mille, difficile à apercevoir.

Cependant, les hauteurs, encadrant la pointe de l’Érié, commençaient à se profiler en formant, au-delà de Buffalo, cet entonnoir, par lequel l’Érié déverse ses eaux dans le lit du Niagara. Quelques dunes s’arrondissaient sur la droite, des bouquets d’arbres se groupaient çà et là. J’apercevais au large plusieurs navires de commerce ou chaloupes de pêche à voile ou à vapeur. Le ciel se salissait par endroits de panaches fumeux que rabattait une légère brise de l’est.

À quoi donc songeait le capitaine, en se dirigeant vers ce port?… La prudence ne lui interdisait-elle pas de s’y aventurer?… Aussi, à chaque instant, m’attendais-je à ce qu’il donnât un coup de barre pour revenir vers la rive occidentale du lac… à moins qu’il n’eût l’intention de s’immerger afin de passer la nuit dans les profondeurs de l’Érié?…

Mais cette persistance à tenir le cap sur Buffalo, impossible de la comprendre!…

À ce moment, le timonier, dont les yeux interrogeaient le nord-est, fit un signe à son compagnon. Celui-ci, se relevant, vint au panneau central, et descendit dans la chambre des machines.

Presque aussitôt, le capitaine monta sur le pont et, rejoignant le timonier, s’entretint avec lui à voix basse.

Celui-ci, la main tendue en direction de Buffalo, indiquait deux points noirâtres qui se déplaçaient à cinq ou six milles par tribord devant.

Le capitaine regarda attentivement de ce côté; puis, haussant les épaules, il vint s’asseoir à l’arrière, sans modifier la marche de l’Épouvante.

Un quart d’heure après, je reconnus que deux fumées se dessinaient dans le nord-est. Peu à peu, la forme des points s’accusa plus nettement. C’étaient deux steamers, sortis du port de Buffalo, qui s’approchaient avec rapidité.

Soudain, j’eus la pensée que ces steamers étaient les destroyers dont m’avait parlé M. Ward, chargés depuis quelque temps de surveiller cette partie du lac, ceux-là même dont je pouvais réquisitionner le concours.

Ces destroyers, d’un type récent, comptaient parmi les steamers les plus vites construits aux États-Unis. Mus par de puissantes machines au dernier degré de la perfection, leurs essais avaient obtenu vingt-sept milles à l’heure.

Il est vrai, l’Épouvante possédait une marche très supérieure et, en tout cas, si, serrée de trop près, la retraite eût paru impossible, il lui suffirait de s’immerger et elle serait à l’abri de toute poursuite.

En réalité, il aurait fallu que ces steamers fussent plutôt des submersibles que des destroyers pour lutter avec quelque chance de succès, et je ne sais même pas si la partie eût été égale.

Ce qui, maintenant, ne me semblait pas douteux, c’est que les commandants de ces navires avaient été prévenus, peut-être par Wells qui, dès son retour à Toledo, leur aurait expédié une dépêche.

Il paraissait évident, d’ailleurs, qu’ayant aperçu l’Épouvante, ils marchaient à toute vitesse sur elle. Et, pourtant, le capitaine, sans paraître s’en préoccuper, continuait à se diriger vers le Niagara.

Qu’allaient faire les destroyers?… Assurément, ils manoeuvreraient de telle façon que l’Épouvante fût contrainte à s’engager dans l’angle de l’Érié, en laissant Buffalo sur tribord, puisque le Niagara ne lui offrait aucun passage.

Le capitaine était venu prendre la barre, l’un des hommes à l’avant, l’autre dans la chambre des machines.

L’ordre n’allait-il pas m’être donné de rentrer dans ma cabine?…

Il n’en fut rien, à mon extrême satisfaction, et, pour tout dire, personne ne s’occupait de moi, pas plus que si je n’eusse été à bord…

J’observais, non sans une vive émotion, l’approche des destroyers. À moins de deux milles alors, ils évoluaient de manière à tenir l’Épouvante entre deux feux.

Quant au Maître du Monde, sa figure ne montrait que le plus profond dédain. Ne savait-il pas que ces destroyers ne pouvaient rien contre lui?… Un ordre envoyé à la machine et il les distancerait, si rapides fussent-ils!… En quelques tours de moteur, l’Épouvante serait hors de la portée de leurs canons; et ce n’est pas dans les profondeurs de l’Érié que les projectiles iraient atteindre le sous-marin!…

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Dix minutes plus tard, c’est à peine si un mille nous séparait des deux bâtiments qui nous donnaient la chasse…

Le capitaine les laissa s’approcher encore. Puis il appuya sur la manette, et l’Épouvante, sous l’action redoublée de ses propulseurs, bondit à la surface du lac. Elle se jouait de ces destroyers, et, au lieu de revenir en arrière, continua sa marche en avant! Qui sait si elle n’aurait pas l’audace de passer entre eux, de les entraîner à sa suite jusqu’à l’heure où, la nuit venue, ils seraient forcés d’abandonner cette poursuite inutile.

La ville de Buffalo se dessinait alors sur la rive de l’Érié. Je voyais distinctement ses édifices, ses clochers, ses élévators. Un peu plus au nord-ouest s’ouvrait le Niagara, à quatre ou cinq milles de distance.

Dans ces conditions, à quel parti devais-je m’arrêter?… Étant bon nageur, lorsque nous serions par le travers des destroyers, ou plutôt entre eux, ne serait-ce pas l’occasion de me jeter à l’eau, occasion qui ne se reproduirait peut-être plus?… Le capitaine ne pourrait s’attarder à me reprendre!… En plongeant, n’aurais-je pas chance de lui échapper?… Je serais aperçu de l’un ou de l’autre navire… Qui sait si les commandants n’avaient pas été prévenus de ma présence possible à bord de l’Épouvante?… Une embarcation viendrait me recueillir?…

Évidemment, les chances de succès seraient plus grandes si l’Épouvante s’engageait entre les rives du Niagara. À la hauteur de l’île Navy, je pourrais prendre pied sur un territoire que je connaissais bien… Mais, supposer que le capitaine se lancerait sur cette rivière barrée par les cataractes, cela me paraissait impossible… Donc, je résolus de laisser les destroyers s’approcher, et, le moment venu, je me déciderais…

Car, faut-il l’avouer, ma décision n’était pas arrêtée… Non!… je ne pouvais me résigner, en m’échappant, à perdre toute chance de pénétrer ce mystère… Mes instincts de policier se révoltaient à cette pensée que je n’avais qu’à étendre la main pour saisir cet homme mis hors la loi!… Non! je ne me sauverais pas!… C’eût été abandonner pour jamais la partie!… Il est vrai, quel sort m’attendait et jusqu’où m’entraînerait l’Épouvante, si je restais à bord?…

Il était six heures et un quart. Les destroyers se rapprochaient, laissant entre eux une distance de douze à quinze encablures. L’Épouvante, sans même forcer sa vitesse, ne tarderait pas à avoir l’un sur bâbord, l’autre sur tribord.

Je n’avais pas quitté ma place. L’homme de l’avant était près de moi.

Immobile à la barre, les yeux brillants sous ses sourcils contractés, le capitaine attendait peut-être l’instant d’en finir par une dernière manoeuvre…

Soudain, une détonation retentit à bord du destroyer de gauche. Un projectile, rasant la surface des eaux, passa sur l’avant de l’Épouvante et disparut à l’arrière du destroyer de droite.

Je me redressai. Debout à mon côté, l’homme semblait guetter un signe du capitaine…

Celui-ci ne tourna même pas la tête, et jamais je n’oublierai l’impression de mépris qui se peignait sur son visage!…

À l’instant, je fus poussé vers le panneau de ma cabine qui s’abattit sur moi, tandis que les autres panneaux se refermaient. À peine une minute s’écoula-t-elle avant que la plongée s’effectuât… Le sous-marin avait disparu sous les eaux du lac…

D’autres coups de canon éclatèrent encore, dont le sourd fracas arriva jusqu’à mon oreille. Puis tout se tut. Une vague lueur arrivait par le hublot de ma cabine. L’appareil, sans roulis ni tangage, filait silencieusement à travers l’Érié.

On voit avec quelle rapidité, avec quelle facilité aussi, s’était faite cette transformation de l’Épouvante, non moins rapide, non moins facile sans doute, lorsqu’il s’agissait de circuler sur les routes!

Et, maintenant, qu’allait faire le Maître du Monde?… Très probablement, il modifierait sa direction, à moins que l’Épouvante, après avoir touché terre, ne dût redevenir automobile. Mais, à bien réfléchir, je pensai qu’il rallierait plutôt l’ouest, dès qu’il aurait dépisté les destroyers, et regagnerait alors l’embouchure de Detroit-river. L’immersion ne se prolongerait vraisemblablement que le temps nécessaire pour se mettre hors de portée des projectiles, et la nuit amènerait la fin de cette poursuite.

Il n’en fut pas ainsi. À peine dix minutes s’étaient-elles passées qu’une certaine agitation se produisit à bord. Des paroles échangées dans la chambre des machines se faisaient entendre. Un bruit de mécanisme les accompagnait. Je crus comprendre qu’une avarie obligeait le submersible de revenir à la surface…

Je ne me trompais pas. En un instant, la demi-obscurité de ma cabine s’imprégna de lumière. L’Épouvante venait d’émerger… J’entendais marcher sur le pont, dont les panneaux se rouvrirent, même le mien…

Le capitaine avait repris sa place à la barre, tandis que ses deux hommes étaient occupés à l’intérieur.

Je regardai si les destroyers étaient en vue… Oui… à un quart de mille seulement. L’Épouvante réaperçue, ils lui donnaient déjà la chasse. Mais, cette fois, ce fut dans la direction du Niagara.

Je ne compris rien à cette manoeuvre, je l’avoue. Engagé dans ce cul-de-sac, ne pouvant plus plonger par suite d’avarie, l’appareil trouverait sa route barrée par les destroyers, lorsqu’il voudrait revenir en arrière. Chercherait-il donc à atterrir, à s’enfuir, sous la forme d’automobile, soit à travers l’État de New York, soit à travers le territoire canadien?…

L’Épouvante avait alors un demi-mille d’avance. Les destroyers la poursuivaient à toute vapeur, dans des conditions défavorables, il est vrai, pour l’atteindre avec leurs pièces de chasse. Elle se contentait de garder cette distance. Pourtant, il lui eût été facile de l’accroître, et, à la nuit tombante, de revenir vers les parages de l’ouest!

Déjà Buffalo s’effaçait sur la droite, et, un peu après sept heures, apparut l’entrée du Niagara. S’il s’y engageait, sachant qu’il n’en pouvait plus sortir, le capitaine aurait perdu raison… Et, au fait, n’était-il pas fou, celui qui se proclamait, qui se croyait Maître du Monde?…

Je le voyais là, calme, impassible, ne se retournant même pas pour observer les destroyers.

Du reste, absolument déserte, cette partie du lac. Les navires, à destination des bourgades situées sur les rives du Niagara, n’étant pas nombreux, aucun ne se montrait. Pas même une chaloupe de pêche ne croisait la route de l’Épouvante. En tout cas, si les deux destroyers la suivaient sur le Niagara, ils seraient bientôt contraints de stopper.

J’ai dit que le Niagara s’ouvre entre la rive américaine et la rive canadienne. D’un côté Buffalo, de l’autre le fort Érié. Sa largeur, trois quarts de mille environ, diminue aux approches des chutes. Sa longueur, de l’Érié à l’Ontario, mesure une quinzaine de lieues, et c’est en coulant vers le nord qu’il déverse dans ce dernier lac les eaux des lacs Supérieur, Michigan et Huron. Une différence de trois cent quarante pieds existe entre l’Érié et l’Ontario. La chute n’en mesure pas moins de cent cinquante. Appelée «Horse-Shoe-Fall», parce qu’elle affecte la forme d’un fer à cheval, les Indiens lui ont donné le nom de «Tonnerre des eaux», et c’est bien un tonnerre qui roule sans relâche, et dont les fracas s’entendent à plusieurs milles de la cataracte.

Entre Buffalo et la bourgade de Niagara-Falls, deux îles divisent le cours de la rivière, l’île Navy, une lieue en amont du Horse-Shoe-Fall, et Goat-Island, qui sépare la chute américaine de la chute canadienne. Sa pointe portait autrefois cette terrapine-tower, si audacieusement posée en plein torrent sur le bord même de l’abîme; on a dû l’abattre, car, avec le recul constant de la cataracte, elle eût été entraînée dans le gouffre.

Deux bourgades sont à citer le long du cours supérieur du Niagara, Schlosser de la rive droite, Chipewa de la rive gauche, précisément de chaque côté de l’île Navy. C’est à cette hauteur que le courant, sollicité par une pente de plus en plus forte, s’accentue pour devenir, deux milles en aval, la célèbre cataracte.

L’Épouvante avait dépassé le fort Érié. Le soleil se balançait à l’ouest au-dessus de l’horizon canadien, et la lune, pleine alors, sortait des brumes du sud-ouest. La nuit ne serait pas faite avant une heure.

Les destroyers, forçant leurs feux, suivaient à la distance d’un mille, sans rien gagner. Ils filaient entre ces rives ombragées d’arbres, semées de cottages, qui s’étendent en longues plaines verdoyantes.

Évidemment, l’Épouvante ne pouvait plus revenir en arrière. Les destroyers l’eussent coulée et immanquablement. Il est vrai, leurs commandants ignoraient ce que je savais, moi, c’est qu’une avarie survenue à l’appareil l’avait obligée à regagner la surface du lac, et qu’il lui était impossible de s’échapper par une nouvelle plongée. Néanmoins, ils continuaient à aller de l’avant et se maintiendraient sans doute à cette allure jusqu’à la dernière limite.

Mais, si je ne m’expliquais pas cette chasse obstinée, je ne trouvais pas d’explication à la conduite de l’Épouvante. La route lui serait barrée avant une demi-heure par la cataracte. Si perfectionné que fût l’appareil, il ne l’était pas au point de pouvoir franchir le Horse-Shoe-Fall, et, si le torrent l’emportait, il disparaîtrait dans ce gouffre de cent quatre-vingts pieds que les eaux ont creusé au bas des chutes. Peut- être, en accostant une des rives, aurait-il la ressource de s’enfuir sur ses roues d’automobile, en faisant du deux cent quarante à l’heure!…

Maintenant, quel parti prendre?… Tenterais-je de me sauver par le travers de l’île Navy dont il me serait facile d’atteindre les berges à la nage?… Si je ne profitais pas de cette occasion, jamais, avec ce que je savais de ses secrets, jamais le Maître du Monde ne me rendrait la liberté!…

Eh bien, il me parut clairement alors que, cette fois, toute fuite allait m’être interdite. Si je n’étais pas confiné dans ma cabine, j’étais du moins surveillé. Tandis que le capitaine se tenait à la barre, son compagnon près de moi ne me quittait plus des yeux. Au premier mouvement, j’aurais été saisi, enfermé… À présent, mon sort était bien lié à celui de l’Épouvante.

Cependant la distance qui la séparait des destroyers était réduite, en ce moment, à quelques encablures. Est-ce donc que le moteur de l’Épouvante, par suite d’accident, ne pouvait pas donner davantage?… Pourtant, le capitaine ne montrait aucune inquiétude, il ne cherchait point à atterrir.

On entendait les sifflements de la vapeur qui s’échappait à travers les soupapes des destroyers au milieu des panaches de fumée noire. Mais on entendait aussi les mugissements de la cataracte à moins de trois milles en aval.

L’Épouvante filait par le bras gauche, le long de l’île Navy, dont elle eut bientôt dépassé la pointe. Un quart d’heure après apparaissaient les premiers arbres de Goat-Island. Le courant devenait de plus en plus rapide, et, si l’Épouvante ne voulait pas s’arrêter, les destroyers ne pourraient pas lui donner plus longtemps la chasse!… Et s’il plaisait à ce capitaine maudit de s’engloutir dans les tourbillons du Horse-Shoe-Fall, ils ne le suivraient pas dans l’abîme!…

En effet, des coups de sifflets retentirent, et les destroyers stoppèrent alors qu’ils n’étaient plus qu’à cinq ou six cents pieds de la cataracte. Puis, des détonations éclatant en amont, plusieurs projectiles passèrent le long de l’Épouvante sans l’atteindre…

Le soleil venait de disparaître, et, au milieu du crépuscule, la lune projetait ses rayons vers le nord. La vitesse de l’appareil, doublée de la vitesse du courant, était prodigieuse. En une minute, il tomberait dans ce creux noirâtre que forme en son milieu la chute canadienne…

Je regardais d’un oeil terrifié ces extrêmes berges de Goat-Island; puis, à sa tête, les îlots des Trois-Soeurs, noyés sous l’embrun des eaux tumultueuses…

Je me relevai… j’allais me lancer dans la rivière afin de gagner l’île…

Les mains de l’homme s’appesantirent sur moi…

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Soudain, un violent bruit de mécanisme, qui jouait à l’intérieur, se fait entendre. Les grandes dérives, plaquées sur les flancs de l’appareil, se détendent comme des ailes, et, au moment où l’Épouvante est entraînée dans la chute, elle s’élève à travers l’espace, franchissant les mugissantes cataractes au milieu d’un spectre d’arc-en-ciel lunaire!

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1 Au 12 avril 1867, l’auteur se trouvait à Buffalo, alors que l’Érié était pris sur toute son étendue.

2 11 millions de francs.